Charles Pasqua

1927 - 2015

Informations générales
  • Né le 18 avril 1927 à Grasse (Alpes-Maritimes - France)
  • Décédé le 29 juin 2015 à Suresnes (Hauts-de-Seine - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
IVe législature
Mandat
Du 30 juin 1968 au 1er avril 1973
Département
Hauts-de-Seine
Groupe
Union des démocrates pour la République

Mandats au Sénat ou à la Chambre des pairs

Sénateur
du 3 octobre 1977 au 19 avril 1986
Sénateur
du 11 mai 1988 au 29 avril 1993
Sénateur
du 2 octobre 1995 au 16 décembre 1999
Sénateur
du 1er octobre 2004 au 30 septembre 2011

Biographies

Biographie de la Ve République

PASQUA (Charles)
Né le 18 avril 1927 à Grasse (Alpes maritimes)
Décédé le 29 juin 2015 à Suresnes (Hauts-de-Seine)

Député des Hauts-de-Seine de 1968 à 1973
Sénateur des Hauts-de-Seine de 1977 à 1986, de 1988 à 1993, de 1995 à 1999 et de 2004 à 2011
Ministre de l’Intérieur du 20 mars 1986 au 10 mai 1988
Ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, du 30 mars 1993 au 11 mai 1995

Charles Pasqua naît le 18 avril 1927 dans le quartier Saint-François de Grasse au sein d’une modeste famille d’origine corse. Son grand-père était un berger de Casavecchie tandis que son père, André Pasqua, est un policier qui, lors du Front populaire, ne cache pas ses sympathies pour la gauche. Il inscrit le petit Charles à l’école communale, puis au collège public de Grasse, peu éloigné de la maison familiale avenue Riou-Blanquet. Très patriotes, les Pasqua acclament en septembre 1939 les chasseurs alpins du 18e bataillon stationné à Grasse en partance pour le front. Scout de France, Charles Pasqua est mobilisé pour accueillir les premiers réfugiés de la frontière italienne. Au printemps 1940, la défaite choque profondément la famille. Rejetant l’armistice et la fin de la République, André Pasqua, qui vient d’être promu officier de paix, refuse de prêter serment au maréchal Pétain, ce qui lui vaut d’être rétrogradé et de se retrouver simple gardien en tenue. Bientôt, le policier rejoint le réseau de résistance Tartane Phratrie (annexe de l’organisation Combat) et utilise dès le début de l’année 1942 son jeune fils de 15 ans comme coursier pour transporter discrètement les missives. L’intéressé ignore encore qu’il travaille pour les services de renseignement de la France libre. C’est après le débarquement allié en Afrique du nord qu’il est affranchi de la nature exacte de ses missions et se voit immatriculé à Londres sous le pseudonyme « Prairie ». Agent de liaison entre les différents groupes de Résistants, Charles Pasqua accomplit aussi, à l’occasion, des opérations de renseignement en s’informant sur les fortifications de la côte provençale. L’arrestation, puis la déportation, fin 1943, d’un oncle n’interrompt pas les activités clandestines du père et du fils. En juin 1944, André Pasqua est arrêté et torturé par les SS, avant d’être relâché faute de preuves. En réaction, la famille prend le maquis et, pendant quelques semaines, participe aux combats dans la région de Castellane près de la frontière italienne.

La ville de Grasse ayant été libérée par les Alliés, le jeune Charles Pasqua travaille localement, pendant quelques semaines, pour la Sécurité militaire avant de reprendre ses études. Il passe ses deux baccalauréats, puis entre à l’Institut d’études juridiques de Nice où les cours de droit le passionnent peu. Afin de gagner sa vie, il multiplie les petits emplois : garçon de plage à Mandelieu-La Napoule, veilleur de nuit dans des hôtels niçois. En septembre 1947, il épouse une jeune Canadienne, Jeanne Joly, rencontrée deux ans plus tôt. Mais, très tôt, la politique l’attire. Marqué par son engagement résistant en faveur de la France libre, Charles Pasqua se définit d’emblée comme gaulliste. Déplorant le départ du général de Gaulle en janvier 1946, il adhère à l’Union gaulliste de René Capitant, écoute avec passion les discours de Bayeux et de Bruneval. Aussi, lorsque de Gaulle annonce à Strasbourg, en avril 1947, le lancement du Rassemblement du peuple français (RPF), le jeune provençal est l’un des premiers adhérents dans la région. Avec l’aide d’un ami, l’avocat corse Pierre Pasquini, il fonde dans la foulée le RPF des Alpes maritimes. Trop jeune pour figurer sur les listes des municipales de l’automne 1947 (il n’a pas encore 21 ans), Charles Pasqua doit se contenter d’être délégué cantonal RPF du secteur Grasse-Montagne. Il participe toutefois activement à la campagne des municipales, assistant dans la région de Grasse à des meetings contradictoires, souvent très tendus, face aux communistes. Il s’y forme à la rhétorique politique. Au lendemain de ces élections qui voient localement le Rassemblement emporter les mairies de Cannes, Antibes et Grasse (Pierre Pasquini devenant maire adjoint de Nice), Charles Pasqua rencontre pour la première fois le général de Gaulle, à l’occasion d’une réunion à Paris de tous les responsables locaux du mouvement. Au sein du RPF, Charles Pasqua s’occupe déjà du service d’ordre (SO), supervisant après les municipales de 1947 une partie du SO du Rassemblement dans les Alpes maritimes, Pierre Pasquini gérant l’autre.

En 1948, son père ayant été nommé à Marseille comme officier de paix, Charles Pasqua s’installe dans cette nouvelle ville et s’inscrit à la faculté de droit d’Aix-en-Provence où il passe deux certificats sans grande conviction. Enchaînant les petits métiers, il travaille comme détective privé, puis débardeur à l’entrepôt des tabacs. Il reste surtout un militant RPF dynamique et soutient le maire RPF de Marseille, l’avocat Michel Carlini, face à une opposition de gauche, socialiste et communiste, très puissante. Durant l’été 1949, après le congrès de Lille du RPF, Charles Pasqua revoit le général de Gaulle qui, souhaitant se reposer quelques jours dans l’arrière-pays niçois, cherche une villa à louer. Le RPF ayant demandé au responsable de secteur de faire le nécessaire, ce dernier trouve une résidence dans le quartier Saint-François et en assure la garde toute la nuit… Mais rapidement le Rassemblement peine à maintenir son élan de 1947. Les législatives de 1951 se révèlent décevantes et les municipales de 1953 seront bientôt une catastrophe. Le RPF entrant en sommeil, Charles Pasqua entame sa propre « traversée du désert » politique et se consacre à ses seules activités professionnelles.

Charles Pasqua devient en 1952 représentant de commerce dans la société Ricard, par l’intermédiaire de l’Association des anciens combattants et déportés de la police à laquelle appartient son père. Cette entreprise, créée en 1932 en Provence pour commercialiser une anisette, ne manque pas d’originalité. Son fondateur, Paul Ricard, a décidé très tôt d’associer étroitement le personnel à la bonne marche de la société via une logique d’actionnariat salarié et de syndicalisme maison qui n’est pas, par certains aspects, sans rappeler la doctrine gaulliste d’association capital-travail. Paul Ricard est surtout prêt à donner sa chance à quiconque s’engage passionnément dans son travail et y fait preuve d’efficacité. Dynamique, motivé, inventif, ayant le sens du bagout comme des relations humaines, Charles Pasqua gravit rapidement en interne tous les échelons de l’entreprise : inspecteur des ventes en 1955, directeur régional en 1960, directeur des ventes « France » en 1962, enfin directeur général des ventes et exportations en 1963. À seulement 34 ans, le voici déjà numéro 2 du groupe. Comme il le dira lui-même par la suite, « ce que je suis devenu, je le dois à mes parents, au général de Gaulle, mais aussi à Paul Ricard ». Aux côtés de ce dernier, Charles Pasqua s’engage dans un nouveau combat, celui de la libre entreprise face à la puissance tatillonne de l’État. Responsable des acquisitions foncières et des constructions d’usine, il doit lutter sans cesse contre une bureaucratie envahissante et une fiscalité excessive qui le transforment en libéral convaincu.

Ses nouvelles fonctions au sein de l’entreprise Ricard ne le détournent pas totalement de la politique. Resté en contact avec ses anciens amis du RPF, il est mobilisé au printemps 1958 quand l’aggravation de la situation en Algérie décide certains responsables gaullistes de profiter de ce contexte de crise pour faire revenir le général de Gaulle au pouvoir. En mars 1958, Jean Muracciole, Compagnon de la Libération et ancien responsable du Rassemblement pour tout le Midi, l’appelle pour lui demander de rameuter les troupes gaullistes dans la région de Marseille. Dans les dernières semaines de mai, Charles Pasqua et une centaine d’hommes très décidés, occupent les caves de l’ancienne permanence RPF marseillaise, place Félix Baret, en face de la préfecture. René Coty ayant finalement appelé de Gaulle à former un gouvernement, un coup de main est exclu. Mais le responsable régional de Ricard est remercié de sa fidélité politique en se voyant confier avec d’autres la responsabilité de l’antenne marseillaise du nouveau parti gaulliste créé à l’occasion des législatives de l’automne 1958, l’UNR (Union pour une nouvelle République).

A partir de 1962, Charles Pasqua s’occupe prioritairement d’une autre organisation à laquelle son nom restera définitivement associé (même s’il la quitte dès 1969), le Service d’action civique (SAC). Créé en 1959, le SAC prend la suite du puissant service d’ordre du Rassemblement pour la France (RPF), dirigé par le colonel Rémy et Dominique Ponchardier. Il s’agit toujours de protéger les meetings gaullistes contre les adversaires du régime, communistes mais aussi, à partir de 1961-1962, les nationalistes d’extrême droite nostalgiques de l’Algérie française. Dans la mesure où l’UNR ne constitue pas un parti de masse, contrairement à l’ancien Rassemblement, le SAC sert aussi de réserve militante pour participer activement aux campagnes électorales et assurer la claque dans les réunions politiques. Très attachés à la personne du Général plus qu’au parti gaulliste, les militants du SAC se voient comme une troupe de choc prête à protéger le régime et son fondateur en cas de coup dur. Jacques Foccart, qui a la main dans ce domaine sensible comme dans d’autres (services secrets, outre-mer), assure un suivi politique de l’organisation. Après le départ rapide de son fondateur, Pierre Debizet (en désaccord avec de Gaulle sur l’affaire algérienne), le garde du corps du chef de l’État, Paul Comiti (cousin de Joseph Comiti, futur député gaulliste de Marseille et secrétaire d’État à la Jeunesse et aux sports en 1968), en prend la présidence, assisté d’Henri Djouder. Sur le terrain, le SAC est en réalité piloté par son secrétaire général, René Tiné, un ancien sous-officier parachutiste. Curieusement, l’organisation manque toutefois de discipline et laisse des responsables régionaux agir de manière très indépendante (notamment, Charles Mattei à Paris, Gérard Kappé en Provence, Pierre Camy-Peyret dans la région toulousaine, Jacques Lenain dans le Nord et Jacques Calès dans le bordelais). En 1962, une réorganisation est décidée, qui voit la mise en place de chargés de mission régionaux supposés répercuter en province les directives du siège. Charles Pasqua fait partie de la liste avec d’autres, comme Henri Mazoué. Le nouveau promu (chargé des Bouches-du-Rhône, du Var et des Alpes-Maritimes) fait preuve au service d’ordre du même professionnalisme qu’au sein de son entreprise et se voit récompensé de son efficacité en intégrant en 1965 le bureau national du SAC.

Fin 1964, Charles Pasqua participe à l’offensive que lance Paul Ricard sur la chambre de commerce de Marseille. Celle-ci vise surtout Gaston Defferre, accusé par son immobilisme de paralyser économiquement le port de Marseille en raison du maintien de taxes excessives. Face aux grandes familles de savonniers et de huiliers qui contrôlent depuis des décennies les fonctions consulaires et soutiennent alors le maire socialiste, le chargé de mission du SAC a installé son état-major dans les caves du même immeuble de la place Félix Barret qui abritait déjà les réunions du RPF local et les militants provençaux de mai 1958. Une partie de la droite marseillaise se montre réticente devant l’opération, à commencer par le professeur de médecine gaulliste Joseph Comiti. En dépit des efforts de Charles Pasqua qui rédige pour l’occasion un petit opuscule libéral, La Libre entreprise, un état d’esprit, et mène avec sa jeune équipe une campagne à l’américaine, la liste Libre Entreprise échoue d’une cinquantaine de voix. Les relations entre le SAC et l’UNR marseillaise s’en ressentiront. L’opération lui permet au moins de rencontrer pour la première fois, un jeune énarque membre depuis novembre 1962 du cabinet de Georges Pompidou et chargé du dossier des transports (et donc du port de Marseille) : Jacques Chirac. Charles Pasqua n’abandonnera pas la cause de la libre entreprise. Responsable de l’antenne marseillaise de l’Union pour la défense de la libre entreprise, il en deviendra président national en 1967.

En janvier 1965, Charles Pasqua est récompensé de son engagement militant contre Gaston Defferre et de sa fidélité politique envers le gaullisme par une place au Conseil économique et social. Il y reste deux ans comme membre de la section de l’adaptation à la recherche technique et de l’information économique. L’autre raison de son installation dans la capitale est professionnelle, car il travaille désormais au siège parisien de Ricard (l’entreprise ayant déménagé l’année de sa cotation au marché à terme). Il en profite pour seconder René Tiné au bureau national du SAC où son expérience en matière de gestion d’équipes, sa réactivité face à l’adversité et son esprit offensif font merveille. En mai 1967, lorsqu’un nouveau bureau national du SAC est mis en place avec Charles Pasqua comme premier vice-président, cela fait en réalité deux ans que le marseillais assure de facto la fonction. Il a laissé la direction du SAC marseillais au directeur de bureau d’études Robert Gardeil, remplacé à partir de 1967 par le primeuriste Gérard Kappé.

Si Charles Pasqua a pris de nouvelles responsabilités au sein du service d’ordre gaulliste, c’est aussi qu’il a abandonné ses fonctions chez Ricard. Bien que proche du fondateur, il quitte l’entreprise après avoir compris que Paul Ricard ne le considérerait jamais comme son successeur et préférerait transmettre les commandes à son fils Bernard. Il fonde en 1967 avec des transfuges de Ricard sa propre société, Euralim (Europe alimentation), installée à Levallois-Perret, qui exploite le brevet de l’apéritif Americano-Gancia. Il dirigera l’entreprise jusqu’en 1971. Charles Pasqua s’investit donc de plus en plus sur le plan militant. Lors de la présidentielle de 1965, il s’était déjà fait remarquer en organisant, le 14 décembre, une grande réunion publique au Palais des Sports avec André Malraux comme orateur principal, les gens du SAC assurant autant la sécurité que l’affluence. Cette première « grand-messe » réussie est suivie de nombreuses autres notamment lors des difficiles législatives du printemps 1967. Avec l’aide d’un autre responsable national du SAC, Jacques Le Meignen, il mobilise 1 500 militants venus de toute la France lors du meeting contradictoire réunissant à Grenoble Pierre Mendès France et Georges Pompidou. Au cours de la même campagne, il s’occupe également du meeting opposant à Nevers le Premier ministre à François Mitterrand. Ces législatives sont aussi l’occasion pour Charles Pasqua de retrouver Jacques Chirac, alors candidat en Corrèze. Ce dernier, secrétaire d’État aux Affaires sociales chargé de l’emploi, reçoit régulièrement des appels téléphoniques du responsable du SAC, qui l’informe de la situation syndicale dans le pays (grâce notamment à ses liens avec les gens de la Confédération française du travail, syndicat indépendant très proche du service d’ordre).

Lorsque mai 68 éclate, Charles Pasqua dirige donc de facto un service d’ordre puissant, comprenant environ 3 000 militants rapidement mobilisables et très déterminés. Devant la montée en puissance de l’agitation et le désarroi d’un pouvoir gaulliste désemparé, le SAC fait figure de bastion. Désireux de s’engager sur le terrain contre les gauchistes, choqués comme leur premier vice-président par la timidité du régime face à la « chienlit », ses membres attendent des ordres d’intervention qui n’arrivent jamais. Ils se contentent dès lors de jouer discrètement les supplétifs des forces de l’ordre devant les barricades du Quartier Latin ou les permanences en province. Jacques Foccart, qui ne veut pas de bavure, impose ainsi aux militants retranchés au siège du SAC, 5 de la rue de Solférino (l’ancien siège du RPF), de rester inactifs lorsque, le 22 mai, les étudiants gauchistes tentent d’investir par la force les bureaux du service d’ordre. Ils seront dégagés par les forces de l’ordre. Privé de résistance « physique », Charles Pasqua et ses amis doivent investir d’autres terrains. Avec l’aide de Jacques Belle, chef de cabinet de Roger Frey (ministre chargé des Relations avec le Parlement), il crée ex nihilo une nouvelle organisation militante chargée d’exprimer la colère de la majorité silencieuse, les Comités de défense de la République (CDR), bientôt installés au 5 de la rue de Solférino. Le jeune Jacques Godfrain est l’un des premiers adhérents, tout comme le propre fils de Charles Pasqua, Pierre-Philippe Pasqua, né en 1948. Beaucoup d’anciens combattants de la France libre, dont les amicales ont été contactées, prennent aussi leur carte. A l’initiative de Charles Pasqua, les gens du SAC multiplient les actions de soutien psychologique aux forces de l’ordre et mettent en place des réseaux de veille dans les médias. A partir du 25 mai, Charles Pasqua estime que ces deux organisations militantes (SAC et CDR) sont suffisamment fortes pour encadrer et impulser une manifestation de masse traduisant l’exaspération croissante de l’opinion devant le chaos. Cette manifestation parisienne, dont d’autres élus comme Pierre-Charles Krieg, ont eu également l’idée, est fixée au 30 mai sur les Champs-Élysées avec l’accord de Jacques Foccart. L’opération est maintenue en dépit de la disparition mystérieuse du Général la veille et, le jour prévu, le discours du chef de l’État, galvanisé à son retour de Baden-Baden, assure le succès de l’événement. Rameutés de toute la France en 24 heures par voitures individuelles et camions, entre 1 500 et 1 800 militants du SAC forment le service d’ordre d’une manifestation qu’ils encadrent de part et d’autre de l’avenue. Depuis un car de commandement installé place de l’Étoile, Charles Pasqua est en liaison talkie-walkie avec les chefs de groupe. Le même appareil de sécurité anime les jours suivants d’autres manifestations gaullistes en province.

La dissolution de l’Assemblée nationale confère au SAC une autre mission : assurer la protection des meetings électoraux du nouveau parti gaulliste, l’Union pour la défense de la République (UDR), lancé dans des législatives anticipées dans un contexte général qui reste très tendu. Alors que Charles Pasqua aurait souhaité retrouver ses fonctions de patron d’entreprise, Jacques Foccart lui impose d’être candidat à la députation. L’intéressé accepte à condition de se battre dans un fief communiste et en région parisienne pour pouvoir continuer de travailler à proximité de sa société. C’est du reste dans cette perspective qu’il opte pour la circonscription de Levallois-Perret. Le député sortant, le maire communiste Parfait Jans, est solidement implanté et la campagne entre les militants communistes et gaullistes se révèle extrêmement dure. Un incident survient, le 24 juin ; deux communistes sont blessés. Profitant d’une forte aspiration dans l’opinion au retour à l’ordre, Charles Pasqua l’emporte à l’issue du deuxième tour. Aidé par son suppléant, le docteur Guy Larroquette, il devient, le 30 juin, député de la 4e circonscription des Hauts-de-Seine (Clichy, Levallois-Perret). Son implantation dans les Hauts-de-Seine a été favorisée par l’appui du député-maire de Colombes, le gaulliste Émile Tricon. Charles Pasqua a recueilli 16 688 voix et 33,38 % des suffrages exprimés au premier tour, soit un score un peu inférieur à celui de Parfait Jans, et 24 653 voix (51,75 %) au second tour. Il s’inscrit au groupe UDR et entre au bureau de celui-ci en avril 1970 (il en prendra par la suite la vice-présidence). Il incarne au Palais-Bourbon un « gaullisme d’ordre » désireux de fermeté à l’égard d’une « subversion » marxiste perçue comme toujours menaçante.

L’évolution d’ensemble du SAC n’est toutefois pas favorable à Charles Pasqua. Jacques Foccart, qui estime que l’organisation souffre d’un manque d’autorité et de cohérence, a fait revenir dès les débuts de l’agitation parisienne Pierre Debizet, l’ancien fondateur du service d’ordre (qui conseillait depuis plusieurs années le président tchadien Tombalbaye). Le départ de René Tiné, affaibli par la maladie, et l’arrivée de Pierre Debizet dans les instances dirigeantes du SAC affaiblissent le leadership de Charles Pasqua. Fidèle au Général, il s’engage toutefois dans la campagne référendaire du printemps 1969 même s’il trouve illisible le projet de Jean-Marcel Jeanneney. La défaite du « Oui » et le départ du chef de l’État le traumatisent. Le dernier coup est d’autant plus dur qu’il s’accompagne de l’arrivée à l’Élysée de Georges Pompidou, et Charles Pasqua sait combien ce dernier se méfie du SAC. Le nouveau chef de l’État voit en effet l’ombre du service d’ordre derrière l’affaire Markovic qui a failli ruiner sa réputation quelques mois plus tôt. Durant la campagne présidentielle, Georges Pompidou n’a pas fait mystère de son intention de « faire le ménage » dans le service d’ordre gaulliste comme dans les services secrets. Pierre Debizet et Jacques Foccart s’en chargent dans le premier cas et Alexandre de Marenches dans le second. Selon lui, Charles Pasqua serait parti de lui-même du SAC à l’automne 1969, refusant de mettre le SO au service d’un autre que de Gaulle. Gaulliste orthodoxe, partisan d’une politique de fermeté, il ne se retrouvait pas dans « l’héritier » Pompidou comme dans la politique trop libérale d’un Chaban-Delmas. Sans doute, mais Charles Pasqua, très déçu de ne s’être pas vu proposer la direction du SAC bientôt confiée au foccartien Pierre Debizet, a surtout essayé de contourner Jacques Foccart en proposant à Pierre Juillet la création d’un nouveau service d’ordre gaulliste, non plus indépendant du parti comme le SAC mais intégré à l’UDR (sur le modèle de l’ancien SO du RPF). Informé de la manœuvre, le conseiller élyséen a mis en garde Charles Pasqua lors d’un dîner à la Maison de la Légion d’honneur le 4 octobre 1969. Craignant d’être mis en minorité lors d’une prochaine réunion de direction du service d’ordre, Charles Pasqua préfère quitter le SAC.

Cette brutale mise à l’écart le consolide au début dans ses réserves à l’encontre de Georges Pompidou. Charles Pasqua rejoint ces gaullistes orthodoxes (Pierre Messmer, Hubert Germain, Jacques Vendroux, Michel Debré, Louis Joxe) qui avaient fondé fin mai 1969 une association « Présence du Gaullisme » pour préserver un héritage qu’à leurs yeux le nouveau chef de l’État incarnait mal. Le député de Levallois fait partie de l’amicale parlementaire créée en juillet 1969, « Présence et action du gaullisme » (il en assurera la présidence en 1972-1973). Ces antipompidoliens, souvent conservateurs, combattent la Nouvelle Société de Jacques Chaban-Delmas dont les accents réformistes les inquiètent. Charles Pasqua est notamment scandalisé par la libéralisation de l’ORTF derrière laquelle il voit l’influence « socialiste » du tandem Nora-Delors. Ce positionnement « gaulliste d’ordre » permet aux habiles conseillers du chef de l’État, Pierre Juillet et Marie-France Garaud, de récupérer politiquement la plupart des gaullistes orthodoxes sur fond d’antichabanisme. Le remplacement à Matignon du maire de Bordeaux par Pierre Messmer à l’été 1972 réjouit Charles Pasqua qui y voit une inflexion salutaire propre à rassurer les gaullistes.

A l’Assemblée, Charles Pasqua rejoint d’abord la commission de la défense nationale et des forces armées avant de rejoindre en mai 1971 la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Il reste toutefois intéressé par les questions militaires, comme rapporteur spécial des crédits d’équipement du volet Défense nationale du projet de loi de finances pour 1973. Il met l’accent, en fervent gaulliste, sur l’armement nucléaire tactique dans le cadre de la dissuasion. Il est en juin 1970 membre de la commission spéciale chargée en 1970 d’examiner le projet de loi relatif à l’indemnisation des rapatriés, et en avril 1972, de celle chargée d’examiner notamment le projet de loi portant réforme de l’assurance vieillesse des travailleurs non-salariés des professions artisanales, industrielles et commerciales. Membre de la commission de contrôle de la gestion de l’ORTF, il intervient à ce titre lors de la discussion en novembre 1969 de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1970 concernant l’ORTF, dans le cadre des services du Premier ministre. Il dénonce l’attitude partisane d’une partie du personnel de l’Office durant les événements de mai 68 et appelle à une plus grande objectivité de la part des journalistes du service public. Plusieurs de ses interventions témoignent de ses inquiétudes quant à une possible relance de l’agitation gauchiste face au manque de fermeté de l’État. Le 15 avril 1970, il profite du débat sur la déclaration du gouvernement à propos des problèmes de l’enseignement pour s’interroger sur la possible existence en France de deux catégories de citoyens, « ceux dont on attend qu’ils respectent les lois, et ceux au profit desquels on se décidera peut-être un jour à institutionnaliser le droit à l’émeute ». Il s’insurge régulièrement à la tribune contre la persistance des grèves et proteste contre le manque de moyens dont pâtissent les forces de l’ordre pour assurer la sécurité. Il approuve le projet de loi portant création et organisation des Régions (la loi du 5 juillet 1972). Dès le printemps 1971, il participe enfin au lancement de la zone d’établissement public pour l’aménagement du quartier de la Défense (EPAD).

Au printemps 1973, juste avant le lancement d’une campagne des législatives qui s’annonce difficile pour la majorité gaulliste, Jacques Chirac et Pierre Messmer suggèrent à Charles Pasqua de changer de circonscription. Celle de Levallois-Perret avait été remportée de justesse grâce à la dynamique « anti-chienlit » consécutive à mai 68 mais il n’est pas certain qu’en l’absence d’un contexte aussi porteur, les électeurs locaux soutiennent le candidat de la majorité. Charles Pasqua refuse les circonscriptions faciles qui lui sont alors proposées, par goût du défi et volonté d’affronter sur le terrain l’adversaire communiste. Il montre d’autant plus de résolution qu’il a entre-temps amélioré son ancrage politique local en étant élu en 1970 conseiller général UDR du canton de Levallois-Perret sud. Mais l’échec de Charles Pasqua aux municipales de mars 1971 avait déjà montré le retour en force de l’opposition de gauche à Levallois-Perret, une fois dissipé « l’effet 68 ». À l’issue du deuxième tour des législatives, le 11 mars 1973, le communiste Parfait Jans prend sa revanche et retrouve son siège au Palais-Bourbon, avec 54,1 % des suffrages exprimés. Charles Pasqua ne sera plus jamais député. Mais ses responsabilités nationales au SAC, puis ses discours d’ordre remarqués à l’Assemblée ont déjà fait de lui une figure montante du parti gaulliste. Dès décembre 1971, il siège au comité central de l’UDR et intègre en décembre 1973 le bureau exécutif du parti où il fait partie des pompidoliens opposés aux chabanistes. A partir d’octobre 1973, il assure la présidence du conseil général des Hauts-de-Seine qui devient bientôt son fief politique.

En avril 1974, la mort prématurée de Georges Pompidou bouleverse le jeu chez les gaullistes. Désireux de gêner Jacques Chaban-Delmas, le tandem Juillet-Garaud pousse la candidature de Pierre Messmer. Avec Jacques Chirac, Charles Pasqua incite donc le Premier ministre à se présenter. Même si l’opération fait long feu, elle affaiblit le maire de Bordeaux. Au bureau exécutif de l’UDR, l’ancien député de Levallois vote contre la candidature de Jacques Chaban-Delmas, s’attirant la colère de ses pairs devant ce qui ressemble pour eux à une trahison. Toutefois, refusant par fidélité au gaullisme de soutenir Valéry Giscard d’Estaing, l’homme du « non » au référendum de 1969, Charles Pasqua ne va pas jusqu’au bout de sa logique et réprouve l’Appel des 43. Il participe même à distance à la campagne chabaniste. Il se console de la victoire giscardienne en observant que le nouveau président choisit Jacques Chirac comme Premier ministre. En conservant Matignon, les gaullistes peuvent survivre politiquement et préserver l’héritage du Général. L’ancien leader du SAC s’emploie alors à réconcilier Chirac avec des militants gaullistes encore sous le coup de la défaite chabaniste qu’ils attribuent à la « trahison » chiraquienne. Nommé, en juin 1974, délégué national à l’action, il commence à reprendre en main les fédérations tout en supervisant le rapprochement entre le Premier ministre et Alexandre Sanguinetti, d’autant plus enclin au pardon qu’il a besoin de renflouer les caisses de l’UDR asséchées par la campagne présidentielle.

Charles Pasqua appartient à ce qu’on appelle alors « la bande des Corses » avec notamment Alexandre Sanguinetti et Roger Roman. Cette garde rapprochée, à laquelle s’ajoutent quelques autres responsables comme André Bord et Bernard Pons, permet au Premier ministre de s’emparer de l’UDR face aux « barons » fin 1974, avant de verrouiller la direction du parti et le groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Nommé en décembre 1974 secrétaire national de l’UDR chargé de l’animation, secrétaire de la puissante fédération des Hauts-de-Seine à partir d’avril 1975, Charles Pasqua consacre l’année 1975 à relancer le parti en rassurant les anciens et en attirant les jeunes sur la promesse d’un renouveau. Il apporte à une UDR sclérosée cette culture du militantisme et du terrain, issue du SAC et des CDR. Il pousse Jacques Chirac à quitter Matignon, en août 1976, avant de l’aider à lancer un nouveau parti gaulliste, le RPR, chargé d’amener l’ancien Premier ministre vers les présidentielles de 1981. Spécialiste de l’organisation, Charles Pasqua, qui se souvient du RPF et de ses vastes meetings populaires, se charge de faire du RPR un parti de masse. Le 5 décembre 1976 au soir, il rassemble dans les halls de la Porte de Versailles près de 80 000 personnes qui acclament Jacques Chirac. Il persuade aussi ce dernier (avec l’aide de Pierre Juillet) de présenter sa candidature à la mairie de Paris en 1977 face au giscardien Michel d’Ornano. Il se révèle omniprésent lors de la préparation des difficiles législatives de 1978 où le RPR s’impose comme la principale formation de droite avec 154 députés contre 123 pour l’UDF. Faisant partie de ce que les journalistes appellent alors « la bande des quatre » (avec Pierre Juillet, Marie-France Garaud et Yves Guéna), il exerce une très forte influence sur le maire de Paris.

S’il connait parfois l’échec (cantonales de mars 1976) et des périodes difficiles (après les européennes de 1979), sa carrière politique est fulgurante : secrétaire général adjoint de l’UDR puis du RPR dès décembre 1976 (chargé de l’animation), Charles Pasqua entre en juin 1977 au comité central du parti avant d’être nommé conseiller à l’organisation du RPR en avril 1978 et d’intégrer le conseil politique du Rassemblement en novembre 1979. Il est aussi facilement élu sénateur RPR des Hauts-de-Seine le 25 septembre 1977 (Émile Tricon étant son suppléant). Il est le mois suivant vice-président du groupe sénatorial du Rassemblement et vice-président jusqu’en octobre 1980 de la commission des affaires culturelles du Sénat. Pour tous les militants gaullistes, Charles Pasqua, c’est d’abord une voix et une attitude toutes deux inimitables. Cet excellent orateur, capable de fasciner par son verbe et ses poses une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes, sait improviser, faire rire et susciter l’émotion. Il joue de son timbre caverneux et de son accent méridional, il use au besoin d’une certaine gouaille populaire loin des discours lissés des technocrates du parti néo-gaulliste.

Charles Pasqua, qui a recommandé à Jacques Chirac d’annoncer rapidement ses ambitions pour la présidentielle de 1981 afin d’empêcher les candidatures gaullistes « parasites » de Michel Debré et Marie-France Garaud, supervise la campagne du maire de Paris comme responsable de l’organisation pratique et matérielle à partir de mars 1981. En dépit de son engagement sur le terrain, le sénateur des Hauts-de-Seine ne peut empêcher la défaite du candidat RPR. Il s’emploie cependant discrètement à faciliter la défaite de Valéry Giscard d’Estaing en recommandant le vote Mitterrand à des adhérents gaullistes. Toutefois, cette défaite de 1981 qui voit la gauche arriver au pouvoir, donne à Charles Pasqua une nouvelle dimension politique. Président du groupe RPR au Sénat d’octobre 1981 à mars 1986, il fait du Palais du Luxembourg un bastion de l’opposition. Là, ce ténor du chiraquisme manifeste de belles qualités de stratège en lançant trois offensives sur les terrains de l’école (il est membre du bureau de l’Union des « Cercles Jules Ferry pour l’École publique »), de la presse (il préside en novembre 1983 la commission spéciale sur « la liberté de la presse », puis en février 1984 la nouvelle commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi sur la transparence et le pluralisme de la presse) et de l’outre-mer (il soutient les loyalistes autour de Jacques Lafleur en Nouvelle-Calédonie). En dépit de la forte majorité dont ils disposent à l’Assemblée, les socialistes, fragilisés par une forte mobilisation du peuple de droite (notamment lors des manifestations de masse en faveur de l’école libre, en juin 1984), cèdent sur ces trois combats fondamentaux : le projet Savary est abandonné, le projet sur la presse tombe aux oubliettes et le gouvernement renonce au plan Pisani en Nouvelle-Calédonie. Pour beaucoup à droite, Charles Pasqua incarne la résistance à François Mitterrand. De fait, le sénateur occupe le terrain médiatique, menant la bataille sur les « valeurs » et n’hésitant pas à assumer ses positions pourtant clivantes en faveur de la peine de mort, contre l’avortement ou les pacifistes (il fait partie du comité français contre le neutralisme et pour la paix). En novembre 1981, il avait déjà, aux côtés de Paul d’Ornano, fondé le mouvement très droitier Solidarité et liberté. Son ouvrage, L’Ardeur nouvelle, paru chez Albin Michel en 1985, est un succès dans les milieux gaullistes.

Charles Pasqua profite aussi de cette période d’opposition 1981-1986 pour améliorer son ancrage politique local mais avec des fortunes diverses. Aux élections municipales de 1983, alors qu’il vise la mairie de Neuilly vacante depuis le décès d’Achille Peretti, il se fait doubler par le jeune Nicolas Sarkozy, dont il a pourtant été le mentor depuis la fin des années 1970. Le jeune secrétaire RPR de la circonscription de Neuilly-Puteaux et conseiller municipal de Neuilly dès 1977, aurait dû se charger de la campagne de terrain de celui qui avait été le témoin de son premier mariage, mais il décide finalement de se présenter à sa place et s’impose d’autant mieux que Jacques Chirac préfère ne pas trancher entre ces deux proches. Charles Pasqua, qui connaît des ennuis de santé à cette période, se désiste et se contente d’un siège de conseiller municipal. En mars 1986, il entre au conseil régional d’Île-de-France (après avoir été tête de liste RPR dans les Hauts-de-Seine).

Figure de la campagne des législatives de 1986 qui voit le retour de la droite à Matignon, Charles Pasqua est récompensé de son engagement fidèle auprès du nouveau Premier ministre Jacques Chirac par le poste qu’il convoite place Beauvau. Le 20 mars 1986, le fils de policier devient ministre de l’Intérieur, grâce à l’obstination de Jacques Chirac qui a maintenu son choix en dépit du refus de François Mitterrand. Le sénateur abandonne son siège au Palais du Luxembourg le 19 avril. Il est remplacé par son suppléant, Émile Tricon. À l’Intérieur, Charles Pasqua met en pratique le discours d’ordre et d’autorité qui est le sien depuis de longues années. Lors des manifestations étudiantes contre la réforme Devaquet, il soutient les forces de l’ordre même après la mort sous les coups de policiers du jeune Malik Oussekine, le 5 décembre 1986. Il peut se féliciter de l’arrestation des chefs terroristes d’Action Directe. En réaction aux attentats des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL), il a cette formule restée célèbre : « Il faut terroriser les terroristes ». Le ministre est l’auteur d’une loi portant son nom rendant plus difficile le séjour des étrangers en France, ainsi que de la loi du 24 novembre 1986 sur le découpage électoral. Lors de la campagne présidentielle du printemps 1988, il sert de caution droitière à Jacques Chirac menacé par la montée en puissance de Jean-Marie Le Pen. Entre les deux tours, le ministre de l’Intérieur suggère même un éventuel rapprochement avec les électeurs frontistes qui selon lui « partagent les mêmes valeurs que la majorité ». L’échec de Jacques Chirac au second tour ramène Charles Pasqua au Sénat où son suppléant, Émile Tricon, démissionne pour lui permettre de retrouver son siège le 10 mai 1988.

Il profite de cette phase d’opposition pour consolider son ancrage dans les Hauts-de-Seine. Dès le 25 septembre 1988, il est élu conseiller général du canton de Neuilly-sur-Seine Nord et prend en octobre la présidence de l’assemblée départementale. Il emporte dans la foulée la présidence de l’Assemblée des présidents de conseils généraux. En mars 1992, il retrouve son siège au conseil régional d’Ile-de-France qu’il abandonne rapidement, conformément à la loi sur le cumul des mandats. Début 1993, il devient enfin administrateur de l'Établissement public pour l'aménagement de la région de la Défense (EPAD) qu’il avait contribué à mettre en place au début des années 1970. Sur le plan militant, la défaite des présidentielles en 1988 a détérioré ses relations avec Jacques Chirac qui le tient pour partiellement responsable de son échec par son discours trop sécuritaire. De son côté Charles Pasqua ne croit plus dans les chances élyséennes de son idole. Sur le fond, les positions de plus en plus europhiles du patron du RPR agacent Charles Pasqua qui, en gaulliste souverainiste, critique volontiers le cadre à ses yeux trop contraignant de l’Union européenne. Il rejoint bientôt Philippe Séguin, avec qui il partage la même mystique gaulliste et la même déception à l’égard de Jacques Chirac, coupable de préférer le technocrate Alain Juppé et le libéral Édouard Balladur, coupable aussi d’avoir transformé le RPR en « clone idéologique de l’UDF centriste et européiste » selon la formule d’Éric Zemmour. En janvier 1990, lors des assises nationales du RPR, le sénateur des Hauts-de-Seine présente avec Philippe Séguin une motion souverainiste qui s’oppose à la motion du tandem Chirac-Juppé. En mettant sa démission en balance et en jouant d’une culture d’autorité propre à la famille gaulliste, Jacques Chirac parvient à s’imposer mais le duo Pasqua-Séguin parvient à rassembler près du tiers des suffrages. La fracture entre Charles Pasqua et Jacques Chirac ne se résorbera jamais.

Comprenant qu’il ne pourra jamais prendre le contrôle d’un parti verrouillé par les chiraquiens, le sénateur des Hauts-de-Seine, tout en restant provisoirement au sein du RPR, décide de mener le combat souverainiste au sein d’une autre structure militante, Demain la France, lancée en 1991. Dans la foulée, il s’engage aux côtés de Philippe Séguin et Philippe de Villiers dans la bataille du référendum de Maastricht au nom de la défense de l’indépendance de la France face à « l’ingérence future des institutions européennes ». Ses interventions médiatiques, toujours très enlevées, ne sont pas étrangères au bon score final du « Non », même si les adversaires du traité sont battus in fine. Les années 1990 voient Charles Pasqua tenter, mais sans y parvenir, de capitaliser politiquement cette dynamique souverainiste. Dans l’immédiat, il écrit avec Philippe Séguin les deux tomes de l’ouvrage programmatique Demain la France (tome 1 : La Priorité sociale, 1992, tome 2 : La Reconquête du territoire, 1993), publiés chez Albin Michel, qui rencontrent un très grand succès.

En octobre 1992, Charles Pasqua est candidat à la présidence du Sénat. Mais ses prises de position tranchées sur Maastricht comme ses mauvaises relations avec Jacques Chirac l’empêchent de faire le plein des voix chez les gaullistes. Dépassé par René Monory, il se désiste pour favoriser l’élection du centriste au « plateau ». La large victoire de la droite aux législatives de 1993 (campagne à laquelle il a participé notamment via son ouvrage Que demande le peuple ? publié en 1992 chez Albin Michel) et la nouvelle cohabitation qui s’ensuit permettent à Charles Pasqua de revenir au gouvernement où il retrouve, en tant que ministre d’État, le portefeuille de l’Intérieur (auquel s’ajoute l’Aménagement du territoire). Sous l’autorité du Premier ministre Édouard Balladur dont il se rapproche alors, il réforme le code de la nationalité dans le cadre d’une loi controversée qui porte son nom. Place Beauvau, il doit gérer en 1994 des situations délicates comme la répression des manifestations violentes contre le contrat d’insertion professionnelle (CIP) ou l’arrestation dramatique du tandem Rey-Maupin durant laquelle trois policiers trouvent la mort. Mais le ministre peut aussi se féliciter d’actions réussies, parfois de manière spectaculaire : arrestation du terroriste Carlos, neutralisation du commando du Groupe islamique armé (GIA) qui avait détourné un airbus d’Air France sur l’aéroport de Marseille, expulsion du chef de station de la CIA à Paris pour espionnage économique. Célèbre pour sa rhétorique martiale, le ministre provoque régulièrement les colères de l’opposition qui dénonce ce qui lui apparaît comme des dérives sécuritaires et répressives. C’est le cas notamment lorsque Charles Pasqua défend à l’automne 1994 le projet de loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité et visant à harmoniser l’action des forces de l’ordre. Ce projet qui se traduit en pratique par le renforcement des mesures de contrôle en marge des manifestations et par la généralisation de la vidéosurveillance est qualifié de « liberticide » par la gauche, il est toutefois adopté en janvier 1995. La mise en place à son initiative d’une police de proximité suscite moins de polémiques. Appliquant par ailleurs les principes de l’ouvrage programmatique de 1993, il mène à bien la refonte de l’aménagement du territoire, dans le cadre de la loi du 4 février 1995 à laquelle son nom reste associé.

Sur le plan politique, Charles Pasqua n’ose pas lors des européennes de 1994 prendre la tête d’une liste dissidente. Il laisse Philippe de Villiers incarner seul le souverainisme et rassembler près de 12  % de voix. Lorsque s’engage la campagne de la présidentielle de 1995, Charles Pasqua décide de soutenir Édouard Balladur contre Jacques Chirac. Cette prise de position, paradoxale au regard des engagements europhiles du Premier ministre, s’explique par la rivalité entre Charles Pasqua et Jacques Chirac. Sans compter les sondages qui donnent longtemps gagnant Edouard Balladur... La défaite de ce dernier pénalise politiquement Charles Pasqua qui ne retrouvera plus jamais un poste ministériel. Membre du bureau politique du RPR, conseiller politique du président chargé de la réforme des statuts en 1997, il abandonne cette fonction pour marquer son désaccord avec la position du parti gaulliste concernant la révision constitutionnelle liée au traité d’Amsterdam. En réaction, il aide Philippe Séguin à prendre la tête du RPR mais les deux hommes ne parviennent pas à mener à bien la « déchiraquisation » du Rassemblement et leurs relations se dégradent rapidement. Sur le plan parlementaire, Charles Pasqua, réélu sénateur des Hauts-de-Seine en septembre 1995, quitte ce mandat quatre ans plus tard pour entrer au Parlement européen. La liste qu’il a dirigée en 1999 avec Philippe de Villiers et dans laquelle figurent des proches du sénateur (comme William Abitbol ou Jean-Charles Marchiani) a en effet battu, avec 13  % des voix, celle emmenée par Nicolas Sarkozy. Il préside à Strasbourg le groupe souverainiste Union pour une Europe des nations (UEN).

Cependant, alors qu’il aurait peut-être pu s’emparer de la direction du RPR, Charles Pasqua préfère créer avec Philippe de Villiers son propre parti, le Rassemblement pour la France, dont le sigle (RPF) fait volontairement écho au mouvement fondé en 1947 par le général de Gaulle. Très vite toutefois, des tensions éclatent entre ces deux personnalités aux ambitions concurrentes et aux tempéraments forts. À l’été 2000, Philippe de Villiers lance sa propre formation, le Mouvement pour la France (MPF), tandis que des proches de Charles Pasqua (comme William Abitbol) l’abandonnent pour fonder la structure Combats souverainistes qui soutient la candidature de Jean-Pierre Chevènement à la présidentielle de 2002. Lors de ce scrutin, Charles Pasqua tente un retour politique national avec l’aide de derniers fidèles comme Jean-Charles Marchiani. Mais, soit qu’il ne parvient pas à rassembler les 500 signatures d’élus, soit qu’il rechigne à affronter Jacques Chirac, il renonce finalement à sa candidature. Le score dérisoire du RPF aux législatives suivantes (0,3  % des voix et deux sièges) lui interdit tout espoir de relance nationale. Il se replie alors sur son bastion des Hauts-de-Seine où, en tant que président du conseil général jusqu’en 2004, il mène à bien de grands projets d’infrastructure comme la construction d’un pôle d’enseignement supérieur Léonard-de-Vinci (surnommée « fac Pasqua »). Réélu sénateur des Hauts-de-Seine en septembre 2004 à la tête d’une liste divers droite, il siège comme apparenté au groupe Union pour un mouvement populaire (UMP). Alors même qu’il s’est réconcilié avec William Abitbol dans la perspective des européennes de 2004, ses mauvaises relations avec Philippe de Villiers l’empêchent de retrouver son siège à Strasbourg.

Les années 2000-2015 sont marquées par une succession de procès difficiles et douloureux pour Charles Pasqua, impliqué (avec certains proches comme Daniel Léandri, les frères Feliciaggi, Marthe Mondoloni) dans plusieurs scandales politico-financiers. Protégé partiellement par son immunité parlementaire, il échappe pendant quelques temps aux juges qui enquêtent sur les agissements de ses réseaux (des Hauts-de Seine à l’Afrique en passant par la Corse). Il est finalement acquitté pour certaines de ces affaires (affaire du siège de GEC-Alsthom Transport en avril 2010, affaire des Ventes d’armes à l’Angola en avril 2011, affaire « Pétrole contre nourriture » en juillet 2013) mais condamné à une amende et à de la prison avec sursis dans deux autres (affaire de la SOFREMI et affaire du Casino d’Annemasse en avril 2010). Condamné à de la prison avec sursis en avril 2013 dans le cadre de l’affaire de la Fondation Hamon, le jugement n’est pas définitif puisque l’intéressé meurt avant que la décision en appel ne soit rendue.

Retiré de la vie politique active, Charles Pasqua ne se représente pas lors des sénatoriales de 2011. Depuis plusieurs années déjà, il s’est consacré à la rédaction d’ouvrages politiques (Non à la décadence, chez Albin Michel en 2001) et à la préparation de ses mémoires (Ce que je sais, publié au Seuil en 2007-2008 en deux volumes, le tome 1 Les Atrides qui porte sur la période 1974-1988 et le second Un magnifique désastre qui court sur la période 1988-1995). Livrant encore ici et là ses analyses à l’occasion d’interviews où sa faconde à l’accent chantant et son sens de la formule font toujours mouche, il apparaît pour la dernière fois dans un cadre militant lors du congrès fondateur du parti Les Républicains en mai 2015. Cette figure du gaullisme, ce fervent patriote attaché à la grandeur de la nation comme à l’autorité de l’État, meurt le 29 juin 2015 à Suresnes. Lors de ses obsèques à la cathédrale de Grasse, son éloge funèbre est prononcé par Nicolas Sarkozy. Chevalier de la Légion d’honneur, Charles Pasqua était également décoré des médailles de la France libre et de la Résistance polonaise.