Maurice, Pierre Rouvier
1842 - 1911
Représentant en 1871, député depuis 1876 et ministre, né à Aix (Bouches-du-Rhône) le 17 avril 1842, il fit ses études à Marseille, et acquit une importante situation commerciale. Il s'occupa en même temps de propager dans la région l'instruction primaire, créa des cours d'adulte, organisa la Ligue de l'enseignement, et collabora au Peuple de Marseille et au Rappel de la Provence, journaux démocratiques. Il soutint, en 1867, la candidature de Gambetta à Marseille, fonda, en janvier 1870, l'Egalité, journal d'opposition à l'Empire, fut nommé secrétaire général de la préfecture des Bouches-du-Rhône au 4 septembre, refusa les fonctions de préfet en remplacement de M. Esquiros, fut nommé vice-président civil du camp des Alpines, et donna tous ses soins à l'organisation des mobiles de son département.
Candidat à l'Assemblée nationale dans les Bouches-du-Rhône aux élections du 8 février 1871, il échoua avec 44 059 voix (75 803 votants, 140 189 inscrits), mais il fut élu à l'élection complémentaire du 2 juillet suivant, le 7e et dernier, par 34 156 voix sur 75 000 votants, et 149 670 inscrits. Il se fit inscrire à l'Union républicaine, parla pour la levée de l'état de siège à Marseille, contre l'exécution de Gaston Crémieux, et, ayant publié, dans le journal la Constitution, un article assez vif contre la commission des grâces, fut menacé de poursuites (1872) ; l'Assemblée ne répondit, sur la motion de Changarnier, que par « l'amnistie du dédain». Il se mêla aux discussions commerciales intéressant ses électeurs, obtint l'abolition de la surtaxe de pavillon, interpella le ministère (27 mars 1873) sur les procès de presse dans le Midi, parla (décembre) sur les capitulations dans le Levant, proposa (février 1874) un impôt sur le revenu, et vota :
- contre la pétition des évêques,
- contre le pouvoir constituant de l'Assemblée,
- pour le service de trois ans,
- contre la démission de Thiers,
- contre le septennat,
- contre le ministère de Broglie,
- pour l'amendement Wallon,
- pour les lois constitutionnelles.
Réélu, le 20 février 1876, député de la 3e circonscription de Marseille, par 8 503 voix (12 534 votants, 16 470 inscrits), contre 3 501 à M. Rostang-d'Ancézune, il reprit sa place à gauche, déposa (mars) un projet d'amnistie partielle, et devint secrétaire de la Chambre: accusé (juillet 1876) d'un outrage à la pudeur au Palais-Royal, il demanda lui-même à la Chambre d'autoriser les poursuites, et fut acquitté par le tribunal.
Ses électeurs lui renouvelèrent son mandat, le 14 octobre 1877, par 8 784 voix sur 13 713 votants et 16 612 inscrits, contre 4 855 à M. A. de Jessé, candidat du gouvernement du 16 mai, et maire de Marseille. M. Rouvier continua de siéger à gauche, fit presque constamment partie de la commission du budget, comme membre, rapporteur général ou président, soutint la politique scolaire et coloniale des ministères républicains.
Il fut renvoyé à la Chambre, aux élections générales du 21 août 1881, par 8 308 voix (8 884 votants, 18 252 inscrits), sur un programme demandant la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la suppression de l'inamovibilité de la magistrature, l'impôt sur le revenu avec une large décentralisation administrative, etc.
Le 14 novembre suivant, il fut appelé à prendre, dans le « grand ministère » formé par Gambetta, le portefeuille du Commerce et des Colonies, qu'il garda jusqu'au 26 janvier 1882, date de la chute du ministère. En juillet 1883, il défendit les conventions de chemin de fer, en protestant contre l'imputation de pots-de-vin qui avait été alors lancée, professa des opinions libre-échangistes, présida (février 1884) la commission du budget, s'opposa (juin) à la surtaxe sur les sucres étrangers, et entra dans le cabinet Jules Ferry, le 14 octobre, comme ministre du Commerce, fonctions qu'il remplit jusqu'à la chute de ce ministère (29 mars 1885).
Les élections générales du 4 octobre suivant le ramenèrent à la Chambre ; porté sur la liste opportuniste des Alpes-Maritimes, il fut élu, au second tour, le 3e et dernier, par 18 787 voix sur 36 883 votants et 58 227 inscrits. Il présida, de nouveau, en février 1886, la commission du budget, et fut chargé d'une mission officielle à Rome relative au renouvellement de notre traité de commerce avec l'Italie ; cette mission ne put aboutir, et, de retour au palais Bourbon, M. Rouvier défendit (juin) la convention de navigation avec l'Italie qu'il avait lui-même négociée, combattit (mars 1887) les surtaxes sur les céréales, et, le 30 mai suivant, à la chute du ministère Goblet, devint président du Conseil avec le portefeuille des Finances. La gauche radicale se montra des le début hostile au nouveau cabinet auquel elle reprochait d'avance la probabilité d'une attitude conciliante vis-à-vis de la droite : mais un ordre du jour de défiance proposé par MM. Barodet et Jullien fut rejeté par 285 voix contre 139.
Comme président du Conseil, M. Rouvier repoussa l'urgence sur la proposition Labordère relative à l'élection du Sénat par le suffrage universel (27 juin), répondit à l'interpellation Révillon-Pelletan sur les menées cléricales et monarchistes (11 juillet), fit rejeter par 322 voix contre 223 l'exemption du service militaire demandée pour les séminaristes et les instituteurs, proposa et fit voter (octobre) la conversion du 4 1/2 ancien, et donna sa démission (24 novembre) lors des affaires Wilson, après avoir essayé de couvrir constitutionnellement le président Grévy. Ce dernier refusa cette démission (1er décembre), mais M. Rouvier la renouvela après l'élection de M. Carnot à la présidence de la République, et cette fois elle fut acceptée.
Président de l'Union des gauches (14 mars 1888), M. Rouvier combattit le projet de revision déposé par M. Pelletan, refusa un portefeuille dans le ministère Floquet (3 avril) se trouva atteint, comme président de la commission du budget, par les attaques de M. Gilly contre les membres de cette commission, et fut un des plus empressés à se rendre à Nîmes (octobre) pour déposer dans le procès qui se termina par l'acquittement de M. Gilly, M. Andrieux ayant retiré sa plainte. (Voy. ces noms.)
La chute du ministère Floquet rappela M. Rouvier aux affaires ; il fut nommé ministre des Finances dans le nouveau cabinet Tirard (février 1889). Dans la dernière session, M. Rouvier s'est prononcé :
- pour le rétablissement du scrutin d'arrondissement (11 février 1889),
- pour l'ajournement indéfini de la revision de la Constitution,
- pour les poursuites contre trois députés membres de la Ligue des patriotes,
- pour le projet de loi Lisbonne restrictif de la liberté de la presse,
- pour les poursuites contre le général Boulanger.
Economiste de talent, d'une compétence reconnue en matière financière, M. Rouvier sait donner aux discussions de tribune une forme passionnée qui semble n'être, à la lecture qu'un procédé oratoire, mais qui, dans le feu du débat, n'en impressionne pas moins ses auditeurs.
Il est veuf de Mme Claude Vignon, qui s'était fait un nom dans les lettres et dans la presse.
Date de mise à jour: septembre 2017
Né le 17 avril 1842 à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), mort le 7 juin 1911 à Neuilly-sur-Seine (Seine).
Représentant des Bouches-du-Rhône de 1871 à 1876.
Député des Bouches-du-Rhône de 1876 à 1885.
Député des Alpes-Maritimes de 1885 à 1903.
Sénateur des Alpes-Maritimes de 1903 à 1911.
Ministre du Commerce et des Colonies du 14 novembre 1881 au 27 janvier 1882.
Ministre du Commerce du 21 février 1883 au 30 mars 1885.
Président du Conseil et Ministre des Finances du 30 mai au 4 décembre 1887.
Ministre des Finances du 22 février 1889 au 28 novembre 1892.
Ministre des Finances du 7 juin 1902 au 18 janvier 1905.
Président du Conseil et Ministre des Finances du 24 janvier au 17 juin 1905.
Président du Conseil et Ministre des Affaires étrangères du 17 juin 1905 au 9 mars 1906.
(Voir première partie de la biographie dans ROBERT ET COUGNY, Dictionnaire des Parlementaires, t. V, p. 211.)
1889 : tournant dans l'histoire de la République : « commencement de la fin » du boulangisme.
Tournant aussi dans la vie de Rouvier : à 47 ans, le voici de nouveau au pouvoir, installé au poste-clé, celui de ministre des Finances.
Il a su se créer une réputation de technicien hors de pair, il représente l'idéal de l'opinion française moyenne. Il est donc devenu l'homme indispensable.
De fait, après une brillante réélection le 22 septembre 1889, par 9.715 voix contre 2.425 à son adversaire boulangiste, sur 21.616 inscrits et 12.143 suffrages exprimés, on le voit survivre à la chute du ministère Tirard, puis du ministère Freycinet, puis du ministère Loubet - inamovible, cela jusqu'en décembre 1892.
Son œuvre de financier, durant cette période, est considérable ; elle devait être longtemps citée comme un modèle d'orthodoxie ; c'est le budget de 1891- entièrement son ouvrage - qui l'illustre le mieux : l'unité budgétaire rétablie par la suppression des budgets extraordinaires, véritables budgets autonomes, la trésorerie de la dette assainie grâce à un emprunt de consolidation en 3 % perpétuel que la confiance du public permit de couvrir seize fois, enfin l'équilibre financier assuré par un habile réaménagement des impôts - notamment de l'impôt foncier - et cela pour quinze ans ! Le résultat ne se fait pas attendre : reprise des affaires, hausse sans précédent des rentes et des obligations, baisse des taux d'intérêt. La confiance est à son comble.
1892 sera l'année de la rente au pair, ce qui ne s'était pas vu depuis Louis-Philippe.
Presque simultanément, l'ironie de l'histoire fait exploser une mine : Panama. Désormais, les jours ministériels de Rouvier sont comptés. Les révélations, grossies par les rancœurs, les ambitions ou la peur, vont bon train. La liste des « chéquards » est découverte. Rouvier est soupçonné, harcelé, et donne sa démission le 12 décembre. Immédiatement, la rente qui était au pair tombe à 95 F.
La suite est connue : la séance fiévreuse du 20 décembre au cours de laquelle est examinée et votée la levée de l'immunité parlementaire de cinq députés - dont Rouvier - impliqués dans la demande en autorisation de poursuites présentée par le procureur général.
Mais la puissance de Rouvier était trop bien assise, son influence trop étendue, les charges contre lui trop imprécises. Non seulement l'affaire aboutit pour lui à un non-lieu - prononcé le 7 février 1893 par la Chambre des mises en accusation, mais encore il fut aisément réélu dans son arrondissement de Grasse le 20 août, par 8.794 voix contre 5.629 à un candidat socialiste, sur 21.497 inscrits et 14.434 suffrages exprimés - plus heureux en cela que Clemenceau, son vieil adversaire (tous les ministères auxquels avait appartenu Rouvier : celui de Gambetta, le sien propre, ceux de Tirard et de Freycinet lui devaient leur chute) à qui Panama coûta son siège de député du Var et sa mise à l'écart pendant huit ans de la scène politique.
Pour Rouvier, ce fut seulement une mise en réserve. Constamment réélu : le 8 mai 1898, par 8.770 voix contre 7.041 sur 22.226 inscrits et 16.205 suffrages exprimés et le 27 avril 1902 par 4.055 voix contre 2.257 et 1.156 à ses concurrents sur 10.524 inscrits et 7.498 suffrages exprimés, il ne retrouva le pouvoir que cette même année, mais on peut dire qu'il l'exerça par personnes interposées car, redevenu en 1893 membre, et en 1894, président de la commission du budget, président en outre, de 1896 à 1902, de la commission de l'impôt sur le revenu (sans parler de diverses autres comme la commission de la réforme financière), il se trouvait en position de surveiller la façon dont ses successeurs au ministère des Finances suivaient les lignes directrices qu'il avait tracées et calquaient leur démarche sur la sienne.
A la remise en ordre des finances publiques qui se poursuit, il contribue lui-même directement en faisant adopter en 1901 un amendement d'une portée considérable qui limite l'initiative parlementaire en matière d'augmentation de dépenses en interdisant « toute proposition tendant, soit à des augmentations de traitement, d'indemnités ou de pensions, soit à des créations de services, d'emplois, de pensions, ou à leur extension en dehors des limites prévues par les lois en vigueur, sous forme d'amendement ou d'article additionnel au budget ». Mais, dans l'ensemble, il reste dans l'ombre.
Vient enfin l'heure du retour au pouvoir. Les élections de 1902 ayant marqué le triomphe du bloc des gauches, Combes constitue son ministère dans lequel Rouvier, rappelé aux Finances, doit servir de caution à l'égard des « intérêts ».
Lorsque après « l'affaire des fiches », le ministère Combes dut donner sa démission et qu'on ressentit le besoin d'abandonner la politique frénétique qui avait prévalu et qui avait causé sa chute et de renouer avec le réalisme, Rouvier qui, entre-temps, était passé de la Chambre au Sénat où il avait été élu le 4 janvier 1903 (par 267 voix sur 396 inscrits et 392 suffrages exprimés), se trouva-t-il tout naturellement désigné.
Le ministère Rouvier, constitué le 24 janvier 1905 correspondait aux mêmes combinaisons de forces politiques que le précédent ; la différence, c'est qu'il était exempt de tout caractère de combat et que d'un autre côté la liaison avec le monde des affaires y était beaucoup plus accentuée ; quand il en apprit la composition, Clemenceau jeta : « Ce n'est pas un ministère, c'est un conseil d'administration ».
Quoi qu'il en soit, Rouvier était dans la nécessité d'en terminer avec certaines questions héritées de son prédécesseur : la séparation de l'Eglise et de l'Etat surtout, mais aussi la réduction du service militaire à deux ans. La confiance fut accordée par 373 voix contre 99. La loi de deux ans fut définitivement votée le 21 mars. Quant à la séparation, elle le fut le 3 juillet, à la suite de trois mois de débats, desquels Rouvier se désintéressa complètement, mais qui établirent la réputation de Briand, rapporteur du projet.
En attendant, les difficultés venaient de l'extérieur. Rouvier avait conservé Delcassé qui, aux Affaires étrangères depuis 1898, avait l'oreille de l'opinion : le renforcement de l'alliance russe, le rapprochement avec l'Italie, « l'entente cordiale » avec l'Angleterre, l'accord avec l'Espagne pour faire le vide autour de l'Allemagne, cela ne pouvait que plaire à un peuple aspirant, dans son immense majorité, à une « revanche » que Delcassé jugeait inévitable. Accessoirement, il hâtait la pénétration française au Maroc en vue d'un éventuel protectorat, comme les conventions franco-anglo-espagnoles de 1904 nous en reconnaissaient le droit. C'est ce terrain que choisit la diplomatie allemande pour faire échec à ce dessein. Si l'on s'obstinait dans la voie prise par Delcassé, serait-ce la guerre ? Probablement. La France serait-elle en mesure d'y faire face ? Certainement pas. Le seul moyen de l'éviter c'était de céder : Rouvier décide de sacrifier Delcassé ; celui-ci désavoué par l'unanimité du Conseil des ministres donne sa démission.
Rouvier décide alors d'assumer pleinement la responsabilité de la politique qu'il vient de faire triompher en prenant lui-même le portefeuille des Affaires étrangères (tout en gardant, par personne interposée, la haute main sur les finances). Il est décidé, pour sauver ce qui peut être sauvé, à braver l'impopularité car, ainsi que devait le noter Anatole de Monzie, « les Français adorent la paix et ils méprisent les hommes d'Etat qui s'efforcent de la leur maintenir ». En juillet, un échange de lettres reconnaît à la fois le maintien de l'indépendance du Maroc et les « droits spéciaux » que la France y possède. C'était un succès. Mais un mois avant la fin de la Conférence d'Algésiras, Rouvier avait été renversé et c'est un gouvernement où figurait - triste dérision - Clemenceau qui en recueillit le fruit.
C'est là pour Rouvier la fin de son influence. Après l'intermède du ministère Sarrien, dont Clemenceau est déjà la personnalité dominante, c'est ce dernier qui va occuper le pouvoir d'octobre 1906 à juillet 1909 et avec lui, Caillaux, le nouveau grand argentier. Rouvier et sa sagesse commencent à dater et son élection, en 1909, à la présidence de la commission sénatoriale du budget où il est rentré en 1907, n'est qu'un hommage au passé.
Lorsqu'il mourut, le 7 juin 1911, à 69 ans, disparaissait avec lui le dernier, en même temps que l'un des plus brillants et des plus doués de ces représentants de « l'opportunisme » qui, à la suite de Gambetta avaient marqué de leur talent la IIIe République.