Roger Salengro

1890 - 1936

Informations générales
  • Né le 30 mai 1890 à Lille (Nord - France)
  • Décédé le 18 novembre 1936 à Lille (Nord - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Troisième République - Chambre des députés
Législature
XIVe législature
Mandat
Du 29 avril 1928 au 31 mai 1932
Département
Nord
Groupe
Parti socialiste
Régime politique
Troisième République - Chambre des députés
Législature
XVe législature
Mandat
Du 1er mai 1932 au 31 mai 1936
Département
Nord
Groupe
Parti socialiste
Régime politique
Troisième République - Chambre des députés
Législature
XVIe législature
Mandat
Du 3 mai 1936 au 18 novembre 1936
Département
Nord
Groupe
Socialiste

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 (Jean Jolly)

Né le 30 mai 1890 à Lille (Nord), mort le 18 novembre 1936 à Lille.

Député du Nord de 1928 à 1936.

Ministre de l'Intérieur du 4 juin au 18 novembre 1936.

Issu d'une famille dunkerquoise, Roger Salengro a passé sa jeunesse à Dunkerque. Bachelier à 17 ans, il est ensuite élève de première supérieure au lycée de Lille, puis au lycée Lakanal, comme boursier. Revenu à Lille, il s'inscrit à la Faculté des lettres en 1909 et, la même année, il adhère à la section lilloise du parti socialiste. Désormais, son activité politique prend le pas sur ses études, qu'il ne poussera pas jusqu'à la licence. Grand admirateur de Jules Guesde, il fonde un petit groupe d'étudiants collectivistes. En 1912, il fait son service militaire à Arras au 33e régiment d'infanterie commandé par le colonel Pétain. En permission à Lille, il manifeste contre la loi de trois ans et est signalé comme antimilitariste à surveiller en cas de mobilisation. Il sera donc, en août 1914, détenu pendant plusieurs semaines.

Replié sur Cognac avec le dépôt de son régiment - rattaché au 233e R.I. - il demande à être envoyé sur le front, et l'obtient, mais est évacué comme malade au printemps de 1915. Il parvient à regagner le front. « Pour pouvoir sortir de l'hôpital, il m'a fallu remuer ciel et terre, parce qu'incomplètement guéri. Mais je pars radieux sachant pourquoi je me bats et décidé à faire tout mon devoir » écrit-il le 22 mai 1915.

Il part avec un détachement affecté au 233° R.I., lequel participe aux combats d'Artois, puis de Champagne. Il devient « cycliste » du chef de bataillon. Le 7 octobre 1915, dans la région de Suippes, au lendemain d'une attaque meurtrière, il décide de rechercher le corps d'un sergent, nommé Demailly. En présence du lieutenant de sa compagnie et avec son autorisation, il rampe vers les lignes ennemies. Ses camarades entendent tirer quelques coups de feu et ne le voient pas revenir. Il a été fait prisonnier. Interné en Bavière, il fait partie d'un groupe de quarante hommes désignés pour travailler aux usines métallurgiques de Rosenberg. Il incite ses compagnons à refuser ce travail contraire aux conventions internationales et ils sont traduits en conseil de guerre et condamnés à deux ans de prison. Pendant treize mois, Salengro connaît les épreuves du camp de discipline de Kottbus, en Brandebourg. Epuisé, Il est transféré à l'hôpital où il reste jusqu'en avril 1918. Gravement ébranlé physiquement et atteint d'une dépression nerveuse, il est dirigé sur la Suisse avec un convoi de rapatriés sanitaires. Il rentre en France peu de jours après l'armistice.

Revenu dans le Nord, Salengro renoue avec le parti socialiste ; le voici journaliste professionnel ; il devient l'un des collaborateurs les plus actifs du Cri du Nord quotidien socialiste qui se lance à Lille en 1919.

Il est élu conseiller municipal le 30 novembre 1919 sur la liste homogène de Delory qui enlève les 36 sièges. Quinze jours plus tard, il devient conseiller général du canton de Lille Sud-Ouest. Désigné comme secrétaire administratif de la fédération socialiste du Nord, il assiste aux congrès de Strasbourg et de Tours (décembre 1920). A Tours, les mandats de la fédération du Nord, à une forte majorité, vont à la III° Internationale ; le parti socialiste est à réorganiser.

En 1925, Roger Salengro est choisi par son parti pour remplacer comme maire de Lille Gustave Delory dont les forces déclinent. Il a 35 ans. Son œuvre de maire, de 1925 à 1936, sera considérable. Il recrée l'hôtel de ville, conçoit la cité universitaire, multiplie les oeuvres pour les enfants.

Le 29 avril 1928, Roger Salengro est élu, au second tour, député de Lille (2e circonscription) par 8.583 voix contre 7.915 à Bataille, son principal adversaire. Membre de la commission de l'enseignement et des beaux-arts, de la commission de l'hygiène et de la commission de l'armée, il se préoccupe spécialement des problèmes de l'emploi ; il demande l'attribution de secours aux bateliers en chômage ; il prend part à la discussion de propositions de loi tendant à la protection de la main-d'œuvre nationale. Le 12 janvier 1932, il demande à interpeller sur l'aggravation du chômage et les diminutions de salaire frappant le prolétariat.

Le 1er mai 1932, Roger Salengro est réélu, au premier tour, par 9.278 voix contre 6.478 à Balamant et 2.157 à Colas. Le 3 novembre 1933, il interpelle le gouvernement sur sa politique sociale. Dans un discours d'une sobre éloquence, il ra-pelle les projets votés par la Chambre pour améliorer la condition ouvrière : institution d'un congé annuel payé pour les travailleurs de l'industrie, du commerce et de l'agriculture, mesures concernant l'hygiène et la sécurité, refonte de la loi de 1898 sur les accidents du travail et il demande : « Quand ferez-vous voter ces projets par le Sénat? ». Devant le danger fasciste est votée la loi du 10 janvier 1936 qui permet la dissolution par décret de toutes les associations provoquant des manifestations armées dans les rues, présentant le caractère de groupes de combat ou ayant pour but d'attenter à la forme républicaine du gouvernement.

Un mois plus tard, Léon Blum est attaqué et blessé par les camelots du roi. Pour protester, un cortège de plus de cent mille manifestants, conduit par Roger Salengro, défile du Panthéon à la Nation derrière les drapeaux tricolores mêlés aux drapeaux rouges.

Le 3 mai 1936, Roger Salengro est réélu au second tour, par 11.788 voix contre 7.229 à Gil, son principal adversaire.

C'est l'avènement du « Front populaire ». Les masses ouvrières, conscientes de leur force et de leur succès, s'impatientent et lés mouvements de revendications se multiplient. Le nombre des grévistes dépasse le million - il s'élèvera quelques semaines plus tard à deux millions et demi - les occupations d'usines et d'ateliers ne se comptent plus. Le 4 juin, Léon Blum présente son cabinet à Albert Lebrun. Roger Salengro détient le portefeuille de l'Intérieur avec, comme secrétaire d'Etat, Raoul Aubaud, radical-socialiste. Jean Zay dépeint ainsi son collègue Salengro : « doux, timide, la voix modeste, attentif à l'opinion d'autrui, cherchant à convaincre avec une courtoisie patiente, craignant par-dessus tout de commettre une injustice ».

Le ministre de l'Intérieur demande à Léon Jouhaux, secrétaire général de la C.G.T., de rencontrer, en présence du président du Conseil, les représentants des organisations représentatives du patronat. Le dimanche 7 juin, la signature des accords Matignon consacre les talents de négociateur de Roger Salengro, dont Léon Jouhaux dira : « qu'il remplit ce jour-là, cette nuit-là, noblement, humainement, son rôle de ministre de l'Intérieur, responsable de l'ordre public, sans oublier qu'il était un militant, défenseur de ceux qui réclamaient plus de justice ».

Pendant les jours et les semaines qui suivent, Roger Salengro s'emploie à la fois à servir la cause du monde du travail et à « assurer l'ordre public, l'ordre républicain ». Grâce à lui, les occupations d'usine cessent, le travail reprend, les conventions s'élaborent. Sur sa demande, le 18 juin 1936, sont pris quatre décrets frappant de dissolution, en vertu de la loi du 10 janvier 1936, les quatre ligues nationalistes : Croix de feu, Jeunesses patriotes, Solidarité française et Parti franquiste.

Le 30 juin 1936 a lieu à la Chambre la discussion des interpellations de Xavier Vallat, Ybarnegaray, Devaud, Taittinger et des Isnards, sur la dissolution des groupements nationaux.

Devant la guerre civile espagnole, le gouvernement Blum se décide pour la non-intervention.

La droite se déchaîne dans l'Action française, Gringoire, l'Echo de Paris, l'Ami du Peuple, Le Jour, Je suis partout. Les attaques convergent vers Salengro et reprennent les accusations lancées contre lui, quinze ans plus tôt, d'avoir déserté au cours de la guerre 1914-1918. L'Action française, dans un article anonyme, présente Salengro comme un ancien condamné à mort par contumace pour désertion à l'ennemi. Salengro répond que s'il a été condamné, c'est par un conseil de guerre allemand.

Gringoire insiste, produit des témoins. Léon Blum fait procéder à un examen du dossier militaire de Salengro par une commission, présidée par le général Gamelin, selon laquelle « le soldat Salengro a été acquitté par jugement rendu par contumace par le conseil de guerre de la 51e division le 20 janvier 1916 ».

Le 11 septembre 1936, le ministre de là Guerre écrivant à Henri Becquart, député de la 1re circonscription de Lille, cite un rapport du commandant Arnould déclarant « l'attitude de ce soldat (Salengro), sous un bombardement infernal, fut celle d'un soldat à la fois brave et dévoué pour ses chefs et ses camarades ». Les articles de journaux continuant cependant à paraître, le gouvernement accepte la discussion, le 13 novembre, de l'interpellation d'Henri Becquart sur c la présence dans le ministère d'un homme sur la conduite militaire duquel continuent à peser les plus graves suspicions ».

La défense de Salengro, présentée par Léon Blum, expose que Salengro, fait prisonnier, a été condamné par un conseil de guerre allemand pour avoir poussé ses camarades de captivité à refuser le travail dans une fonderie. Et Léon Blum affirme : « vous savez que la campagne menée contre Roger Salengro au nom de l'honneur militaire et du patriotisme repose sur l'altération de la vérité ». Roger Salengro fait une courte déclaration, pleine de dignité, concluant : « socialiste, oui, mais soldat sans peur et sans reproche ».

La Chambre repousse par 427 voix contre 103 (en fait 63, compte tenu des 40 rectifications de vote) les accusations portées contre Salengro. Mais le ministre de l'Intérieur était trop ulcéré par les accusations portées contre lui ; la mort de sa femme un an auparavant l'avait privé du soutien moral qui l'aurait aidé à mépriser la calomnie ; quelques jours plus tard, le 18 novembre, il se donnait la mort à son domicile de Lille.

Venu s'incliner sur sa dépouille Léon Blum devait trouver une lettre de Salengro écrite la veille de sa mort disant : « J'ai lutté vaillamment mais je suis à bout... Je ne suis ni un déserteur, ni un traître. Mon parti aura été toute ma vie, toute ma joie ».

La mort tragique de Roger Salengro causa une profonde émotion dans l'opinion. Le comité intersyndical du livre empêcha aussitôt la publication de Gringoire.

Le Populaire et l'Humanité, de même que le cardinal Liénart, évêque de Lille, exprimèrent leur indignation devant la campagne de calomnies qui avait usé la résistance nerveuse de Salengro. Roger Salengro eut des obsèques nationales à Lille.