Francis Sanford
1912 - 1996
SANFORD (Francis, Ioane, Ariioehau)
Né le 11 mai 1912 à Papeete (Polynésie française)
Décédé le 21 décembre 1996 à Faa’a (Polynésie française)
Député de Polynésie française, de 1967 à 1977
Francis Sanford est issu d’un milieu modeste, caractéristique du creuset démographique polynésien. Il compte ainsi parmi ses ancêtres un baleinier américain, une maorie, un capitaine d’artillerie français, ainsi que le premier marin breton à avoir fait souche aux îles Gambier. Formé dans les écoles chrétiennes des Frères de Ploërmel, à Papeete, il devient instituteur en 1929, d’abord à Arue puis dans l’atoll de Fakarava. En 1939, il épouse sa collègue Eliza Snow, avec qui il aura six enfants. La même année, il assure la fonction d’administrateur-adjoint puis, à partir de l’année suivante, de chef du poste administratif des Gambier.
La guerre le surprend dans ces fonctions. Le 4 septembre 1940, en compagnie du missionnaire Germain L’Haridon, il annonce à la radio du poste le ralliement des Gambier à la France Libre. Désireux de s’engager (son père a été combattant volontaire pendant la Première guerre mondiale), il ne parvient pourtant qu’au début de l’année 1941 à rejoindre Tahiti, où l’attend une situation politique incertaine. L’absence d’informations fiables sur le cours de la guerre en métropole exacerbe en effet les rivalités entre vichystes du Comité des Français d’Océanie et gaullistes du Comité France Libre. Ces derniers, dirigés par le gouverneur Émile de Curton, ont pris l’avantage. Mais l’arrivée du gouverneur Richard Brunot, chargé par le général de Gaulle de rétablir l’ordre dans le territoire et qui prend pour ce faire des mesures jugées arbitraires par les gaullistes de Polynésie, vient jeter un nouveau trouble. Comme Curton et d’autres membres du Comité France libre, Francis Sanford est incarcéré pendant quelques mois à Papeete. Le désaveu de Brunot et son remplacement par le haut-commissaire Thierry d’Argenlieu permettent sa libération en septembre 1941. Francis Sanford est alors envoyé par le nouveau gouverneur Georges Orselli sur la base américaine de Bora-Bora, où il est chargé de représenter le territoire tout en assurant la liaison avec les autorités américaines. Il assure cette fonction jusqu’en juin 1946, ce qui lui vaut d’être décorée de la Medal of Freedom.
En 1947, il retrouve l’enseignement, d’abord comme instituteur à Bora-Bora, puis comme directeur d’école à Papeete. Il se lance aussi en politique, appartenant à la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) mais fréquentant les milieux gaullistes tahitiens autour d’Alfred Poroï, maire de Papeete, dont l’influence est alors déclinante. C’est en tant que candidat indépendant qu’il se présente aux législatives de novembre 1946, puis aux territoriales de 1951 aux Îles-sous-le-vent, sans succès. En 1957, il participe, au sein de l’Union Tahitienne démocratique, à l’opposition au Rassemblement des populations tahitiennes (RDPT) du nationaliste tahitien Pouvana’a Oopa, appelant à voter « oui » au référendum de 1958. En 1959, il est, en qualité d’interprète, chargé de mission au cabinet du gouverneur, puis chef de son cabinet civil en 1963.
Retiré de l’administration, il est élu en mai 1965 maire de la municipalité nouvellement créée de Faa’a. Sur cette base électorale, il fonde en juin 1965, avec quelques proches, le Te E’a Api no Polynesia (Voie Nouvelle de la Polynésie), parti centriste ouvert aux idées de progrès et se déclarant anti-administration. L’administration a donc désormais deux adversaires politiques importants : le Te E’a Api de Francis Sanford, et le Here Ai’a du député sortant John Teariki, autonomiste et anti-gaulliste déclaré, qui vient de récupérer l’héritage du mouvement indépendantiste de Pouvana’a Oopa.
Aux législatives de mars 1967, le premier tour montre un éparpillement des voix. Le candidat local de l’Union pour la nouvelle République (UNR), Élie Nedo Salmon (4 526 voix), se voit dangereusement devancé non seulement par le sortant John Teariki (8 222 voix), mais également par le nouveau venu Francis Sanford (6 820 voix). Or, si les deux partis revendiquent un même programme d’autonomie interne, Francis Sanford se montre moins radicalement opposé que son concurrent au projet d’installation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), porté par le gouvernement. Alors que l’UNR locale de méfie de l’autonomisme de Sanford, les responsables métropolitains le considèrent en revanche comme un moyen d’éliminer John Teariki tout en assurant le ralliement de la Polynésie. L’administration, dirigée par le gouverneur Sicurani, fait donc le choix de retirer son soutien à Nedo Salmon au profit de Francis Sanford, qui devient ainsi, sans l’avoir cherché mais sur la foi de son passé gaulliste, le candidat de la majorité nationale. Grâce au report des voix de l’UNR entre le premier et le second tour, Francis Sanford est effectivement élu le 19 mars 1967 avec 13 633 voix, soit 347 voix d’avance sur John Teariki. Nedo Salmon, qui a refusé de se retirer malgré les pressions politiques et administratives, n’obtient pour sa part que 332 voix. Mais la manœuvre fait long-feu, confirmant les craintes de l’UNR locale : quelques mois après l’élection, Sanford et Teariki font alliance afin de mener ensemble le combat pour l’autonomie interne et contre les essais nucléaires.
Membre de la commission de la défense nationale et des forces armées, sauf du 6 au 27 avril 1968 où il rejoint la commission des affaires étrangères, le député de Polynésie siège d’abord dans la majorité présidentielle, avec les Républicains indépendants. Mais il affirme aussi, avant même de rejoindre Paris, sa volonté d’exprimer à l’Assemblée « la nécessité pour le Territoire d’être pourvu de nouvelles institutions pouvant permettre aux futures élites de prendre leur part de responsabilités ». Après son alliance avec John Teariki, il se déclare ouvertement autonomiste, et devant le peu de soutien apporté par les Républicains indépendants au projet de changement de statut de la Polynésie, il rallie dès février 1968 le groupe Progrès et démocratie moderne (PDM) de Jacques Duhamel, au sein duquel il siège jusqu’en juin 1972. Le général de Gaulle déclare à cette occasion « Il y a longtemps que c’était à prévoir […]. À l’Assemblée, Francis Sanford tente de faire avancer la question du statut de la Polynésie, mais également d’obtenir la libération du dirigeant indépendantiste Pouvana’a Oopa, en vain. Depuis mars-avril 1968, il tente aussi de lancer à Paris une discussion sur les essais nucléaires, mais se heurte à une fin de non-recevoir de la part du gouvernement de Georges Pompidou. Il défend enfin, à Paris comme à Papeete, la tentative d’établissement d’un impôt sur le revenu en Polynésie, mesure que les autonomistes conçoivent comme un préalable nécessaire à l’autonomie politique. Mais cette fois ce sont des manifestations, en Polynésie même, qui font échouer ce projet.
Aux législatives de juillet 1968, Francis Sanford, avec John Teariki pour suppléant, est élu dès le premier tour avec 14 701 voix contre 7 135 à Élie Nedo Salmon et 3 349 à Charles Taufa, candidat local sans étiquette, et ce alors même que l’Union des démocrates pour la République (UDR) a obtenu trois-quarts des voix en métropole. Après cette réélection, Francis Sanford devient secrétaire de la commission de la défense nationale et des forces armées. Son insistance auprès du gouvernement contribue certainement à la grâce présidentielle accordée à Pouvana’a Oopa à l’occasion du 11 novembre 1968. Au cours de l’année 1969, Francis Sanford exprime le rejet par les autonomistes de la réforme sur la régionalisation proposée par le général de Gaulle : comme la métropole, les électeurs polynésiens votent majoritairement « non » au référendum du 27 avril.
À nouveau élu aux législatives d’avril 1973, il devance au deuxième tour Gaston Flosse (Union tahitienne – UDR) par 19 565 voix contre 17 027, en dépit d’un contexte difficile. Francis Sanford accuse en effet le gouvernement d’avoir facilité la naturalisation de plusieurs centaines de membres de la communauté chinoise, nombreuse en Polynésie, et qui soutient majoritairement l’Union tahitienne. À l’Assemblée, il est membre de la commission de la production et des échanges. Il représente également les DOM-TOM au sein du bureau du groupe des réformateurs sociaux-démocrates qui, sous l’influence du « Bataillon de la paix » de Jean-Jacques Servan-Schreiber, mènent campagne contre les essais nucléaires. Son opposition au CEP s’est en effet renforcée, en particulier après le décès d’un de ses enfants atteint de leucémie. Il déclare notamment : « L’implantation du CEP dans nos îles n’a apporté à la Polynésie qu’une fausse prospérité n’ayant profité qu’aux plus riches ; elle a freiné considérablement le développement d’une économie saine ; elle a multiplié les faux besoins, la délinquance juvénile et la criminalité, la pollution radioactive de notre environnement et rend plus nombreux les cas de cancer et de leucémie (dont les statistiques sont tenues secrètes) et elle a empêché toute évolution démocratique de nos institutions ».
Il poursuit aussi le combat pour l’autonomie interne. En effet, l’administration nommée par le gouvernement Chaban-Delmas se montre très opposée à toute évolution statutaire. Le 16 février 1974, Francis Sanford pose une question écrite au Premier ministre lui demandant « s’il compte organiser en Polynésie française un référendum sur l’indépendance de ce Territoire ». Mais malgré l’élection à la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, réputé favorable au changement de statut, ce dernier continue de rencontrer l’opposition de la droite locale, dirigée par Gaston Flosse. Le projet finalement proposé par Olivier Stirn, responsable de l’Outre-mer, est rejeté par l’ensemble de la mouvance autonomiste. À partir de juin 1976, une crise politique majeure bloque le fonctionnement de l’assemblée territoriale. Pour faire la preuve de la majorité autonomiste, Francis Sanford démissionne de son mandat de député le 29 juin 1976. Il est réélu le 12 septembre suivant avec 55,75 % des voix contre 34,1 % à Gaston Flosse. Fort de cette victoire, Francis Sanford n’hésite plus à agiter la menace d’un basculement vers l’indépendantisme pour obtenir une avancée : c’est le statut d’autonomie du 12 juillet 1977. Pour se consacrer à ses fonctions territoriales dans le cadre de ce nouveau statut, il démissionne le 30 juin 1977 de ses mandats de député et de maire de Faa’a.
En effet, parallèlement à sa carrière métropolitaine, Francis Sanford est élu à l’Assemblée territoriale de Polynésie, lieu principal de son combat pour le renforcement de l’autonomie interne. En septembre 1967, les territoriales ont confirmé, par l’élection de neuf conseillers, le succès remporté par le Te E’a Api aux législatives de mars précédent. Francis Sanford poursuit donc localement son combat pour l’autonomie. Il s’oppose notamment au projet de création de nouvelles communes sur le territoire polynésien, projet finalement rejeté par le Sénat à la fin de 1970, avant d’être amendé et adopté, en décembre 1971.
Aux territoriales de septembre 1972, les autonomistes du Here Ai’a (John Teariki) et du Te E’a Api (Francis Sanford), menant des listes séparées, sont en recul, n’obtenant que 13 sièges contre 9 à l’Union tahitienne-UDR (UT-UDR) qui, grâce à une coalition, met fin à la domination des autonomistes. À partir de mars 1975 cependant, dans le contexte des discussions ouvertes entre le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing et les autonomistes, ces derniers se rassemblent au sein du Front uni pour l’autonomie interne (FUAI) comprenant le Here Ai’a et le Te E’a Api, mais également Autahoeraa, composé de dissidents de l’UT-UDR derrière Frantz Vanizette et Charles Taufa. Début 1976, le Front uni rejette le projet de statut proposé par Olivier Stirn. L’UT-UDR, ayant ralliée à elle trois élus autonomistes, regagne alors la majorité territoriale. Les autonomistes répliquent par une occupation de l’Assemblée qui bloque les institutions pendant près de dix mois. C’est à cette occasion que Francis Sanford démissionne une première fois de son mandat de député, et est reconduit dès le premier tour. L’union des autonomistes force le gouvernement à engager des discussions, qui aboutissent à un accord sur le changement de statut. L’Assemblée est dissoute en mars 1977. Le Front uni remporte la majorité (14 sièges sur 30) dans la nouvelle assemblée élue le 29 mai suivant et présidée par John Teariki. Le statut d’autonomie de gestion est officiellement adopté par le Parlement le 7 juin et par l’Assemblée territoriale le 12 juillet suivant. Le 22 juillet, Francis Sanford est élu vice-président du conseil de gouvernement, c'est-à-dire chef de l’exécutif local (la présidence de ce conseil restant officiellement au haut-commissaire, qui la délègue au vice-président sur toutes les questions relevant des compétences territoriales).
Les premiers pas de l’autonomie sont difficiles. Mal préparés à l’exercice du pouvoir, Sanford et son équipe doivent tenir compte des alliances politiques, qui ne s’accordent pas toujours avec les compétences. La vice-présidence de Francis Sanford est ainsi émaillée de nombreuses affaires (Enerpol, tissages tahitiens), mais également marquée par l’apparition de la violence politique (attentat contre la Poste de Papeete, assassinat d’un homme d’affaire métropolitain) que Francis Sanford condamne fermement, contribuant même à l’arrestation des coupables. De plus, la victoire de 1977 est le produit d’un compromis dont Francis Sanford est le principal agent : le Te E’a Api s’est en effet contenté d’avancées institutionnelles limitées (autonomie de gestion plutôt qu’autonomie interne refusée par les partisans de Gaston Flosse) et a accepté de mettre de côté le problème des essais nucléaires, se satisfaisant du passage des essais aériens aux essais souterrains jugés moins nocifs. Le mouvement autonomiste est donc critiqué par les nouveaux partis indépendantistes, plus dynamiques et radicaux (dont le Tavini Huiraatira - Front de libération de la Polynésie d’Oscar Temaru et le Ia Mana de Jaqui Drollet), mais également par le Tahoera Huiraatira (ex-Union tahitienne) de Gaston Flosse, qui prend l’équipe dirigeante à contrepied en réclamant désormais un statut d’autonomie plus ambitieux. Enfin, les changements d’alliances politiques de Francis Sanford ne sont pas toujours compris de ses partisans. Ainsi, il avait fortement soutenu François Mitterrand aux présidentielles de 1974. Mais en 1978, le Parti socialiste (PS) s’est rallié au principe de la force de frappe nucléaire. En 1981, Francis Sanford soutient donc Valéry Giscard d’Estaing, alors que l’appui à François Mitterrand est repris par les indépendantistes.
Face à ces difficultés, le Front uni fondé par les autonomistes en 1977 se délite. Le désaccord sur la question nucléaire provoque une rupture entre Francis Sanford et le mouvement de John Teariki, dont les sept conseillers démissionnent le 25 juillet 1979, après la visite de Valéry Giscard d’Estaing en Polynésie. Un nouvel accord est passé entre les deux dirigeants en vue de l’élection partielle organisée au mois d’août, permettant à Francis Sanford de retrouver son siège de vice-président à l’unanimité des 18 suffrages exprimés (sur 30 conseillers, l’opposition RPR de Gaston Flosse ayant boycotté le scrutin pour marquer son refus d’un Conseil de gouvernement « discrédité et qui n’a plus le soutien de la majorité de la population »).
De fait, aux territoriales de 1982, Francis Sanford est péniblement réélu, mais son parti, largement battu, est repris en main par Jean-Marius Raapoto qui le rebaptise Te E’a No Maohinui. En septembre 1984 est annoncé le changement de statut consécutif aux lois de décentralisations de 1982. Profitant d’une dissolution de l’assemblée territoriale le 17 octobre 1985, Francis Sanford annonce son retrait de la vie politique. Tout en soutenant son successeur à la maire de Faa’a, Oscar Temaru, il adopte dès lors un rôle de « metua » (vieux sage) aux avis toujours prudents sur l’évolution vers l’indépendance.
Francis Sanford est décédé le 21 décembre 1996. Il était décoré de la Medal of Freedom, de la médaille de la Résistance, chevalier des palmes académiques et chevalier de la Légion d’honneur. Son nom est donné à l’aéroport de Tahiti Faa’a. À son biographe, Yves Haupert, il avait déclaré : « Je me rends compte maintenant que j'ai eu une vie extraordinaire. J'ai bien droit à un peu de repos après tout cela. »