Marc Sangnier
1873 - 1950
Né le 3 avril 1873 à Paris (7e). Député de la Seine de 1919 à 1924.
Arrière-petit-fils de l'académicien Ancelot dont l'épouse, au début du siècle dernier, réunissait dans son salon nombre d'écrivains illustres, petit-fils de l'avocat bonapartiste Lachaud, fils de Félix Sangnier, avocat et écrivain, Marc Sangnier connut une enfance bourgeoise et reçut une éducation chrétienne.
Sans doute hérita-t-il de son grand-père et de son père le don de l'éloquence. Mais l'éloquence vaut surtout par les convictions qu'elle permet d'exprimer : Marc Sangnier, de bonne heure, forgea les siennes. Dans un recueil de souvenir Autrefois, il raconte comment dans le jardin de l'hôtel particulier où il habita dans sa première jeunesse, grandit sa volonté de « planter le grand arbre du christianisme démocratique et social », c'est-à-dire de réconcilier l'Eglise et la République.
Avant Marc Sangnier, certains chrétiens comme Albert de Mun avaient senti la nécessité « d'aller au peuple ». Mais cette expression reflète des intentions paternalistes tout à fait étrangères à celui qui allait devenir le fondateur de la démocratie chrétienne en France. Pour Marc Sangnier, il s'agissait non pas d'aller au peuple mais de se fondre en lui tout en faisant pénétrer les forces spirituelles du christianisme.
Marc Sangnier était encore au collège Stanislas, où il fit des études secondaires, que déjà s'affirmait sa vocation de tribun : il fonda La crypte, petit cercle de condisciples qui, tout en subissant son ascendant, l'aidèrent à préciser ses idées. Cette activité ne l'empêcha, au demeurant, ni d'obtenir en 1891 le premier prix de philosophie au concours général, ni d'entrer à l'Ecole polytechnique en 1895. Après quoi, il s'inscrivit à la Faculté de droit et, en 1898, devint licencié alors qu'il servait déjà à Toul, comme sous-lieutenant au 1er régiment du génie.
Mais ces succès universitaires ne pouvaient satisfaire un esprit aussi exigeant. Dès 1894, Marc Sangnier avait fondé Le Sillon, mouvement destiné à propager l'idéal démocrate-chrétien, et il s'y consacra totalement à partir de 1899, date à laquelle il démissionna de Polytechnique. La devise inscrite sur le premier numéro de la revue Le Sillon : « Aller au vrai avec toute son âme » avait de quoi séduire les bonnes volontés troublées par le climat créé en France par l'affaire Dreyfus et désireuses de sortir des courants de la pensée politique traditionnelle. Autour du jeune idéaliste s'assemblèrent non seulement des intellectuels et des étudiants mais aussi des travailleurs issus du peuple, à l'intention desquels furent organisés des cercles d'études à travers toute la France. En 1901, un journal hebdomadaire L'Eveil démocratique vint appuyer l'action du Sillon et, en 1905, il fut suivi par un quotidien : La Démocratie.
Le non-conformisme du Sillon ne manqua pas d'émouvoir le pape Pie X qui, en 1910, condamna le mouvement. Marc Sangnier s'inclina, mais un pas décisif avait été franchi : une liaison s'était établie entre le catholicisme et la démocratie.
Le fondateur du Sillon poursuivit son action sur deux plans : sur le plan parlementaire d'abord. En 1909 et en 1912, il se présenta aux élections législatives dans la circonscription des Batignolles puis à Sceaux. Ces tentatives se soldèrent par deux échecs. Sans se laisser décourager il fonda en 1912 la ligue de la Jeune République, au sein de laquelle il continua de militer pour la justice sociale. « Il n'y a ni ordre ni paix, disait-il, quand une classe subit l'oppression d'une autre classe ».
Mais la Première Guerre mondiale devait l'appeler à d'autres devoirs : mobilisé comme lieutenant du génie, il termina en 1918 comme commandant, avec la Légion d'honneur et la Croix de guerre.
Aux élections législatives de 1919, reprenant la lutte sur le terrain parlementaire, il se présenta second sur une liste d'entente républicaine démocratique- autrement dit sur une liste d'union nationale - dans la 3e circonscription de Paris. Cette fois, il remporta un succès indiscutable puisqu'il fut élu avec 76.653 voix sur 189.797 votants.
A la Chambre, il ne s'inscrivit à aucun groupe mais ne perdit pas une occasion de défendre sa conception de la République, qu'il exposa en ces termes lorsqu'il interpella le gouvernement Briand au cours d'une séance en octobre 1921 : « La République, c'est l'organisation politique de la démocratie, c'est-à-dire 1 organisation qui permet à chaque citoyen, dans la seule mesure de ses capacités intellectuelles et morales et de sa bonne volonté, de participer effectivement à la gestion des affaires publiques ». Cette définition, d'après l'orateur, supposait en particulier que l'on permît aux ouvriers de participer à la gestion des entreprises et l'on fît une réalité de la représentation proportionnelle, appliquée pour la première fois aux élections de 1919.
Rien d'étonnant donc si Marc Sangnier participa aux travaux des commissions du travail et du suffrage universel. Dès le début de la 12e législature il déposa une proposition de loi qui visait à améliorer dans un sens proportionnaliste le système de 1919, notamment en remplaçant la formule de la plus forte moyenne par celle du plus fort reste.
Néanmoins, l'essentiel des interventions de Marc Sangnier concerna la politique étrangère. Une fois son devoir de soldat brillamment accompli pendant la guerre, il ne songea plus, la paix revenue, qu'à plaider en faveur de la réconciliation entre les peuples. En 1921, en tant que rapporteur de la commission des affaires étrangères, il défendit le projet portant approbation des traités signés en 1919 entre les alliés et les nouvelles républiques de Tchécoslovaquie et de Yougoslavie. Ces traités visaient à faire intervenir la Sociétés des Nations pour garantir aux minorités religieuses et ethniques de ces nouveaux Etats la liberté religieuse et la liberté de l'enseignement. Face au scepticisme quasi général, le rapporteur affirma ses convictions pacifistes et sa confiance dans une institution internationale chargée de faire prévaloir le droit sur la force. « Ce qui, à mon sens, est intéressant dans cette loi des minorités, c'est qu'il ne s'agit pas d'intérêts matériels. Chaque sourire ironique lorsqu'on parle de la Société des Nations retarde d'un jour la grande pacification du monde ».
Mais, sur le plan international, se posait avant tout la question des rapports entre la France et l'Allemagne. Inlassablement, Marc Sangnier défendit sa thèse : « A côté de l'Allemagne belliqueuse, prussianisée, intoxiquée par le venin du militarisme, il y a une autre Allemagne, l'Allemagne des travailleurs, et aussi l'Allemagne de certaines braves gens ». Ainsi, sans renoncer aux réparations matérielles auxquelles nous pouvions légitimement prétendre, fallait-il éviter de mener, vis-à-vis de l'Allemagne, une politique brutale comme celle que mena Poincaré.
Le 19 janvier 1922, au cours d'un interpellation, Marc Sangnier défendit l'entrée de l'Allemagne à la Société des Nations et se déclara partisan d'une collaboration internationale n'excluant ni l'Allemagne ni la Russie pour restaurer l'Europe. « Cherchez la fraternité entre les peuples et tout le reste, c'est-à-dire l'argent qui nous est dû, les réparations indispensables auxquelles nous ne pouvons pas renoncer, tout le reste nous sera donné plus sûrement que si nous avions voulu limiter notre effort et notre travail à une tâche toute matérielle ». Ce Jour-là comme souvent, ce furent la gauche et l'extrême gauche qui applaudirent ce chrétien, élu sur une liste de la droite modérée, composée de « patriotes » beaucoup plus terre à terre que lui... De plus en plus, l'indépendance de Marc Sangnier faisait de lui un « Paysan du Danube » qui n'avait sa place nulle part à la Chambre et qui, comme tous les « justes » dérangeait tout le monde.
Il faut croire qu'il dérangeait beaucoup l'extrême droite puisque les « camelots du Roi » en firent la victime d'une de leurs agressions violentes. Le lendemain Marc Sangnier, en reprochant au gouvernement son manque de fermeté à l'égard de l'Action Française, interpellait Léon Daudet en des termes dont la vigueur montre qu'il aurait pu, s'il avait voulu, se lancer dans la polémique : « La France n'est pas mûre pour le fascisme ; M. Daudet se trompe et il n'a ni la vigueur ni l'énergie d'un Mussolini. Il n'en apporte que la ridicule et pitoyable caricature ».
L'humanisme chrétien ne faisant pas recette, Marc Sangnier fut battu aux élections de 1924 auxquelles il s'était présenté à la tête d'une liste d'union républicaine pour la paix, ainsi qu'à celles de 1928 où il s'était présenté dans la 9e circonscription de Sceaux.
Cet échec ne l'empêcha pas de persévérer dans son effort pacifiste. Il avait fondé, en 1921, l'Internationale démocratique qui tint, pendant douze ans, dans les principaux pays d'Europe, des congrès dont le plus illustre fut celui de Bierville en 1926. Pourtant, ces rassemblements de milliers de pacifistes accourus à son appel ne rassuraient pas Marc Sangnier sans illusion sur l'indifférence et la lassitude de la masse des Français. « Ce qu'il faut, disait-il, c'est leur redonner l'espérance, c'est leur redonner la foi, foi dans la République, foi dans la démocratie et foi dans la paix ».
Que faire pour prendre de vitesse les nationalistes allemands et l'Action Française dont les attaques redoublaient ? Donner un rôle privilégie à la jeunesse. En 1930, Marc Sangnier introduisit en France le mouvement des Auberges de la jeunesse et c'est à Bierville, dont il avait déjà fait un centre international, qu'il fonda la première de ces auberges.
A Bierville encore, il accueillit en 1933 les premiers réfugiés allemands : en effet, est-il besoin de le dire, Marc Sangnier s'était trouvé au premier rang dans la lutte contre le racisme, contre l'antisémitisme et contre la dictature.
Grandeur et misère de l'éloquence désarmée au service d'une belle âme : en 1933, la dictature avait marqué un formidable point. La guerre n'allait pas tarder à consacrer la défaite de l'apôtre de la paix qui, jusqu'en 1939, dirigea contre vents et marées le journal l'Eveil des Peuples, en même temps que La Démocratie.
SANGNIER (Marc, Charles, François, Marie)
Né le 3 avril 1873 à Paris (7ème)
Décédé le 28 mai 1950 à Paris (7ème)
Député de la Seine de 1919 à 1924
Membre de la première et de la seconde Assemblée nationale (Seine)
Député de la Seine de 1946 à 1950
(Voir première partie de la biographie dans le Dictionnaire des parlementaires français 1889-1940 ; tome VIII, pages 2957 à 2957)
Son père Félix Sangnier (1854-1928) est un avocat devenu propriétaire rural à Flibeaucourt en Picardie. Sa mère, Thérèse Lachaud, est fille d’un célèbre avocat et petite fille de Jacques Ancelot, membre de l’Académie française dont l’épouse est l’animatrice d’un salon littéraire fréquenté par Alfred de Vigny. Au collège Stanislas qu’il fréquente de 1879 à 1894, Marc Sangnier fonde un cercle d’études, La Crypte, où se retrouvent des jeunes séduits par sa volonté de « planter le grand arbre du christianisme démocratique et social ».
Elève brillant, il obtient, en 1891, le premier prix de philosophie au concours général. A la suite d’une licence de droit, il entre à l’Ecole polytechnique en 1895, fait une année de service militaire à Toul, au cours de laquelle il développe déjà ses idées sur une armée démocratique. Ce chef charismatique, tribun à la grande éloquence, anime, dès 1894, Le Sillon, revue et mouvement d’inspiration chrétienne et démocratique qui invite à « aller au vrai avec toute son âme ». En 1905, un hebdomadaire, L’Eveil démocratique, permet de faire le lien entre tous les cercles d’études puis, en 1910, un quotidien, La Démocratie, est lancé.
Cette année-là, le pape Pie X, en raison de ce qu’il estime être une politisation croissante du mouvement, exige la dissolution du Sillon. Marc Sangnier se soumet et saborde le mouvement, mais « le Sillon disparu, il restait les sillonnistes ». En juillet 1912, il fonde la « Jeune République ». Titulaire de la croix de guerre 1914-1918, il est élu député de Paris en 1919 sur une liste du Bloc national, pour la première législature de l’après-guerre. Marié à Renée-Marie Bezanson, qui partage ses combats, il fonde une famille de trois enfants, Madeleine, Jean et Paul. Ce dernier meurt accidentellement en 1939. Animateur de l’Internationale démocratique qui tient, pendant douze ans, dans les principaux pays d’Europe, des congrès internationaux de la paix, il est maire de Boissy-la-Rivière de 1925 à 1929, commune où se trouve sa propriété de Bierville. Il prend une part très active à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et introduit en France le mouvement des Auberges de la Jeunesse en 1930 : il fonde le premier établissement français à Bierville, propriété devenue un centre international, lieu de grands rassemblements nationaux et mondiaux. Pendant l’Occupation, il offre les services de son imprimerie au Groupe de la rue de Lille. Il est incarcéré à Fresnes, le 18 février 1944, par la Gestapo avec tout le personnel de son imprimerie « La Démocratie ».
Le MRP lui offre, dès sa fondation, en novembre 1944, la présidence d’honneur. Celui-ci hésite et n’accepte qu’en octobre 1945 en raison du nombre de ses disciples présents dans ce Mouvement. En 1945, tête de liste MRP dans la 3ème circonscription de la Seine, il est élu député en compagnie de Paul Verneyras, journaliste, conseiller municipal de Paris et de Francine Lefebvre, ouvrière, grâce aux 119 472 suffrages obtenus. Il est devancé par la liste communiste emmenée par Florimond Bonte, Georges Cogniot, Auguste Touchard, Denise Beydet et qui recueille 163 512 suffrages. Les trois derniers sièges sont emportés par la liste SFIO d’André Le Troquer, forte de 111 153 voix. Sous la première Assemblée nationale constituante, Marc Sangnier est nommé membre de la commission de l’éducation nationale et des beaux-Arts, de la jeunesse, des sports et des loisirs. Il appartient aussi à la commission chargée de proposer des mesures de grâce amnistiante en Algérie. Il est membre également du Conseil provisoire de la jeunesse. Il est nommé juré à la Haute Cour de justice. Durant ce premier mandat parlementaire, il prend la parole une seule fois, au cours de la discussion des conclusions du rapport sur l’invalidation de Camille Laurens dans le département du Cantal. A cet égard, il prend position dans la discussion de la motion de son collègue Parent tendant à interdire la qualité de parlementaire aux porteurs de francisque.
En juin 1946, avec 103 216 suffrages, seule Francine Lefebvre, placée en seconde position, accompagne Marc Sangnier au Palais-Bourbon. Les communistes obtiennent quatre sièges, avec 158 677 voix, les socialistes deux sièges et la liste de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) un siège. En juin 1946, il retrouve la commission de l’éducation nationale et des beaux-arts, de la jeunesse, des sports et des loisirs. Il appartient également à la commission de l’intérieur, de l’Algérie et de l’administration générale, départementale et communale. Sous la deuxième Constituante, il intervient à trois reprises en séance publique. Le 8 août 1946, il participe au débat sur la réforme de l’organisation de la Haute Cour de justice dont il a été membre sous la première Constituante. Les 23 et 30 septembre 1946, il prend part à la discussion sur l’élection des membres de la Chambre des députés. Comme l’année précédente, il ne dépose aucun texte.
En novembre 1946, le MRP continue de perdre des voix, avec 94 493 suffrages, mais obtient, à la plus forte moyenne, un troisième siège revenant à Paul Verneyras. Le PCF triomphe avec 166 512 voix et quatre élus. Le Troquer pour la SFIO, Maillaud - dit Pierre Bourdan - pour l’UDSR, et Charles-Jean Schauffler pour le Parti républicain de la liberté (PRL) s’ajoutent à la liste des vainqueurs. Durant la première législature de la Quatrième République, il siège à la commission du règlement et du suffrage universel (1946-1950) et à la commission de l’éducation nationale (1946-1950). Il est vice-président de ce dernier aréopage, durant la même période. Au cours de ce troisième mandat, le 28 mars 1950, Marc Sangnier signe un rapport, au nom de la commission de l’éducation nationale, tendant à inviter le gouvernement à prendre les dispositions nécessaires pour assurer la conservation de l’ensemble du domaine de Port-Royal et en faciliter l’accès au public. Il prend la parole à quatre reprises, dans l’hémicycle du Palais-Bourbon. Dans la discussion du projet de loi portant fixation du budget d’équipement et de la construction pour l’exercice 1947, le 7 mars de cette année-ci, il défend un amendement pour rétablir un crédit de 80 millions pour les auberges de jeunesse, puis le retire. Au cours de la même discussion, il intervient sur un amendement réduisant les crédits pour le Jamboree mondial de la Jeunesse, le 22 juillet 1947. Pour le budget 1948, il intervient sur l’aménagement de locaux des mouvements de jeunesse, puis à nouveau sur la question des auberges de jeunesse (4 août 1948) et sur la restauration de monuments historiques privés, le même jour. Le 26 novembre 1948, il est également entendu dans la discussion d’un amendement de son collègue Rollon tendant à amnistier les mutilés des deux guerres, à la suite du dépôt d’une proposition de loi portant amnistie en matière de faits de collaboration.
A la suite de l’annonce de son décès, à l’Assemblée nationale, le 30 mai 1950, le président Edouard Herriot ponctue l’hommage particulièrement appuyé au député de la Seine, en saluant « cette âme évangélique, ce coeur pur, ce haut esprit ». « Marc », comme l’appellent ses amis, fait commandeur de la Légion d’honneur en 1946, est également titulaire de la médaille de Saint-Grégoire le Grand et de la Médaille de Charlemagne. Ses Discours sont rassemblés en dix tomes et ses oeuvres déposées au siège des Amitiés Marc Sangnier, boulevard Raspail à Paris.