Marc Scherer
1908 - 1980
SCHÉRER (Marc, Pierre, Nicolas)
Né le 22 juin 1908 à Quingey (Doubs)
Décédé le 31 mars 1980 à Tanger (Maroc)
Membre de la seconde Assemblée nationale constituante (Haute-Marne)
Député de la Haute-Marne de 1946 à 1951
Marc Schérer a parcouru le monde, de Budapest à Tanger, via Lima et Djakarta. Issu d’une modeste famille mi-lorraine, mi-franc-comtoise, avec un père représentant de commerce, Marc Schérer poursuit de brillantes études comme boursier de l’Etat au lycée de Besançon. Sa mère est femme au foyer et élève cinq enfants. Bachelier, il entre en hypokhâgne au prestigieux Lycée du Parc à Lyon, mais renonce à préparer le concours de l’Ecole normale supérieure pour passer d’abord une licence de philosophie dans la même ville, entre 1927 et 1929, puis un diplôme d’études supérieures de philosophie à Paris en 1931. Entre-temps, ce chrétien fervent devient secrétaire général de la toute récente Jeunesse étudiante chrétienne (JEC).
En 1938, il participe très activement à la création du lycée français de Budapest (Gödöllö), sur la décision des Œuvres françaises à l’étranger. Mobilisé en 1939, il est affecté en janvier 1940 au Lycée de Gödöllö pour sauvegarder cet établissement qui disparaît dans le siège de Budapest en 1945. En 1941, il enseigne au Lycée français de Barcelone après avoir été révoqué par le gouvernement de Vichy de l’Institut Français de la capitale catalane. Il se marie alors avec Odette Le Sage. Parallèlement, il devient, avec sa toute nouvelle épouse, délégué pour le gouvernement provisoire de la République française (GPRF) dans la province de Lérida, de juillet 1943 à janvier 1944.
En 1945, il entre au service du Mouvement républicain populaire (MRP) dans lequel il s’investit beaucoup. Il assure les fonctions de rédacteur en chef de l’Aube en 1945 jusqu’à ce que Louis Terrenoire, déporté revenu de Dachau, soit en mesure d’assurer ces fonctions. Il devient alors la cheville ouvrière de l’hebdomadaire du MRP, Forces Nouvelles, et siège au comité national du mouvement de 1946 à 1951. Il s’impose comme une figure intellectuelle majeure du MRP. Avec Albert Gortais et Jacques Madaule, il inaugure en 1947 le centre de formation des militants du mouvement par une conférence prononcée à la Sorbonne dans laquelle il stigmatise les contradictions doctrinales du marxisme ainsi que l’appauvrissement de la vulgate communiste en regard de la richesse de l’œuvre de Karl Marx. Déjà en 1937, il avait répondu à la politique de la main tendue de Maurice Thorez par des articles vigoureux publiés dans la revue dominicaine Sept.
Le MRP lui propose d’entrer en politique en prenant la tête de la liste démocrate-chrétienne en Haute-Marne, pour les élections de juin 1946. C’est un succès, puisque cette liste arrive en deuxième position, avec 21 809 suffrages, soit 24 % des voix. Le succès s’amplifie en novembre 1946 : la liste conduite par Marc Schérer recueille 28 655 suffrages, soit 33 % des voix. Il s’explique très vraisemblablement par l’absence d’une vraie liste de droite puisque les adversaires du MRP dans ce département sont le RGR, la SFIO et le PCF. Cinq ans plus tard, le MRP s’effondre, perdant 20 000 voix au profit du RPF, et Marc Schérer est battu, tout comme il le sera en 1956 avec 9,5 % des voix.
Durant son premier mandat, sous la seconde Constituante, il est membre de la commission de la Constitution. Il ne dépose aucun texte, mais intervient à deux reprises en séance publique. Il présente le rapport rituel que chaque député est chargé de rédiger sur les opérations électorales d’un département. Marc Schérer s’est occupé du territoire de la Côte-d’Ivoire et du département de la Charente-Maritime. Il participe aussi à la discussion du rapport sur la composition et l’élection des membres du Conseil de la République, le 27 septembre 1946.
Il s’investit davantage au Parlement, à l’occasion de son second mandat. Il siège à la commission des affaires étrangères durant toute la législature (1946-1951). Secrétaire de la commission (1946-1947 ; 1948-1949), il en est le vice-président entre 1949 et 1951. Membre suppléant, puis titulaire de la commission de la réforme administrative (1948-1949), il est désigné par la commission des affaires étrangères pour faire partie de la sous-commission chargée de suivre et d’apprécier la mise en œuvre de la convention économique européenne et du programme du relèvement européen. Il reste une année dans ces fonctions (1950-1951). Il est également membre de la commission chargée d’enquêter sur les événements survenus en France, de 1933 à 1945. Il est nommé juré de la Haute Cour de Justice en 1948.
Il met son expérience internationale à profit dans l’hémicycle puisqu’il s’investit quasi exclusivement dans les questions de politique étrangère, en particulier dans celles relatives à la construction européenne. Il se peut que cet engagement l’ait éloigné de ses électeurs champenois et explique en grande partie son échec de 1951. Il assume également les fonctions de conseiller technique de la délégation française à la Ve Assemblée générale de l’ONU en 1951 et de membre suppléant de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe, entre 1949 et 1951. Dès juin 1948, à l’issue du blocus soviétique de Berlin et des recommandations de Londres, il exhorte les députés à accompagner la création d’un Etat allemand. La France doit participer activement à la résolution de la question allemande. Suivre les injonctions patriotiques du RPF et du général de Gaulle, c’est, selon lui, non seulement contraindre la France à un splendide isolement à terme fatal pour sa politique étrangère, mais aussi compromettre durablement la réalisation des conditions de paix en Europe. Les intérêts de la France et ceux de l’Europe concordent donc pour Marc Schérer. Il fait également preuve d’atlantisme au moment où la France ratifie le Pacte Atlantique, car il ne faut pas se tromper d’adversaire : «Tout système politique totalitaire mène à la guerre en dépit de la volonté des hommes. En conséquence, nous devons éviter d’exposer notre civilisation à un péril mortel. Tant que l’Europe n’est pas faite, ce péril subsiste». Il tient ces propos lors de la réunion du groupe parlementaire MRP, le 25 juillet 1949.
Il dépose trois rapports, une proposition de loi et deux propositions de résolution, de 1951 à 1956. Son grand œuvre parlementaire consiste en un rapport présenté le 23 août 1948 au nom de la commission des affaires étrangères proposant la réunion d’une Assemblée constituante européenne. Il défend également, avec vigueur mais sans succès, l’adoption de la Convention européenne des Droits de l’homme, élaborée par le Conseil de l’Europe : il s’agit de la proposition de résolution du 20 octobre 1950 et du rapport du 10 novembre 1950.
La stratégie qu’il développe en ce qui concerne la construction européenne est proche de celle d’un Schuman ou d’un de Menthon. Il faut vouloir la perfection en maniant «l’art du possible» (16 juin 1948). La France doit savoir saisir toutes les opportunités et être la plus présente possible dans les questions européennes. Il milite ardemment pour que la question allemande soit traitée de facto comme une affaire proprement européenne. En 1950, il déclare que l’Allemagne doit «participer à sa place et sous la direction d’une autorité européenne à la défense commune de l’Europe libre» (22 octobre 1950). Il refuse donc d’aborder le débat de la Communauté européenne de défense (CED) à travers le prisme du réarmement allemand, comme le voudraient les adversaires du projet. Il préfère se placer dans un cadre continental. Le 2 décembre 1948, il prend part à la discussion des interpellations sur le statut de la Ruhr. Son ordre du jour appelle à regretter la décision Clay-Robertson invitant le gouvernement à faire connaître aux gouvernements anglo-américains, l’opposition du peuple français. Le 25 novembre 1949, il prend la parole lors des interpellations sur la politique à l’égard de l’Allemagne. Son ordre du jour demande l’internationalisation de la Ruhr, excluant l’Allemagne du Pacte atlantique, admettant l’Allemagne au Conseil de l’Europe et faisant confiance au gouvernement. Membre suppléant de l’Assemblée européenne, à partir du 26 juillet 1949, il est rapporteur des conclusions de la mission parlementaire sur les opérations électorales au Niger.
Enfin, ce militant européen refuse le rideau de fer qui mutile sa grande patrie, à savoir l’Europe. Il demande que la France célèbre avec éclat le centenaire de la mort de Chopin, symbole du lien entre la France et la Pologne et s’insurge que le gouvernement hongrois lui refuse un visa pour venir assister au procès du cardinal Mindszenty (8 février 1949), alors que le même jour, les Nouvelles équipes internationales présidées par Robert Bichet, qui regroupent des partis et personnalités démocrates-chrétiennes de toute l’Europe, ont solennellement protesté contre la détention du prélat magyar.
Après l’échec électoral de 1951, Marc Schérer continue à sillonner le monde comme diplomate : conseiller culturel à Djakarta de 1953 à 1962, puis à Lima de 1962 à 1965, il occupe les fonctions de directeur du centre culturel français et d’attaché culturel auprès du Consulat général à Tanger de 1965 à 1973. Ses attaches en France semblent faibles et il décide de rester au Maroc où il meurt sept ans plus tard, le 31 mars 1980.