Robert Schuman
1886 - 1963
* : Un décret de juillet 1939 a prorogé jusqu'au 31 mai 1942 le mandat des députés élus en mai 1936
Deux fonds d’archives de Robert Schuman sont conservés aux Archives départementales de la Moselle sous la cote 34J et 36J. Le premier fonds (34J) est constitué de papiers et photographies de Robert Schuman donnés en 1983 par Henry Beyer, ancien directeur de cabinet de Robert Schuman au Parlement européen (1961-1970). Le fonds contient quelques pièces relatives à l’activité parlementaire de Robert Schuman durant l’entre deux guerre mais l'essentiel se rapporte à la période postérieure à 1945. Le deuxième fonds (36J) est constitué de papiers et photographies de Robert Schuman donnés, en 1983, par Maître Edmond Moppert, bâtonnier honoraire du barreau de Metz, conseiller municipal de Metz avant 1940. En août 1944, il fut chargé de mettre en place un commandement civil provisoire dans le secteur de l’arrondissement de Metz-ville et il assura la gestion municipale de Metz jusqu’au retour de l’ancien maire en novembre 1944. Lui et son épouse étaient amis de Robert Schuman depuis 1920.
Aux Archives départementales de Moselle, on trouvera dans les différentes séries des documents relatifs à l’activité politique de Robert Schuman :
- Série M – Administration générale et économie du département (1918-1940) avec des documents sur les élections législatives (303M53-58).
- Série T – Instruction publique (1918-1940) avec notamment une intervention de Robert Schuman (3T7).
- Sous-série 24Z – Sous-préfecture de Metz-campagne avec des archives sur les partis politiques entre 1918 et 1934 (24Z44).
- Sous-série 57Z – Sous-préfecture de Thionville avec des documents relatifs à la visite d’une délégation parlementaire dans le département en 1939 (27Z3) ainsi qu’aux élections législatives, sénatoriales et cantonales (27Z11, 14-16).
- Dans la série W, on trouve plusieurs archives en lien avec Robert Schuman. Sous la cote 1386W, il s’agit d’archives de la maison d’arrêt de Metz avec notamment son dossier de détenu politique de 1940. Plusieurs autres documents concernent son activité politique et, sous les cotes 1545W146-150, on trouve un dossier intitulé « Robert Schuman ».
Les Archives départementales de Moselle conservent d’autres fonds privés dans lesquels sont répertoriés des lettres échangées avec Robert Schuman : fonds du Grand séminaire de Metz (19J), fonds de l’évêché de Metz (29J), fonds Paul Caspard, syndicaliste CFDT (35J), papiers du chanoine Alphonse Meyer (40J), papiers de Me Moppert (41J), papiers de l’abbé Louis Pinck (42J).
Les Archives de l’Assemblée nationale ont versé aux Archives nationales plusieurs documents relatifs à l’activité parlementaire de Robert Schuman dont les documents de la commission d’Alsace-Lorraine (1919-1936). Membre de cette commission et comparatiste des droits français et allemand, il y a souvent assuré les fonctions de rapporteurs.
On trouvera également aux Archives nationales des documents relatifs au commissariat général au plan (80 AJ, 81 AJ et 82 AJ), ainsi que le fonds du Secrétariat général du Gouvernement et des services du premier ministre, coté F/60, qui contient des documents se rapportant aux activités parlementaires et ministérielles de Robert Schuman.
Les Archives diplomatiques conservent, dans la collection de fonds dénommée Papiers d’agents-archives privées, les papiers de Robert Schuman (73PA/AP).
On trouvera aussi des documents au sein des fonds d’archives de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe à Lausanne.
Enfin des documents concernant Robert Schuman et les institutions européennes sont conservés aux archives du Parlement européen à Luxembourg. Robert Schuman a en effet été Président de l’Assemblée parlementaire européenne de 1958 à 1960
Les Archives historiques de l’Union européenne (AHUE) à Florence, qui ont pour vocation la collecte des dépôts et collections privées de personnalités ayant exercé un rôle important dans la constitution de l’Europe, conservent également des documents relatifs à Robert Schuman.
Né le 29 juin 1886 à Luxembourg (Grand-Duché de Luxembourg).
Député de la Moselle de 1919 à 1942. Sous-secrétaire d'Etat aux Réfugiés du 21 mars au 12 juillet 1940.
Issu d'une vieille famille lorraine qui avait quitté le village d'Evrange après la défaite de 1870, Robert Schuman naquit en 1886 à Luxembourg. A l'Athénée de cette ville, puis à Metz, il fit de brillantes études secondaires au cours des quelles il se familiarisa aussi bien avec l'allemand qu'avec le français.
Très tôt, il fut sensibilisé au déchirement que l'histoire avait imposé aux départements annexés : Pourquoi ces uniformes étrangers dans les rues ? Pourquoi, sur les affiches, ces lois plus contraignantes pour la vie privée des citoyens que les lois françaises ? Orientant ses études supérieures dans une direction qui devait lui permettre de répondre à ces interrogations, Robert Schuman alla suivre des cours d'histoire et de droit dans les Universités de Bonn, de Munich et de Strasbourg.
A 24 ans, il revint à Metz, docteur en droit, s'intéressant tout particulièrement à l'étude comparée des droits germanique et romain. Il s'installa dans cette ville comme avocat - plaidant en allemand- et devint président diocésain de la jeunesse catholique jusqu'à la défaite allemande.
En novembre 1919, son souci du bien public le conduisit à se présenter à la députation sur la liste d'union républicaine lorraine. Il fut élu avec 62.089 voix sur 96.986 suffrages exprimés, à la cinquième place sur huit noms. En 1924, il passe premier de liste, avec 59.180 voix sur 114.880 votants, devant de Wendel, au demeurant élu, lui aussi. En 1928, il affronta l'épreuve du scrutin uninominal et remporta, au second tour, une difficile victoire sur le candidat communiste dans la circonscription de Thionville-Est avec 8.115 voix sur 14.734 votants contre 6.325 suffrages à Fritsch, son adversaire. En 1932, il distança Fritsch dès le premier tour en obtenant 10.068 voix sur 14.743 suffrages exprimés. Aux élections de 1936, succès comparable : 8.510 voix sur 15.436 votants dès le premier tour.
Député inscrit au groupe de l'union républicaine démocratique, Robert Schuman s'occupa d'abord du plus pressé : l'avenir des trois départements reconquis par la France. Membre de la commission d'Alsace-Lorraine, commission qu'il présida à partir de 1928, il déposa un certain nombre de projets visant à réintroduire la législation française dans les provinces de l'Est. Il rapporta également divers projets relatifs au paiement des pensions, à l'organisation de la justice et des professions judiciaires ainsi qu'à l'application des lois civiles et commerciales françaises en Alsace-Lorraine.
Au cours de la discussion budgétaire de 1920, il expliqua comment il concevait la réintégration des trois départements dans la Nation française : « Nous voulons, en principe, une adaptation progressive de notre organisation locale, l'introduction progressive de la législation française, mais certains sont d'avis que nous devrions avoir hâte de jeter par-dessus bord tout ce que nous avons de particulier dans nos institutions qui, disent-ils (...) viennent d'outre-Rhin et qui, pour cette seule raison, ne méritent pas d'être respectées. C'est, à mon avis, une double erreur...»
« Pendant l'annexion, ajouta-t-il, nous ne vivions pas exclusivement d'importation étrangère. Notre Parlement, nos conseils généraux, nos conseils municipaux ont pris des initiatives heureuses, créé ou inspiré des institutions que nous croyons utiles et qui ont pris racine dans la population. »
C'est en ces termes que se manifestait l'objectivité de l'historien.
« Dans ces matières d'ordre essentiellement pratique, nous sommes réalistes, habitués à juger les choses d'après leur valeur intrinsèque, sans trop nous préoccuper de leur origine. » Cette phrase témoigne d'un souci des réalités caractéristique de l'homme d'action. Objectivité et réalisme conduisirent Robert Schuman à demander une réduction du budget affecté à l'Alsace-Lorraine. Il estimait, en effet, qu'on pouvait faire des économies en réduisant, dans ces provinces, le nombre des hauts fonctionnaires venus de Paris après la victoire, car ils faisaient double emploi avec les fonctionnaires locaux, recrutés à l'époque de l'annexion.
Et le jeune député concluait, de façon nuancée et décidée tout à la fois, « Bien sûr, il peut y avoir, il y a souvent un intérêt supérieur d'unification auquel nous sacrifions volontiers nos préférences et nos habitudes, mais nous désirons que cet intérêt soit nettement établi dans chaque cas ».
Au cartel des gauches, il reprocha son autoritarisme unificateur et son sectarisme antireligieux. Le 10 juin 1924, il s'opposa violemment à Herriot alors président du Conseil sur les questions scolaires et religieuses. Pourquoi le gouvernement s'apprêtait-il à semer la dis corde et l'inquiétude en introduisant l'ensemble des lois religieuses et scolaires françaises dans les trois départements recouvrés ? Une telle mesure allait contre le droit : à Herriot qui prétendait que le Concordat était tombé en désuétude, Robert Schuman, en juriste averti, démontra que la loi de germinal an X resterait en vigueur jusqu'au jour où elle serait expressément rapportée par une loi française.
La liberté religieuse, Robert Schuman la défendit à maintes reprises et notamment en 1934, lorsqu'il exprima son désaccord avec ceux qui étaient partisans de tenir compte, dans les écoles d'Alsace-Lorraine, des options philosophiques des instituteurs. En effet, les non-croyants, parmi ces derniers, se voyaient obligés de faire un choix pénible : ou bien respecter leurs obligations en dispensant l'enseignement religieux prévu par le Concordat ; ou bien violer les engagements impliqués par leurs fonctions en laissant de côté cet enseignement. Lorsqu'il fut question de légaliser la deuxième solution, le député de Thionville protesta avec vigueur : allait-on aussi permettre aux instituteurs non patriotes de supprimer l'enseignement des droits civiques tels qu'on les concevait dans l'ordre établi à l'époque ? Si le gouvernement démissionnait de la sorte, ce serait l'anarchie dans les écoles publiques. Respect scrupuleux des règlements, disparition des personnalités derrière leurs fonctions : c'est à ce prix que l'ordre serait maintenu ; et l'ordre, dans les écoles d'Alsace-Lorraine, c'était l'application du Concordat et le refus du monopole exercé par l'école laïque, point sur lequel Robert Schuman ne transigea jamais. Tout en s'attachant avant tout à sauvegarder l'originalité des provinces de l'Est, il s'intéressa à d'autres questions. Membre de la commission de la législation civile et criminelle, il s'occupa, en particulier, de la réorganisation de l'administration pénitentiaire et rapporta, en 1930, le projet relatif à cette réforme.
En 1928, le porte-parole des députés d'Alsace-Lorraine élargit encore le champ de ses activités puisqu'il devient membre de la commission des finances, au sein de laquelle on le choisit pour rapporter un certain nombre de budgets, notamment celui de la Justice pour 1933.
En matière financière, comme dans les autres domaines, Robert Schuman exigeait cohérence, fermeté et réalisme. C'est pourquoi, il douta de la politique menée par le Front populaire après la dévaluation de 1936, il manifesta en ces termes sa méfiance à l'égard de Vincent Auriol, alors ministre des Finances : « Etes-vous décidé à affronter même l'impopularité dans la politique financière que vous aurez à poursuivre ? » Il estimait, avec juste raison, que le succès de la dévaluation supposait que l'on appliquât une rigoureuse politique de déflation à l'intérieur du pays et il craignait que le gouvernement Léon Blum se laissât aller à la démagogie.
Admettre l'occupation des usines par les grévistes, c'était, à ses yeux, faire preuve de démagogie. « Il faut que, en toute circonstance, l'autorité de l'Etat s'affirme de telle façon qu'elle contraigne non seulement les individus, mais aussi les groupements à la respecter et qu'elle ne tolère aucune abdication, même passagère, en faveur d'aucune organisation, syndicale ou autre.» Un an plus tard, en 1937, Robert Schuman s'éleva contre le monopole exercé, en fait, par la C.G.T. Prenant la défense du syndicalisme chrétien, il suggéra, en matière de conciliation et d'arbitrage, que l'on recherchât dans chaque département les organisations patronale et ouvrière les plus représentatives pour leur donner un rôle déterminant.
Opposé aux socialistes, aux communistes, aux radicaux, Robert Schuman était-il, pour autant, hostile au progrès social ? Assurément non. Plus encore que des propositions de loi à but social, nous en convainquent sa rupture, en 1931, avec le groupe des amis de Louis Marin et le fait qu'il rejoignit la mince cohorte des démocrates populaires. Toutefois, pour lui, une politique sociale, toute avancée qu'elle fût, devait s'inscrire dans l'ordre démocratique, sans remettre en cause les libertés traditionnelles.
Lorsque les ligues nationalistes menacèrent les institutions républicaines, Robert Schuman, bien entendu, se montra déterminé à lutter contre les factions d'extrême droite. Cependant, une fois encore, il fit preuve d'une circonspection très caractéristique : à quoi bon se défendre contre certains ennemis de la liberté si, ce faisant, on prenait des mesures qui risquaient, à leur tour, de mettre cette liberté en danger ? « Nous sommes disposés à armer les pouvoirs publics en vue de la sauvegarde de l'ordre et de la République, mais nous voulons les armer chacun dans sa compétence. Il est de tradition constante, dans la législation française, de déléguer au pouvoir judiciaire le droit de sauvegarder la liberté individuelle et la liberté d'association... Je redoute que le pouvoir exécutif, qui est essentiellement politique et changeant, n'arrive à des conclusions, à des interprétations inadmissibles et contraires à la volonté du législateur. » Ainsi Robert Schuman exprimait-il sa défiance à l'égard d'un exécutif par nature enclin à sortir des règles législatives. Cette défiance, Il l'exprima chaque fois qu'une situation paraissait justifier, aux yeux des gouvernements un empiètement quelconque sur les libertés et sur les droits des citoyens. Par exemple, en 1936, au moment des nationalisations, il en appela à la prudence de ses collègues « On me dit que s'élabore une légalité nouvelle. Ce que je sais, c'est qu'au-dessus de la légalité, il y a la justice, qui, elle, reste, qui est une et égale pour tous, toujours. C'est cette justice qui est garantie à tous les citoyens par la Déclaration de 1791 ». On ne saurait mieux exprimer une conception morale et humaniste de la politique. Même en 1939, Robert Schuman invita le gouvernement à ne pas profiter des préparatifs de guerre pour abuser de la procédure des pleins pouvoirs qui lui permettait d'échapper au contrôle parlementaire.
Inutile de préciser que son intransigeance en matière de liberté empêcha Robert Schuman de nourrir les moindres illusions sur la nature du régime hitlérien. A partir de 1933, il ne mit plus les pieds en Allemagne, alors qu'il avait pris l'habitude de s'y rendre fréquemment après 1919.
1940 : les Alsaciens-Lorrains, les premiers reprirent le chemin de l'exode de façon à laisser libre la ligne Maginot. Pour les accueillir, il fallut tout improviser. Paul Reynaud confia à Robert Schuman le sous-secrétariat d'Etat aux Réfugiés, poste que celui-ci occupa jusqu'au 12 juillet 1940. Après la signature de l'Armistice, il avait conservé ses fonctions dans l'espoir de porter secours à ses « compatriotes » à nouveau déchirés. Bien qu'ayant voté, le 10 juillet, les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, pris de doute, il démissionna deux jours plus tard. « J'ai quitté le gouvernement de l'Armistice au bout de quelques jours parce que je n'avais pas confiance en cette formule. »
Voir aussi :
- Biographie de la IVe République
- Biographie de la Ve République
SCHUMAN (Jean-Baptiste, Nicolas, Robert)
Né le 29 juin 1886 à Luxembourg
Décédé le 4 septembre 1963 à Scy-Chazelles (Moselle)
Député de la Moselle de 1919 à 1942
Membre de la première et de la seconde Assemblée nationale constituante (Moselle)
Député de la Moselle de 1946 à 1958
Sous-secrétaire d’Etat aux réfugiés du 21 mars au 12 juillet 1940
Ministre des finances du 26 juin au 16 décembre 1946 et du 22 janvier au 24 novembre 1947
Président du Conseil du 24 novembre 1947 au 26 juillet 1948
Ministre des affaires étrangères du 26 juillet 1948 au 8 janvier 1953
Garde des Sceaux, ministre de la justice du 23 février 1955 au 1er février 1956
Robert Schuman est le fils de Jean-Pierre Schuman, propriétaire terrien et rentier, fait prisonnier par les Allemands en 1870, et d’Eugénie Duren, luxembourgeoise et catholique convaincue. Les Schuman s’installent au Luxembourg, pays dans lequel naît leur fils Robert, en 1886. Ce dernier est très affecté par le décès de son père, en 1900 : il n’a alors que quatorze ans. Il est encore plus durablement marqué par la mort accidentelle de sa mère dont il est très proche, en 1911, à la suite d’un accident de voiture à cheval. Cet évènement semble avoir conditionné sa vie d’homme ; il ne cache pas, dans la correspondance qu’il entretient avec ses cousins, qu’il ne pourrait pas se relever de ce drame. Son célibat est en partie lié à cette disparition. Après une scolarité primaire et secondaire à Luxembourg, puis à Metz, il fait des études de droit et soutient une thèse de droit privé en 1910. Installé dans la ville-préfecture de la Moselle, de 1912 à 1914, il exerce dans un cabinet d’avocat et devient président diocésain de la jeunesse catholique. Alsacien-lorrain, sujet de l’Empire allemand sous l’uniforme duquel il combat pendant la Grande Guerre, Robert Schuman ne devient français qu’en 1918, à l’âge de 32 ans. Il s’inscrit à nouveau au barreau de Metz, en 1922, et y demeure jusqu’en 1963.
Elu député de l’Union républicaine lorraine en novembre 1919, réélu en 1924, il doit attendre le second tour en 1928 pour triompher de l’opposition communiste dans la circonscription de Thionville-Est. Par la suite, il est réélu facilement au premier tour en 1932 et 1936. Parlementaire actif, inscrit au Parti démocrate populaire (PDP) à partir de 1931 seulement, il préside la commission d’Alsace-Lorraine de 1928 à 1936, se montrant vigilant sur la sauvegarde du statut religieux et scolaire des deux départements. Il est élu conseiller général du canton de Cattenom en 1937. Dès septembre 1939, il s’occupe des 200 000 mosellans évacués dans le Sud-Ouest de la France, devient sous-secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil, chargé des réfugiés dans le gouvernement Reynaud en mars 1940 et le demeure dans le cabinet Pétain du 16 juin 1940. Il vote les pleins pouvoirs, mais décide de ne pas entrer dans le nouveau gouvernement constitué le 12 juillet. Ayant refusé de « coopérer » en Moselle avec l’autorité allemande, il est emprisonné avant la fin de 1940 à Metz, puis placé en résidence surveillée, dans le pays de Bade, à Neustadt. Après son évasion en août 1942, il mène une vie clandestine dans des orphelinats et des couvents jusqu’à la Libération.
Ayant fait l’objet d’un non-lieu qui lui rend son éligibilité en septembre 1945, il est, in extremis, candidat aux élections à la première Assemblée nationale constituante. Il y est élu député sous l’étiquette « Union lorraine » en octobre, avec trois autres colistiers, Robert Sérot, Jules Thiriet, agriculteur, et Emile Engel, menuisier, en rassemblant 103 264 suffrages. Il rejoint alors le Mouvement républicain populaire (MRP), dont il devient le président de la fédération mosellane. Il est choisi comme président de la commission des finances dès novembre. Il intervient aussitôt dans la discussion sur la nationalisation de la Banque de France et des grandes banques, puis sur la loi de finances. Il prend ainsi la parole à dix-neuf reprises, après avoir déposé deux propositions de loi et une proposition de résolution - trois textes à caractère économique et financier.
En juin 1946, alors qu’il est devenu président du Conseil général de Moselle, il est élu député à la deuxième Constituante, avec trois autres républicains populaires dont Joseph Schaff, inspecteur SNCF. Il obtient 111 312 voix. Il entre à la commission des finances et du contrôle budgétaire dans la foulée de son élection et devient ministre à la même titulature, le 24 juin 1946, dans le gouvernement Bidault jusqu’en novembre, puis dans le cabinet Ramadier, de janvier à novembre 1947. Il publie l’Inventaire de la situation financière qu’il a mis en place avec son directeur de cabinet, François Bloch-Lainé, et qui contribue à stabiliser les finances publiques. Il crée l’aide aux économiquement faibles en septembre 1946, réalise le reclassement des fonctionnaires, double les pensions de guerre et fait voter la loi sur les dommages de guerre sans amputer la politique familiale. Sous la deuxième Constituante, le ministre des finances intervient dix-huit fois en séance pour expliquer cette politique économique. Durant cette courte période, il dépose vingt projets de loi.
Réélu facilement en compagnie de trois autres républicains populaires en novembre 1946, grâce aux 115 705 voix recueillies par sa liste, il reçoit l’investiture de l’Assemblée comme président du Conseil, le 22 novembre 1947, par 412 voix contre 186, après l’échec d’un gouvernement de « troisième force » proposé par Léon Blum. Soucieux d’arrimer la France au bloc occidental avec le plan Marshall, il veille à respecter les équilibres financiers sur le plan budgétaire avec le projet de prélèvement exceptionnel de lutte contre l’inflation, présenté le 20 décembre, et qui fait l’objet à cinq reprises d’un recours à la question de confiance. Il doit faire face à la pression gaulliste et surtout aux communistes, avec les « grèves insurrectionnelles ». Robert Schuman réussit à rétablir la sérénité, et à faire revenir l’ordre dans le pays, sans effusion de sang. Le décret cosigné par Germaine Poinso-Chapuis et lui-même, sur les subventions scolaires pour familles en difficulté, en juillet, rompt le pacte avec les socialistes, sur la question laïque : son gouvernement, alors en sursis, tombe le 25 juillet 1948.
Il devient ministre des affaires étrangères du 26 juillet 1948 au 5 septembre suivant, dans le cabinet Marie et, après un court intermède où il est chef du gouvernement et de la diplomatie française, du 5 au 10 septembre, il demeure aux affaires étrangères sous les cabinets Queuille (septembre 1948-octobre 1949), Bidault (octobre 1949-juin 1950), Queuille II (juin-juillet 1950), Pleven (juillet 1950-mars 1951), Queuille III (mars 1951-juillet 1951), Pleven (août 1951-janvier 1952) Edgar Faure (janvier-mars 1952) et Antoine Pinay (mars 1952-janvier 1953), de septembre 1948 à janvier 1953, soit plus de quatre ans en responsabilité au Quai d’Orsay, dans une Europe marquée par le coup de Prague en 1948. Il signe, au nom de la France, le traité de l’OTAN, le 4 avril 1949, après avoir participé à la mise en place du Conseil de l’Europe en janvier 1949. Pour arrimer l’Allemagne à l’Europe, sur impulsion américaine, il propose, le 9 mai 1950, un plan plaçant la production du charbon et de l’acier sous une haute autorité commune, dans une organisation ouverte à tous les pays de l’Europe occidentale, mais qui n’en regroupe alors que six : la France, l’Italie, la RFA et le Benelux. Ce traité instituant la CECA est signé le 18 avril 1951. Il est fortement inspiré par les réflexions et les travaux de Jean Monnet. Hostile au réarmement allemand, Robert Schuman accepte le « plan Pleven » d’armée européenne, même s’il le trouve prématuré. Alors que, dans une déclaration du 10 juin 1950, il évoque la possibilité pour la Tunisie d’aller « vers l’indépendance », il doit couvrir l’aggravation de la guerre d’Indochine, puis les répressions en Tunisie en janvier 1952, celles du Maroc en août 1953. Il soutient certaines prises de position de Pierre Mendès France avec lequel il demeure en contact par l’intermédiaire de l’Express. Aussi, membre de neuf gouvernements successifs, président du Conseil de deux d’entre eux, Robert Schuman dépose-t-il, en quatre années, cent-trente-cinq projets de loi et cinq lettres rectificatives. Durant cette première législature de la Quatrième République, il intervient à cent-douze reprises : cinquante-deux fois comme ministre des finances, trente-deux fois comme président du Conseil, vingt-sept fois comme ministre des affaires étrangères et une fois seulement comme député, dans la période – très courte – durant laquelle il n’est pas ministre.
Réélu, en juin 1951, en tête de la liste d’Union lorraine où se retrouvent MRP et Indépendants et paysans, il n’obtient que 89 299 voix, alors que la liste du Rassemblement du peuple français (RPF) de Raymond Mondon en recueille 122 331. En 1955, il change d’affectation ministérielle, en devenant garde des Sceaux dans le cabinet d’Edgar Faure, du 23 février 1955 au 24 janvier 1956. Membre du comité ministériel restreint pour les affaires de l’Afrique du Nord, il est présent à la conférence d’Aix-les-Bains qui marque le retour du roi du Maroc et oeuvre à la libération des parlementaires malgaches. Président du Mouvement européen en juin 1955, il se rallie à la dissolution du Parlement. Au cours de la législature 1951-1956, le ministre Schuman dépose quarante-trois projets de loi, quelle que soit son affectation ministérielle. Il retrouve le travail parlementaire de député de la Moselle en 1953 et 1954 et pose une proposition de résolution, le 13 août de cette année-là. Ainsi, durant la deuxième législature de la Quatrième République, Robert Schuman intervient-il à neuf reprises comme ministre des affaires étrangères, quatorze fois comme garde des Sceaux et trois fois comme député.
Réélu grâce aux 94 197 voix avec trois colistiers en janvier 1956, il est membre de la commission des affaires étrangères, de 1956 à 1958. Il est élu représentant de la France à l’Assemblée unique des Communautés européennes, le 13 mars 1958, assemblée qu’il préside. Il ne dépose qu’une proposition de loi sur le monopole des tabacs en Alsace et en Lorraine, le 19 septembre 1957. Il intervient trois fois en séance : sur le Maroc d’abord, discussion dans laquelle il montre la nécessité de voter une loi pour autoriser la ratification des conventions franco-marocaines et définir le statut de l’armée française au Maroc ; sur la politique extérieure du gouvernement, plus globalement ensuite, au sujet de laquelle il juge inacceptable la retraite des troupes alliées d’Allemagne, compensant un retrait des troupes russes de Hongrie et de Pologne ; il souhaite enfin la création d’un conseil permanent des ministres européens, comme l’élection d’une Assemblée européenne du suffrage universel direct et soulève le problème posé par l’unification de l’Allemagne.
Inquiet devant le retour du général de Gaulle quant à l’avenir de la politique européenne, il vote cependant en faveur de l’investiture « du plus illustre des Français », le 1er juin. Candidat du MRP aux élections législatives de 1958, il est élu le 23 novembre dans la quatrième circonscription de la Moselle et s’associe à toutes les motions de censure. Il entreprend des voyages, à Jérusalem, puis à Rome en octobre 1959 où il est atteint par un début de sclérose des artères cérébrales. En mars 1960, il renonce à son mandat européen, et, en janvier 1961, venu passer les fêtes de Noël dans sa maison de Scy-Chazelles, en Moselle, il est à nouveau touché. Par la suite, il demeure très affaibli au point de ne pas se représenter aux législatives en 1962. Son ouvrage Pour l’Europe, publié en 1963, récapitule le combat de sa vie. Dans cet homme « grand, maigre, voûté, le nez immense, semblant être né vieux » mais dont le regard révèle, selon Etienne Borne, « une intemporelle jeunesse de coeur », le socialiste protestant André Philip, qui l’a précédé au ministère des finances, voit « le type même du vrai démocrate, imaginatif et créateur, combatif dans sa douceur, toujours respectueux de l’homme, fidèle à une vocation intime qui donnait le sens à la vie ». Robert Schuman disparaît le 4 septembre 1963.
Voir aussi :
- Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940
- Biographie de la Ve République
SCHUMAN (Jean-Baptiste, Nicolas, Robert)
Né le 29 juin 1886 à Luxembourg
Décédé le 4 septembre 1963 à Scy-Chazelles (Moselle)
Député de la Moselle 1919 à 1940 et de 1945 à 1962.
Sous-secrétaire d’Etat aux réfugiés du 21 mars au 12 juillet 1940
Ministre des finances du 26 juin au 16 décembre 1946 et du 22 janvier au 24 novembre 1947
Président du Conseil du 24 novembre 1947 au 26 juillet 1948
Ministre des affaires étrangères du 26 juillet 1948 au 8 janvier 1953
Garde des Sceaux, ministre de la justice du 23 février 1955 au 1er février 1956
Robert Schuman a exercé les plus hautes responsabilités sous la Quatrième République. Président du Mouvement européen (25 juin 1955) puis président de la première Assemblée parlementaire européenne réunie à Strasbourg (19 mars 1958), il redoute le retour au pouvoir du général de Gaulle, qui présente à ses yeux un danger pour l’avenir de la construction européenne. Lorsque le nom du général est acclamé à Alger, le 13 mai 1958, il ne peut retenir ces mots désespérés : « Je n’ai plus qu’à mourir. » Il vote tout de même l’investiture, le 1er juin, mais il écrit : « Jamais, à l’occasion d’un vote parlementaire, je n’ai vécu un tel déchirement et éprouvé de doutes aussi douloureux. »
Candidat aux élections de novembre 1958 sous l’étiquette du Mouvement républicain populaire et de la Démocratie chrétienne à Thionville, dans la quatrième circonscription de la Moselle, il reconnaît dans sa proclamation électorale que « les anciennes institutions se sont révélées incapables de rénover notre vie politique » et que « le général de Gaulle a eu le grand mérite personnel de restaurer l’autorité de l’Etat. » Il accorde donc tout son appui au père de la Vème République, dont il attend notamment la résolution du problème algérien et la poursuite de la politique de construction européenne. La campagne électorale est pénible pour ce septuagénaire à la santé fragile. « La lutte était dure, même haineuse », écrit-il le 4 décembre.
Il est cependant élu triomphalement dès le premier tour dans cette circonscription qui est la sienne depuis quatre décennies, recueillant 22 138 suffrages sur 32 672 exprimés, contre 6 073 au socialiste Nicolas Schuller et 4 461 au communiste Georges Schmidt. La liste MRP n’ayant obtenu que 11 583 voix (sur 35 695 exprimés) en 1956 dans les limites de la même circonscription, on peut en conclure que Robert Schuman a réuni sur son nom, outre les électeurs chrétiens-démocrates, ceux du parti radical et de la droite libérale. Membre de la Commission des affaires étrangères tout au long de la législature, il n'intervient qu'une seule fois en séance, pour commenter la déclaration de politique étrangère du gouvernement, insistant sur la nécessité de ne pas reconnaître la RDA et sur le maintien de l'équilibre des forces entre l'Est et l'Ouest. Cette intervention du 30 avril 1959 est sa dernière au Palais-Bourbon. Il se consacre plus activement à sa fonction de président de l’Assemblée parlementaire européenne, multipliant à partir de mars 1958 les voyages et les conférences aux quatre coins de l’Europe. A Rome, à l’automne 1959, il est obligé d’interrompre une conférence de presse, premier symptôme d’une sclérose progressive des artères cérébrales. Une nouvelle alerte, en janvier 1961, l’oblige à réduire considérablement ses activités. La dernière satisfaction du « Père de l'Europe», titre que lui décerne les parlementaires de Strasbourg au moment de son départ de la présidence, en mars 1960, est la visite d’Etat effectuée en Allemagne par le général de Gaulle en septembre 1962. Mais, à cette époque, il est définitivement alité chez lui, à Scy-Chazelles, victime de la maladie qui va l’emporter. Dans l’impossibilité de se représenter aux élections de novembre 1962, quarante-trois ans jour pour jour après sa première élection parlementaire, il envoie une lettre à ses électeurs lorrains afin de leur exprimer sa reconnaissance : « Votre fidélité sera la fierté de ma vie. » Il n’aura malheureusement pas la satisfaction de voir élu son ex-suppléant Georges Ditsch, candidat du MRP, battu au second tour par l’Indépendant Maurice Schnebelen. Au lendemain de sa disparition, le 4 septembre 1963, le général de Gaulle salue « l’éminente contribution qu’il apporta à la cause de l’Europe unie. » Le pape Paul VI envoie un télégramme assurant qu’il « priera pour le repos éternel du disparu. » Prononçant son éloge funèbre dans la séance du 1er octobre 1963, Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée nationale, salue « le politique intègre, l’homme d’Etat scrupuleux, l’Européen convaincu, confondus en une même personne. » Un procès en béatification de Robert Schuman a été ouvert par l'Eglise catholique en 1991.
Voir aussi :
- Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940
- Biographie de la IVe République