Pierre Ségelle
1899 - 1960
SÉGELLE (Pierre, Jean, Clovis)
Né le 11 septembre 1899 à Médéa (Algérie)
Décédé le 8 octobre 1960 à Paris (16ème)
Membre de la première et de la seconde Assemblée nationale constituante (Loiret)
Député du Loiret de 1946 à 1958
Ministre de la santé publique et de la population du 17 décembre 1946 au 22 janvier 1947
Ministre du travail et de la sécurité sociale du 28 octobre 1949 au 7 février 1950
Pierre Ségelle est né le 11 septembre 1899 à Médéa. Fils d'un médecin militaire, il suit l'itinéraire du foyer, faisant ainsi étape à Montpellier, Paris et même en Allemagne, en 1914, où il se retrouve interné civil quelques mois. De retour en France, il entre au collège de Pontlevoy (Loir-et-Cher), son père s'étant installé comme chirurgien dentiste à Amboise. Il obtient, en 1916, un bac littéraire, mais ne se destine pas aux métiers des lettres. Il s'oriente vers des études scientifiques et choisit la médecine.
En 1918, il est mobilisé comme médecin auxiliaire de l'armée d'Orient et il ne revient à la vie civile qu'en 1920, date à laquelle il reprend ses études en intégrant la faculté de médecine de Paris. Il en ressort diplômé, docteur en médecine. En 1929, Pierre Ségelle débute sa carrière comme médecin généraliste de campagne, mais les déplacements inhérents à ce métier altèrent rapidement son état de santé et le contraignent à s'installer à Orléans où il va exercer différentes fonctions successives (médecin-adjoint de l'hôtel-Dieu d'Orléans, puis médecin-chef de service, poste qu'il occupe de 1932 à 1938 et enfin médecin-chef des services sociaux de la sécurité sociale d'Orléans).
Sous le régime de Vichy, Pierre Ségelle manifeste rapidement son refus de l'occupant, soigne des prisonniers de guerre évadés et fait passer un parachutiste canadien en Espagne. Ses premiers signes de résistance lui valent une première arrestation classée sans suite, faute de preuves. Il rejoint le réseau orléanais du mouvement national "Libération Nord" par l'intermédiaire de son ami Roger Secrétain et en devient l'un des chefs de file. Regroupant des personnes de divers horizons mais essentiellement de sensibilité de gauche ou centre gauche (André Dessaux, Pierre Chevallier, Robert Goupil, Paul Sougy et Robert Bothereau entre autres), ce groupe se charge de l'accueil des évadés, du renseignement, de la préparation des parachutages, ainsi que de la conception des faux papiers. Au delà des préoccupations immédiates liées au contexte de guerre, il aspire également à la construction de l'après-guerre politique.
A la suite du démantèlement du réseau en octobre-décembre 1943, Pierre Ségelle est interpellé, conduit au siège de la Gestapo puis emprisonné à la prison d'Orléans. Il est ensuite transféré à Compiègne où il médite déjà sur la réorganisation civile d'Orléans après la Libération, rédigeant avec ses amis de détention une note confiant à Pierre Chevallier le soin d'administrer la ville en attendant le retour d'André Dessaux. Ce dernier succombera malheureusement des suites de sa déportation. Lors de son internement, Pierre Ségelle fait preuve d'une conduite et d'un dévouement exemplaires envers les autres internés, comme ce sera d'ailleurs le cas en Allemagne. De Compiègne, il est déporté à Dachau, Dora et Ellrich. Il recevra le titre symbolique de "déporté exemplaire".
Libéré à la fin du mois de mai 1945, il revient éprouvé des camps de concentration, mais se consacre activement à perpétuer la mémoire de ses compagnons disparus et à défendre la reconnaissance statutaire des rescapés des camps de la mort. Dans le département du Loiret, il fonde l'Amicale des Anciens Déportés, Internés et Familles (ALADIF). Il est également président de l'Amicale Nationale des Déportés de Dora et d'Ellrich et vice-président de la Fédération Nationale des Anciens de la Résistance.
C'est avec un dynamisme tout aussi exemplaire qu'il débute sa carrière politique d'homme de gauche. Il est d'abord délégué à l'Assemblée consultative provisoire à Paris en 1945 où il est nommé le 29 juillet membre de la commission de la France d'Outre-mer, de la commission de la réforme de l'Etat et de législation et de la commission du travail et des affaires sociales. Puis, investi par le parti socialiste SFIO, il conquiert un siège de député en 1945, siège qu'il conservera jusqu'en 1958 conformément à sa ligne de conduite politique.
Lors des élections de la première Assemblée nationale nonstituante du 21 octobre 1945, il mène en effet la liste SFIO du Loiret, liste qui arrive en troisième position derrière les listes communiste et MRP avec 30 169 voix sur 168 999 suffrages exprimés. Il est nommé membre de la commission des pensions civiles et militaires et des victimes de la guerre et de la répression et de la commission du travail et de la sécurité sociale. Fort de ses expériences personnelles et professionnelles, il fait preuve d'une activité parlementaire particulièrement intense. Il dépose quatre propositions de loi et huit rapports visant à défendre les droits à la reconnaissance et à la réparation des victimes civiles de la guerre (déportés politiques, réfractaires, maquisards, évadés et veuves de guerre). L'organisation administrative de la sécurité sociale constitue son deuxième champ d'intervention au cours de ce mandat, comme ce sera d'ailleurs le cas pour les suivants.
Au cours de cette première Assemblée nationale constituante, il vote, le 24 avril 1946, en faveur du projet de loi relatif à la nationalisation de certaines sociétés d'assurances et à l'industrie des assurances en France.
Lors de la seconde Constituante, il mène de nouveau la liste de la SFIO dans le département du Loiret. Avec 26 987 suffrages sur les 176 567 exprimés, le parti socialiste termine en quatrième position derrière le Mouvement républicain populaire (MRP), les listes communiste et d'union républicaine radicale et radical-socialiste, perdant ainsi plus de 3 000 voix par rapport aux dernières élections. Pierre Ségelle est de nouveau nommé membre des deux commissions parlementaires auxquelles il appartenait et poursuit avec vigueur son travail de reconnaissance des droits propres aux anciens combattants et victimes civiles de la guerre, en multipliant les rapports et interventions sur cette question. Il dépose vingt-quatre textes : huit propositions de loi, cinq propositions de résolution, huit rapports, deux rapports supplémentaires et un avis. Il prend la parole à cinq reprises en séance. Il défend notamment un amendement, le 6 août 1946, sur le projet de loi fixant le régime des prestations sociales. A une reprise, il remplit les fonctions de rapporteur, le 4 octobre 1946, dans la discussion du projet de loi portant réorganisation des contentieux de la sécurité sociale et de la mutualité sociale agricole. Sa lutte pour la défense des droits sociaux reste donc très marquée, comme l'attestent ses multiples propositions de loi : proposition de loi du 18 juillet 1946 tendant à accorder aux mères qui élèvent seules leurs enfants des avantages particuliers au titre de l'allocation de salaire unique et des allocations familiales; proposition de loi du 20 août 1946 tendant à modifier la loi du 25 février 1946 relative à la rémunération des heures supplémentaires de travail en accordant le paiement des majorations prévues par cette loi, aux heures de dérogations permanentes; proposition de loi du 17 septembre 1946 visant à l'institution d'un salaire minimum progressif, et ses nombreux rapports sur l'organisation de la sécurité sociale.
Député sortant, il est en tête de liste de la SFIO aux élections législatives du 10 novembre 1946. Il obtient 22 625 voix sur 169 879 suffrages exprimés, son parti arrivant en quatrième position, assez loin derrière les listes du Rassemblement des gauches républicaines (RGR), du parti communiste et du MRP. Pierre Ségelle siège alors dans de nombreuses commissions : celle du travail et de la sécurité sociale (1946-1951), dont il devient vice-président (1948-1950), celle de la famille, de la population et de la santé publique (1947-1951), celle des territoires d'Outre-mer (1948-1949). Il se retrouve plusieurs fois désigné pour statuer ou représenter l'Assemblée nationale au sein de commissions sur les textes portant généralisation de la sécurité sociale (1947), l'assurance vieillesse (1947) et les divers régimes de prestations familiales (1951). Il est également nommé juré à la Haute Cour de justice, le 1er juin 1948.
Il accepte le ministère de la santé publique et de la population dans le cabinet Léon Blum, du 17 décembre 1946 au 22 janvier 1947 et celui du travail et de la sécurité sociale, dans le cabinet Georges Bidault, du 28 octobre 1949 au 7 février 1950.
L'importance de ses nominations est à la hauteur du nombre de ses interventions écrites et orales. Pierre Ségelle multiplie en effet rapports, propositions de lois, discussions et allocutions, tantôt en qualité de ministre, tantôt en qualité de député. Comme ministre, toutes affectations ministérielles confondues, il défend sept projets de loi et intervient à huit reprises, durant le cabinet Bidault. Comme député, c’est le cas pour soixante six textes, de 1947 à 1951 : vingt-quatre propositions de loi ; dix propositions de résolution, vingt-quatre rapports, quatre rapports supplémentaires et quatre avis. Le député socialiste du Loiret intervient à trente reprises en séance publique, en défendant notamment treize amendements. Il remplit aussi la fonction de rapporteur à dix reprises : les 28 février 1947, 6 février, 4 août, 16 septembre, 5 août et 26 septembre 1948, 1er mars, 22 mars, 14 avril et 31 mai 1949.
Il milite toujours activement pour la défense des droits des anciens combattants et victimes de guerre et celles des assurés sociaux (notamment des étudiants et des personnes âgées). Sa fonction de ministre de la santé publique et de la population l'amène à prendre position sur des questions proprement médicales - lutte contre les maladies vénériennes, thermalisme et institution du service national dentaire infantile - et d'intérêt général - allocation radiodiffusée du 18 janvier 1947 sur la baisse des prix et la baisse générale des services de santé destinée à alléger la dette de la sécurité sociale, proposition de loi visant à la suppression du droit de sceau en matière de naturalisation -. Son action au ministère du travail et de la sécurité sociale accroît son investissement sur la législation et l'organisation de la sécurité sociale et le droit du travail, au même titre d'ailleurs que son appartenance à la commission de la famille, de la population et de la santé publique. Pierre Ségelle peut être ainsi considéré comme l'un des pères fondateurs de la sécurité sociale sous son aspect actuel.
Au cours de cette première législature de la Quatrième République, il s'exprime en faveur des écoles privées des Houillères nationales (14 mai 1948), du Conseil de l'Europe (9 juillet 1949) et de la ratification du Pacte de l'Atlantique (26 juillet 1949), mais s'oppose à la proposition de loi Thamier relative aux unions familiales et au décret Poinso-Chapuis (10 juin 1948).
Lors des élections législatives du 17 juin 1951, Pierre Ségelle est toujours en tête de liste du parti socialiste SFIO et parvient à maintenir son siège de député en obtenant 19 089 voix sur 167 492 suffrages exprimés. La liste majoritaire du département du Loiret reste celle de l'Union du Rassemblement des gauches républicaines (RGR), du parti radical et radical-socialiste et de l'Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), qui conquiert trois sièges. Le dernier siège à pourvoir est ravi par la liste d'action sociale, familiale et rurale. Il rappelle, tout au long de la campagne électorale, la lutte nécessaire contre les positions gaullistes et communistes "antidémocratiques" et réaffirmé celles du parti socialiste soucieux de la lutte anticapitaliste, de la reconstruction et de la modernisation du pays, de la lutte en faveur des travailleurs, du maintien de la laïcité de l'Etat, de la nationalisation de l'enseignement et d'une politique internationale pacifiste et respectueuse des droits de l'homme dans laquelle l'Organisation des Nations unies (ONU) doit tenir une place prépondérante.
Il retrouve sa place au sein de la commission de la famille, de la population et de la santé publique (1951-1955), devient vice-président de la commission du travail et de la sécurité sociale (1951-1952). Il est aussi nommé, pour représenter l'Assemblée nationale, au sein du Comité supérieur de la sécurité sociale, le 28 août 1951. Il dépose deux propositions de loi, quatre propositions de résolution et cinq rapports. Il intervient à trois reprises en séance publique et défend un amendement sur une proposition de loi portant amnistie. Il souhaite en faire bénéficier les déportés résistants, le 26 février 1953. Fidèle à ses engagements personnels et politiques, son activité parlementaire reste donc centrée sur la législation du régime des pensions civiles et militaires, la réglementation des actes et des professions du corps médical (réglementation des professions de visiteur médical et d'opticien-lunetier détaillant; revalorisation des vacations de médecins appelés en consultation pour les congés de longue durée des fonctionnaires et réglementation des examens sérologiques du diagnostic de la syphilis) et sur la réforme et le redressement financier du régime général de la sécurité sociale.
Pierre Ségelle suit les principales consignes de vote du groupe socialiste, en s'opposant aux lois Barangé et Marie (septembre 1951), aux investitures d’Antoine Pinay (mars 1952), de Joseph Laniel (juin 1953) et d’Edgar Faure (février 1955), aux diverses mesures prises sur l'Indochine (octobre 1953, mars et juin 1954), ainsi qu'à la question de confiance posée contre la proposition de la conférence des présidents repoussant le débat sur la date des élections et le projet de réforme électorale (novembre 1955). En revanche, il se prononce en faveur de l'échelle mobile des salaires en septembre 1951, sur laquelle il intervient à l'Assemblée en soulignant l'accroissement de la productivité grâce aux nationalisations, de la question de confiance à propos de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), soutient l'investiture de Pierre Mendès France (juin 1954), le retrait de l'ordre du jour de la ratification du traité de Paris instaurant la Communauté européenne de défense (CED, août 1954), l'entrée de la République fédérale d’Allemagne (RFA) dans l'Organisation du traité Atlantique-Nord (OTAN, octobre 1954), la ratification des accords de Paris (décembre 1954) et la question de confiance sur la situation en Afrique du Nord, en novembre 1955.
Aux élections législatives du 2 janvier 1956, Pierre Ségelle reste le leader incontestable du parti socialiste dans le département du Loiret. Il obtient 26 785 voix sur 183 140 suffrages exprimés, arrivant ainsi en seconde position derrière le candidat du parti communiste et regagnant près de 7 700 voix par rapport aux élections de 1951. Nommé de nouveau membre de la commission de la famille, de la population et de la santé publique (1956-1958), il appartient aussi à la commission des pensions (1956-1957) et à celle des boissons (1957-1958). Il dépose deux propositions de loi, une proposition de résolution et un rapport, mais n’intervient pas en séance. Il rédige une proposition de loi visant à accorder aux communes possédant des sources minérales un droit de préemption en cas de vente par les propriétaires privés, le 5 juin 1956. Les questions propres au domaine de la santé restent tout de même le socle principal de ses interventions, notamment celles relatives à la législation de la profession médicale (proposition de loi des 13 décembre 1956 et rapport 28 février 1957 tendant à modifier l'article 488 du Code de la santé publique sur les masseurs kinésithérapeutes) et aux urgences sanitaires (proposition de loi du 27 décembre 1956 invitant le Gouvernement à prendre les dispositions nécessaires pour permettre une collaboration sanitaire française en faveur du peuple hongrois).
Au cours de son mandat, il vote les investitures de Guy Mollet (janvier 1956), de Félix Gaillard (novembre 1957) et de Pierre Pflimlin (mai 1958) et leur accorde sa confiance, voire les pouvoirs spéciaux sur la question algérienne, comme il l'a accordée à Maurice Bourgès-Maunoury (juin 1956). Il soutient la ratification des traités instituant la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA), le 9 juillet 1957. Favorable à la décision de révision de certains articles de la Constitution en mai 1958, il vote, le 1er juin, l'investiture du général de Gaulle et lui accorde les pleins pouvoirs, le lendemain.
Tout au long de la Quatrième République, Pierre Segelle conjugue, en dépit d'un état de santé somme toute fragile, politique nationale et locale, tenant ainsi une place importante au Parlement, au gouvernement et à la tête de la ville d'Orléans pendant près de treize ans.
Elu conseiller municipal en 1947, il devient en effet maire d'Orléans en 1954, à la suite d’une crise ouverte à l'Hôtel de Ville due à l'assassinat de Pierre Chevallier. Il conserve cette fonction jusqu'en mars 1959, date à laquelle le changement de mode de scrutin écarte les membres du parti socialiste de la mairie. Durant son mandat municipal, la ville d'Orléans connaît de profondes modifications urbaines : reconstruction du pont Joffre, embellissement floral de la ville, campagne d'EDF pour l'éclairage d'Orléans, ville pilote, mise en service des autobus urbains. Il est aussi à l'origine d'un important programme de constructions d'HLM et de nombreux groupes scolaires.
Au scrutin de mars 1959, les voix orléanaises se portent en majorité sur la liste conduite par Henri Duvillard et Pierre Gabelle, tandis que son état de santé périclite rapidement.
Représentant de la France auprès de la Commission Internationale pour le Service International de Recherches (novembre 1956), Pierre Ségelle reste l'une des figures marquantes du Loiret de par son passé de résistant, ses qualités professionnelles, sa notoriété politique et une large ouverture d'esprit.
Commandeur de la Légion d'honneur, il est également titulaire de la croix de guerre (1939-1945), de la croix de déporté résistant, de la croix de combattant volontaire de la résistance, de la croix de guerre polonaise. Il est élevé au grade de commandeur de la santé publique.
Père d'une fille, Jeannine, Pierre Ségelle s'est éteint dans une salle commune d'un hôpital parisien, le 8 octobre 1960.