Jacques Rabemananjara

1913 - 2005

Informations générales
  • Né le 23 juin 1913 à Moroantsetra (Madagascar)
  • Décédé le 2 avril 2005 à Paris (Paris - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Quatrième République - Assemblée nationale
Législature
Ire législature
Mandat
Du 10 novembre 1946 au 4 juillet 1951
Département
Madagascar
Groupe
Mouvement démocratique de la révolution malgache

Biographies

Biographie de la IVe République

RABEMANANJARA (Jacques)
Né le 23 juin 1913 Moroantsetra (Madagascar)
Décédé le 2 avril 2005 à Paris

Député de Madagascar de 1946 à 1951

Jacques Rabemananjara, grand acteur de la scène politique malgache, aura été un parlementaire discret. Elu le 10 novembre 1946 à la première Assemblée nationale de la Quatrième République, il n’a jamais siégé au Palais-Bourbon, à la suite de son arrestation en avril 1947 et de son emprisonnement jusqu’en 1956. Cependant, il a siégé à la commission de la presse, du 28 janvier au 18 juillet 1947. Il a appartenu à la commission de la production industrielle, aux mêmes dates.
On peut dire qu’avec lui, les paradoxes commencent dès la naissance. Né le 23 juin 1913 à Maroantsetra, en pays betsimisaraka, il a toujours revendiqué son appartenance à cette ethnie côtière, celle de sa mère, fille d’un grand notable local. Mais, point généralement ignoré, il était aussi merina par son père, issu de l’aristocratie andriana des Hautes terres. Il y a là sans doute une première clé d’explication du caractère du personnage. Bemananjara Totoasidy, ses nom et prénom originels, furent respectivement mérinisé et francisé pour devenir Rabemananjara Jacques, symbole du double saut culturel que l’intéressé dut réaliser. Comme nombre d’intellectuels et hommes politiques africains de sa génération, il doit aux missionnaires la possibilité d’accéder plus tard aux études supérieures. De 1927 à 1935, il est élève au petit, puis au grand séminaire de Tananarive. Mais en 1935, il lâche la prêtrise pour entrer dans l’administration à Tananarive, et entreprend parallèlement une carrière d’homme de lettres. Pour lui, ses deux ambitions, littéraire et politique, n’en font qu’une. Elles sont mues, toutes les deux, par « la volonté de m’affirmer authentiquement malgache dans mon insertion, dans mon adaptation au monde moderne par l’acquisition de la civilisation et de la culture françaises ». Il fonde et dirige à Tananarive la Revue des Jeunes de Madagascar, noue des liens étroits avec le grand poète Jean-Jacques Rabearivelo, qui se suicide en 1937. Mais Rabemananjara, lui, réussira à assumer les exigences contradictoires de sa personnalité multiple, au prix d’accusations sévères et répétées : « expert en double langage » ou « caméléon politique ». En fait, au-delà de l’impulsivité et de la versatilité de son tempérament, Rabemananjara est à ranger dans la galerie de ces élus africains qui, de Diagne à Sekou Touré, se sont vus qualifier de schizophrènes politiques par l’historien américain Wesley-Johnson, tant ils offraient deux visages différents, suivant qu’ils étaient sur le terrain parmi leurs compatriotes, ou à Paris dans les milieux parlementaires ou intellectuels.
Tout en animant une « union de la jeunesse malgache », Rabemananjara, qui a gagné la confiance du gouverneur général Cayla, profite de l’octroi du droit syndical par le Front Populaire pour devenir secrétaire du nouveau syndicat des fonctionnaires malgaches. A ce titre, en 1938, il prononce le remerciement à la France, à l’occasion des cérémonies qui suivent le décret Mandel de 1938 élargissant l’accès des Malgaches à la citoyenneté française. En 1939, il part en France comme délégué au cent-cinquantième anniversaire de la Révolution française. Il obtient d’y rester pour faire une licence de lettres à la Sorbonne, tout en occupant un emploi au ministère des colonies, à la direction des affaires politiques et au cabinet de Georges Mandel, qui lui fait obtenir la citoyenneté en juillet 1939. En octobre 1940, replié à Vichy, il travaille au service des prisonniers de guerre coloniaux. Le 21 novembre 1941, il fait à Radio-Vichy une conférence sur l’évolution malgache. Mais, plus que les circonstances de cette rencontre, qui ne suffisent pas à faire de lui un vichyssois comme l’ont prétendu les communistes, c’est la péroraison de son dithyrambe à la gloire de la France qui devait faire ricaner ses adversaires de tous bords : « Si, par sa beauté, Madagascar est devenu méconnaissable aux yeux de ses propres enfants, dites-vous bien que la France l’a simplement modelé à son image ».
De retour à Paris en 1942, il continue de travailler aux émissions coloniales à la radio et affirmera avoir monté un « réseau de résistance intellectuelle » avec des Antillais, Africains et Indochinois. A la Libération, il travaille au ministère des prisonniers de guerre, et noue des liens avec Senghor et Alioune Diop. Il devient un animateur de la revue Présence Africaine. A son procès, il parlera comme Senghor : « Nous voulons bien assimiler les qualités occidentales, mais nous ne voulons pas nous laisser assimiler ». Il se révèle un polémiste virulent quand, dans le cahier Passages de l’histoire, il s’en prend violemment au colonialisme, à l’église catholique, à François Mauriac et à l’amiral Thierry d’Argenlieu, le moine-soldat, haut-commissaire de France en Extrême-Orient qui « aurait troqué, paraît-il provisoirement, la bure de Saint Jean de la Croix contre un sabre et un bicorne d’amiral. »
En juillet 1945, avec quelques compatriotes établis en France, comme le Docteur Raherivelo, il crée un « comité permanent de surveillance et de défense des intérêts malgaches » qui milite pour l’égalité des droits et charges entre Malgaches et Français. Cette initiative lui vaut d’accueillir à Paris, en décembre 1945, les nouveaux députés malgaches, Ravoahangy et Raseta, élus à la Constituante et déjà symboles de la lutte nationale aux yeux de leur peuple. Rabemananjara se met à leur service. Il a déjà écrit le manifeste du parti qu’ils vont créer en février 1946, le MDRM, mouvement démocratique de la rénovation malgache, dont le nom exprime bien son ambition de conduire un risorgimento malgache, une rénovation autant culturelle que politique. Rabemananjara rédige les statuts du nouveau parti de concert avec un jésuite progressiste, le Père Dunan, et il en devient secrétaire général. Il participe à la rédaction de la fameuse proposition de loi des deux députés demandant, le 21 mars 1946, pour Madagascar, le statut d’Etat libre dans l’Union française. Il doit, tout au long de 1946, se battre sur deux fronts : dans une négociation avec les partis politiques français pour faire accepter la proposition de loi, qui finit par passer à la trappe ; et contre les nationalistes extrêmistes à Madagascar, qui réclament l’indépendance totale et suspectent Rabemananjara d’être à l’origine de la modération nouvelle des députés, voire d’être à la solde du ministère des colonies, rumeur que les communistes se chargeront de propager.
Quand Madagascar reçoit, pour les élections législatives à venir, un troisième siège de député autochtone, Rabemananjara s’impose comme candidat. Dans le choix effectué par Ravoahangy, ses qualités intellectuelles, son activité, son aisance et ses relations dans le milieu parisien ont été déterminantes, mais aussi sans doute sa qualité de côtier dissimulant une ascendance d’aristocrate merina. Rabemananjara retourne donc à Madagascar après une absence de près de huit ans. Le 10 novembre 1946, il est élu dans la nouvelle circonscription de la côte Est, détachée de l’ancienne circonscription de Ravoahangy. Mais il fait nettement moins bien que ce dernier aux élections précédentes, tout en obtenant 66 % des voix, contre 33 % à son adversaire du PADESM, Pascal Velonjara. Il juge alors nécessaire de s’imposer en se faisant mieux connaître de ses électeurs. Il fait aussi l’expérience des obstacles et brimades diverses que l’administration locale multiplie sur le terrain lors de ses déplacements. Enfin, il est confronté aux premières tentatives de résistance populaire excitées par les militants du MDRM en pays tanala et betsimisaraka. Tout cela explique sa décision de rester à Madagascar et d’entreprendre, de janvier à mars 1947, une série de tournées sur la côte Est, au cours desquelles, de Fénérive à Vangaindrano, il multiplie les kabary (harangues) très durs, qui sont ensuite présentés comme une prédication de la révolte. L’accusation de comportement irresponsable est cependant à nuancer. Les appels à la violence ont été surtout le fait de ses compagnons, Alexis Bezaka et Max Tata, tandis que le thème dominant de Rabemananjara est un éloge ambigu des Français, pour leur patriotisme et leur résistance à l’occupation allemande, éloge assorti d’un appel aux Malgaches à les imiter. Mais il n’est pas douteux que la créativité verbale du poète et son impulsivité l’aient conduit, devant des auditoires surexcités, à des mots et des images qui dépassaient sa pensée.
Un autre fondement de l’accusation, lors de son procès, est son rôle dans la fameuse réunion des cadres du MDRM qu’il présida le 27 mars 1947 à Tananarive. Le télégramme d’appel au calme qu’il rédigea alors aurait été, a-t-on-dit, un texte codé ordonnant de déclencher la révolte le 29 mars. Même si un doute subsiste, il est vraisemblable qu’il s’agit là d’une interprétation policière et d’une machination montée en avril 1947, accompagnée de sévices sur les inculpés, pour faire tomber l’état-major du MDRM.
Rabemananjara est arrêté, comme Ravoahangy, le 12 avril 1947, malgré son immunité parlementaire, sur le fondement d’un argument juridique discutable, le « flagrant délit continu ». La levée de l’immunité n’est votée que le 1er août 1947 par le Parlement, sur les conclusions d’une commission présidée par Maurice Viollette et dont le rapporteur est le futur président René Coty. A la suite du « procès des parlementaires » tenu à Tananarive de juillet à septembre 1948, Rabemananjara est condamné aux travaux forcés à perpétuité. C’était là un verdict essentiellement politique, car dès le début du mois d’avril 1947, le pouvoir colonial pensait, très justement, que le MDRM légaliste s’était fait noyauter et manœuvrer par la société secrète JINA, véritable instigatrice de la révolte, contre laquelle Rabemananjara, blessé dans son orgueil par la manipulation dont il avait été l’objet, devait garder une rancune tenace.
Le bagne de Nosy-Lava jusqu’en avril 1955, puis la prison des Baumettes à Marseille ne mettent nullement fin à son rôle politique. Les ex-parlementaires enfermés exercent un véritable magistère moral et politique sur un mouvement national qui fait de leur amnistie et de leur libération l’axe principal de son action. Rabemananjara, pour sa part, porte les espoirs des catholiques, dont l’Eglise se rallie officiellement à l’idée d’indépendance en 1953. En novembre 1955, il reçoit ainsi aux Baumettes la visite de Mgr Sartre, vicaire apostolique de Tananarive. En mars 1956, il est libéré, mais astreint à résidence en France. Désormais, ses prises de position sur le complexe échiquier politique malgache vont exprimer ses préférences pour un compromis raisonnable. Aux législatives de 1956, il apporte sa caution à un Européen libéral, Roger Duveau. Aux municipales de la même année, il pousse à l’unité d’action entre nationalistes durs et modérés. Il juge la loi-cadre comme un progrès, même s’il n’y voit qu’une étape. En 1958, il critique l’intransigeance du nouveau parti AKFM qui se veut l’héritier du MRDM. Il appuie le ralliement à Tsiranana de ses anciens lieutenants, Alexis Bezaka à Tamatave et Justin Bezara à Diego-Suarez. Cette attitude modérée permet à Tsiranana de réaliser son coup de maître de juillet 1960 : ramener les exilés au pays dans le mois qui suit l’indépendance, et consolider un pouvoir que l’on croyait voué à passer aux extrémistes. Le ralliement de Rabemananjara permet aussi à Tsiranana de neutraliser l’hostilité que l’Eglise avait jusque là témoignée à son parti social démocrate (PSD) laïc.
Rabemananjara peut alors, à la tête d’une liste d’union aux élections législatives de septembre 1960, se réinstaller comme homme fort de Tamatave, dont il va aussi bientôt contrôler le conseil provincial et la municipalité. En octobre 1960, il entre dans le nouveau gouvernement comme ministre de l’économie nationale. En 1967, il prendra le portefeuille des affaires étrangères.
Durant toute la Première République (1960-1972), son prestige s’affirme beaucoup plus sur le plan international qu’à l’intérieur, où il est en butte à des attaques pas toutes désintéressées. Leader de l’aile droite, libérale et chrétienne du PSD, parti qu’il a rejoint en 1962, et candidat potentiel à la succession de Tsiranana, il est pris à partie par l’aile gauche du mouvement, qui défend un socialisme étatiste et lui impute la crise du riz de 1964, aggravée par de douteuses spéculations. Mais il est aussi la cible de l’opposition protestante et marxisante de l’AKFM (Parti du Congrès de l’indépendance de Madagascar), qui le présente comme un agent des Jésuites et des trusts étrangers, notamment à l’occasion de l’affaire des Grands moulins de Dakar en 1967-1968, spéculation sur le ciment, la farine et le vin. L’AKFM pro-soviétique s’en prend aussi à une politique extérieure anticommuniste et trop compréhensive vis-à-vis des Etats-Unis et de leur guerre au Vietnam. Mais Rabemananjara sait envelopper habilement ses prises de position dans un discours humaniste, qui lui fait par exemple condamner en 1968 le régime de Mobutu et les dictatures militaires qui fleurissent en Afrique. Avec la France, la réconciliation est complète et le poète est devenu, à l’égal de son ami Senghor, un héraut de la francophonie qui proclame que « la langue française n’appartient plus à la France seule ». En octobre 1988, l’Académie Française lui décerne, un peu tard, le grand prix de la francophonie.
A Madagascar, son rôle depuis 1960 a fait oublier les services rendus auparavant à la cause nationale. En 1972, il est l’une des personnalités les plus discréditées du régime, et la révolution socialiste tiers-mondiste des années 1972-1975 le met à l’écart. Il se retire alors à Paris. Régulièrement sollicité de fournir son témoignage sur le drame de 1947, il s’est toujours retranché, pour éluder ses responsabilités, dans une défense impossible, accusant d’authentiques patriotes, comme Samuel Rakotondrabe, fusillé par les Français, de n’avoir été que des agents provocateurs au service d’un complot monté par la sûreté coloniale contre le MDRM. Cette position, qui a trouvé un large écho en France auprès de journalistes ignorants, n’a fait qu’accentuer son discrédit à Madagascar. En 1991-1992, il sort de sa retraite pour tenter un retour sur la scène malgache, qui ne rencontre pas le moindre succès. En fait, il appartenait déjà à l’histoire.