Joseph Raseta

1886 - 1979

Informations générales
  • Né le 9 décembre 1886 à Marovoay (Madagascar)
  • Décédé le 5 octobre 1979 à Tananarive (Madagascar)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Gouvernement provisoire de la République française
Législature
Ire Assemblée nationale constituante
Mandat
Du 21 octobre 1945 au 10 juin 1946
Département
Madagascar
Régime politique
Gouvernement provisoire de la République française
Législature
2e Assemblée nationale constituante
Mandat
Du 2 juin 1946 au 27 novembre 1946
Département
Madagascar
Régime politique
Quatrième République - Assemblée nationale
Législature
Ire législature
Mandat
Du 10 novembre 1946 au 4 juillet 1951
Département
Madagascar
Groupe
Mouvement démocratique de la révolution malgache

Biographies

Biographie de la IVe République

RASETA (Joseph, Delphin)
Né le 9 décembre 1886 à Marovoay (Madagascar )
Décédé le 5 octobre 1979 à Tananarive (Madagascar )

Membre de la première et de la seconde Assemblée nationale constituante (Madagascar)
Député de Madagascar de 1946 à 1951

Joseph Raseta est l’une des figures marquantes du nationalisme malgache au XXème siècle. Mais sa personnalité reste difficile à cerner, tant l’homme est resté secret. Retranché dans la pratique du double langage, il a adopté des positions parfois souples et modérées, souvent rigides.
Par ses origines, Joseph Raseta est un grand Hova, du groupe des Tsimahafotsy de la vieille capitale royale d’Ambohimanga. Ces roturiers, jadis au service du souverain pour contrôler l’aristocratie andriana, devinrent l’une des composantes de l’oligarchie maîtresse du royaume merina au XIXème siècle. Son grand-père était officier du Palais et commandant d’armes à Majunga dans la guerre contre les Français en 1883-1885. Son père, deka (aide de camp) du premier ministre Rainilaiarivony, servit également comme gouverneur dans cette même province du Boina, où le jeune Joseph-Delphin naît en 1886, à Marovoay. Il fait donc partie de ces Merina provinciaux qui, sous la colonisation, et en particulier en 1947, ont été le premier vecteur du militantisme national malgache. Chez Joseph Raseta, ce sentiment fut certainement renforcé par son mariage avec une non-merina, originaire du sud-ouest de l’île.
Après une scolarité à Tananarive aussi bien chez les Frères des écoles chrétiennes (catholiques) qu’au collège des quakers de la Friends foreign mission abroad (FFMA), il est reçu à l’école de médecine de Tananarive dont il sort diplômé en 1908. De 1909 à 1922, il est médecin fonctionnaire de l’Assistance médicale indigène (AMI). Il est en poste à Ambositra (pays betsileo) quand, en octobre 1915, lors d’un congé à Tananarive, il adhère à la VVS (Vy, Vato, Sakelika : « fer, pierre, ramification »), une association clandestine d’étudiants rêvant d’un réveil culturel, moral et politique de Madagascar. Un procès abusif et expéditif pour complot contre l’Etat, au début de 1916, condamne les protagonistes de la VVS, mais Joseph Raseta échappe à toute poursuite, probablement en raison d’une adhésion tardive et d’une déposition très circonstanciée. Après 1947, cette dernière devait étayer le soupçon suivant lequel il aurait collaboré avec la sûreté coloniale, et accréditer la thèse de l’insurrection de 1947, comme résultat d’une manipulation policière.
En 1922, Joseph Raseta quitte l’AMI et s’établit comme médecin libre à Tuléar, où il jouit rapidement d’une bonne réputation chez les Européens comme chez les Indiens. En 1926, il devient le correspondant, dans le sud de Ralaimongo, de son journal, L’Opinion de Diego Suarez, principal organe de résistance anticoloniale à Madagascar. La surveillance tatillonne et les persécutions répétées dont il est l’objet de la part de l’administration vont contribuer à le radicaliser. Il est poursuivi en 1927 pour délit forestier, en 1929, en 1930 pour souscription non autorisée (c’est-à-dire, collecte de cotisations) en faveur de Ralaimongo. Une perquisition à son domicile montre qu’il est en relation avec le « comité de défense de la race nègre », groupement communiste, en métropole. En 1933, défendant un village dont des terres ont été concédées à un colon, il traite de « décret scélérat » le décret foncier de 1926 : il est alors condamné pour outrage au gouverneur général, à 500 francs d’amende et trois ans d’interdiction de séjour, mais est acquitté en appel. En 1935, un de ses patients indiens décède de gangrène diabétique : il est alors suspendu d’exercice de la médecine et poursuivi pour homicide involontaire mais il est à nouveau acquitté en appel, ce qui montre qu’il y avait des bornes à la répression coloniale. Celle-ci n’empêche pas, en effet, Joseph Raseta d’adhérer au Secours rouge international (SRI), masque du PCF outre-mer. En 1934, il adhère à la ligue anti-impérialiste en France, correspond régulièrement avec les militants communistes Planque et Vittori, collabore à L’Aurore Malgache, puis au nouvel Opinion, avant d’être l’un des principaux actionnaires, avec 10 % du capital, du nouveau journal La Nation malgache, lancé en 1935. Il est également correspondant de L’Humanité, et sera aussi celui du Prolétariat malgache, créé fin 1936, organe du Parti Communiste, Région Madagascar (PCRM) auquel il adhère dès sa fondation en août 1936. Les archives ont conservé sa carte du PCF, interceptée par l’administration. Sous le Front Populaire, il arbore le drapeau rouge à Tuléar et ses écrits stigmatisent l’impérialisme et les « Fascistes », colons et fonctionnaires. Mais, s’il est connu à Tananarive et à Paris, Joseph Raseta montre des activités d’organisation plus réservées. La section du PCRM de Tuléar n’a pas dix membres en 1937 et le parti reste très faible dans le sud-ouest. Joseph Raseta, en réalité, n’a jamais été un véritable communiste et n’a jamais fait que se servir de cette étiquette pour couvrir son nationalisme passionné.
Après la dissolution du PCRM en 1939, il se tient sur une prudente réserve. Mais en avril 1941, après un rapport du chef de région jugeant que « ce médecin est et sera toujours communiste », le pouvoir vichyste le condamne, au titre du code de l’indigénat, à deux ans d’internement au camp de Moramanga. L’arrivée des gaullistes ne lui vaut aucune remise de peine. A sa sortie, en mai 1943, il reprend son militantisme et aurait été, d’après certaines sources, représentant de la société secrète Panama (Parti nationaliste malgache) à Tuléar. En 1945, Madagascar reçoit deux sièges de députés autochtones à la nouvelle Constituante. Malgré un accord initial, dans le mouvement national, entre merina et côtiers, qui prévoyait que la circonscription de l’ouest devait aller à un côtier, Joseph Raseta parvient à imposer sa candidature. Telle est l’origine lointaine du schisme entre élites côtières et élites merina qui devait peser si lourdement sur Madagascar par la suite. En tous cas, Joseph Raseta est élu, par 5 476 voix (sur 26 047 inscrits et 11 977 votants) contre 3 909 à son principal concurrent. Il est réélu le 2 juin 1946 à la seconde Constituante, par 13 529 voix (sur 32 317 inscrits et 23 302 votants) contre 8 502 au candidat « administratif » Totolehibe. Il ne s’agit donc pas de plébiscites comme pour Ravoahangy, et ses adversaires ont beau jeu de souligner que le suffrage censitaire mis en place favorise les « évolués » et fait de lui l’élu de la petite bourgeoisie merina provinciale, et non de la masse de la population côtière, toujours écartée des urnes.
Avec Ravoahangy, Joseph Raseta découvre la France en décembre 1945 et y rencontre des Malgaches établis depuis l’avant-guerre, comme les docteurs Raherivelo et Rakoto-Ratsimamanga et le poète Jacques Rabemananjara. Ce groupe créé à Paris en février 1946 le Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM) dont Joseph Raseta devient président. L’activité du nouveau député de la deuxième circonscription de Madagascar est discrète. Il n’est nommé à aucune commission, sous les deux Constituantes. Sous la première, il ne dépose aucun texte, mais intervient à trois reprises. Il prend la parole essentiellement dans la discussion d’une proposition de loi tendant à fixer le régime électoral, la composition, le fonctionnement et la compétence des assemblées locales d’Outre-mer et sur le projet de loi relatif aux assemblées locales de Madagascar. Il modère alors ses revendications : alors qu’il avait été élu sur un programme réclamant l’indépendance complète, il dépose le 21 mars 1946 au Palais-Bourbon une proposition de loi demandant pour Madagascar le statut d’« Etat libre dans l’Union française ». Mais la proposition, renvoyée en commission, passe à la trappe. Cependant, la suppression de l’indigénat et celle du travail forcé permettent à Joseph Raseta de faire état d’un bilan positif et il reçoit, avec Ravoahangy, un accueil triomphal à Tananarive le 5 mai 1946. Sous la deuxième Constituante, il présente à nouveau sa revendication, demandant notamment, le 9 août 1946, qu’un référendum soit organisé à Madagascar. Il s’agit du seul texte dépose par Joseph Raseta, sous la forme d’une proposition de résolution (9 août 1946). Mais ses démarches auprès du président Auriol, du Gouvernement et des différents partis ne donnent aucun résultat. Il prend la parole à deux reprises, notamment sur le chapitre de l’Union française, dans le cadre plus général de l’établissement de la constitution de la République française, le 19 septembre 1946. Il cache alors sa déception et à la conférence de presse qu’il donne avec Ravoahangy au Lutétia le 17 septembre 1946, il se montre très modéré, tout en protestant le 19 septembre à l’Assemblée contre le refus de la France de laisser les territoires d’Outre-mer choisir leur statut. Simple repli tactique de sa part, comme de nombreux indices le laissent penser ? En fait, dès février 1946, il avait pris des contacts à Londres et croyait pouvoir compter sur un appui et même une aide matérielle des Anglo-Saxons. En juin 1946, lors d’entretiens avec le consul britannique à Tananarive, il évoque une conquête de l’indépendance par la résistance passive déjà mise en œuvre et par l’insurrection, au cas où elle échouerait. Il évoque cette perspective devant témoins à Paris, en octobre 1946.
Après son retour à Madagascar, il mène une campagne très dure lors des premières élections législatives de la Quatrième République, menaçant de représailles et d’épuration administrative ses adversaires du PADESM, une fois l’indépendance obtenue. Le 10 novembre 1946, il n’est réélu que d’assez peu, par 21 639 voix (sur 86 181 inscrits et 41 447 votants) contre 18 625 à son adversaire PADESM. Il est clair que l’élargissement du corps électoral comme les pressions hostiles toujours croissantes de l’administration, ainsi que de l’église catholique, menacent directement sa position politique. Les élections provinciales de janvier-février 1947 renforcent ses craintes. Or Joseph Raseta sait pouvoir compter, d’une part sur les quelque 12 000 tirailleurs rapatriés, animés d’un mécontentement violent contre la France, qu’il a visités dans leurs camps en France en janvier 1946, et harangués à Cherbourg le 13 juillet. D’autre part, il a le soutien des sociétés secrètes ; de Samuel Rakotondrabe et Edmond Ravelonahina, les chefs en titre de la principale de ces dernières, les Jeunesses nationalistes (la JINA), lui sont inféodés. A partir d’octobre 1946, on relève la nette radicalisation d’une aile extrémiste du MDRM et l’instauration d’un climat pré-insurrectionnel. Le 14 décembre 1946, le Haut commissaire de Coppet télégraphie à Paris qu’il a la certitude que Joseph Raseta et Ravoahangy « reçoivent argent et directives du PC ». Joseph Raseta, seul des trois députés, revient en France le 9 mars 1947 : pour les connaisseurs, c’est là un signe fort qu’il « savait » et désirait se mettre à l’abri derrière son immunité parlementaire en France. Entre-temps, il est nommé à la commission de la famille, de la population et de la santé publique de l’Assemblée nationale, le 28 janvier 1947. Il intervient à quatre reprises en séance. Les 18 et 22 mars, il prend la parole à la Chambre sur la politique française en Indochine, votant contre les crédits militaires. L’insurrection éclate le 29 mars, et il déclare avoir appris la nouvelle le 31. Le 6 mai, il interpelle le gouvernement sur sa politique à Madagascar. Mais le 20 mai, il doit comparaître devant une commission d’enquête parlementaire présidée par Maurice Viollette. Il nie énergiquement être le chef suprême de la JINA et rejette toute responsabilité dans une révolte qu’il condamne. Mais il ne convainc de son innocence, ni les parlementaires, ni, plus tard, les historiens. Après un long débat, le 4 juin, à l’Assemblée nationale, son immunité est levée le 6, par 234 voix contre 195. Il est arrêté et transféré à Tananarive. Le « procès des parlementaires », qui s’y tient de juillet à septembre 1948, obscurci par des témoignages douteux ou rétractés, ne permit pas d’établir les responsabilités précises des uns et des autres, d’autant que la cible prioritaire du pouvoir était Ravoahangy, et non Joseph Raseta. Condamnés à mort par l’arrêt du 4 octobre 1948, leur pourvoi en cassation est rejeté le 7 juillet 1949, mais dès le 15 juillet, le président Auriol commue leur peine en détention à vie dans une enceinte fortifiée. D’abord déportés aux Comores, les condamnés sont transférés à Calvi, en Corse, en octobre 1950. Le 6 août 1955, Joseph Raseta est libéré pour raisons de santé et mis en résidence à Grasse, puis à Cannes.
Pendant toutes ces années, il continue à exercer une forte influence politique à Madagascar, où les nationalistes de tous les bords continuent à se réclamer des trois députés en exil. Ainsi, en 1956, Joseph Raseta accorde son parrainage au candidat nationaliste aux législatives, Stanislas Rakotonirina, qu’il reçoit à Grasse. En 1957, il lance avec Jacques Rabemananjara un appel à l’unité d’action de tous les nationalistes aux élections provinciales. Mais contrairement à ses deux collègues, Joseph Raseta n’évolue pas dans le sens de la modération. En 1958, il se déclare favorable au nouveau parti AKFM, nationaliste et pro-soviétique, et en devient le héros. Il prend vigoureusement parti contre Tsiranana et contre l’adhésion à la Communauté, même « rénovée ». En juillet 1959, il tente, avec l’aide des communistes, de revenir à Madagascar, mais le Gouvernement le fait interpeller à Djibouti et ramener en France. Il rentre enfin dans sa patrie le 19 juillet 1960 pour devenir le porte-drapeau des nationalistes intransigeants. Il rejoint l’AKFM en août et se fait élire député sur sa liste à Tananarive, contre Ravoahangy : la vieille animosité entre les deux leaders, l’andriana et le hova, restée secrète en 1947, éclate alors au grand jour. Lors de la rentrée parlementaire de mai 1961, Joseph Raseta, doyen d’âge de l’Assemblée, se distingue par un discours incendiaire contre le gouvernement. Son intransigeance inquiète les modérés majoritaires dans l’AKFM, qui veulent un compromis avec Tsiranana. Déçu, Joseph Raseta s’en va et en 1963, fonde son propre parti, le FIPIMA (Union nationale malgache). En 1965, il se porte candidat à la présidence de la République contre Tsiranana, mais n’obtient que 2 % des voix. Cet échec cinglant révèle qu’il n’a guère que des ennemis parmi les opposants au pouvoir en place. A Tananarive même, l’AKFM a fait voter discrètement Tsiranana. Et dans son vieux fief de Tuléar, Joseph Raseta s’est brouillé avec Monja Jaona, l’ancien de la JINA, et son parti d’extrême gauche, le MONIMA. Cependant, son passé d’éternel opposant et sa vieille fonction tribunitienne lui valent l’affection et le respect des Malgaches, pour qui il est Dadaseta, le grand-père Raseta. Il meurt à Tananarive le 5 octobre 1979, alors que la Seconde République de Didier Ratsiraka vient de le faire « Héros de la révolution » et Grand officier de l’Ordre des combattants de la révolution malgache.