Paul Reynaud
1878 - 1966
* : Un décret de juillet 1939 a prorogé jusqu'au 31 mai 1942 le mandat des députés élus en mai 1936
Né le 15 octobre 1878 à Barcelonnette (Basses-Alpes).
Député des Basses-Alpes de 1919 à 1924. Député de la Seine de 1928 à 1942.
Ministre des Finances du 2 mars au 13 décembre 1930.
Ministre des Colonies du 27 janvier 1931 au 20 février 1932.
Vice-président du Conseil et Ministre de la Justice et du Contrôle des administrations publiques du 20 février au 3 juin 1932. Ministre de la Justice du 10 avril au 1er novembre 1938.
Ministre des Finances du 1er novembre 1938 au 21 mars 1940.
Président du Conseil du 21 mars au 16 juin 1940 en même temps que : ministre des Affaires étrangères du 21 mars au 18 mai 1940, ministre de la Défense nationale et de la Guerre du 18 mai au 5 juin 1940, ministre de la Défense nationale et de la Guerre et des Affaires étrangères du 5 au 16 juin 1940.
Paul Reynaud est né à Barcelonnette au sein d'une famille profondément marquée par les bouleversements économiques du XIXe siècle.
La décadence de l'agriculture montagnarde conduit en effet son père, Alexandre Reynaud, à émigrer à 17 ans au Mexique, où la colonie des « Barcelonnettes » monopolise depuis 1820 le commerce des tissus. Il en revient à 35 ans, fortune faite, et épouse la fille du banquier Gassier, conseiller général et maire de Barcelonnette. En 1883, la famille Reynaud s'installe définitivement à Paris et le jeune Paul va recevoir l'éducation réservée alors à la jeunesse bourgeoise. Il commence ses études au lycée Montaigne et les poursuit à l'école Bossuet et au lycée Louis le grand où il aura comme condisciples le futur général Giraud et Lucien Daudet.
Reçu bachelier en philosophie, il s'inscrit à la Faculté de droit de Paris et passe sa licence. En même temps, il suit l'enseignement de l'Ecole des Hautes Etudes commerciales. Puis il effectue son service militaire au 37e régiment d'infanterie à Nancy. Ensuite, il prépare son doctorat tout en travaillant comme clerc dans une étude d'avoué et prend ainsi un premier contact avec le Palais. Reçu docteur en droit avec une thèse sur les concordats de sociétés anonymes, il décide, en janvier 1906, d'entreprendre avec un de ses camarades de régiment, Lucien Lièvre, un tour du monde qui le conduira successivement au Mexique, aux Etats-Unis, au Japon, en Chine et en Russie.
A son retour, il s'inscrit au barreau de Paris. En 1910, il est élu premier secrétaire de la Conférence des avocats. A l'occasion de la rentrée solennelle de la Conférence, il choisit de parler de Waldeck-Rousseau. Devant l'opposition de ses confrères de droite, il doit renoncer et traite à la place du procès de Charles Ier d'Angleterre, discours dans lequel il ne cache pas son admiration pour Cromwell. En 1912, il épouse la fille du prestigieux maître du barreau Henri Robert. Son activité au Palais sera consacrée essentiellement aux affaires civiles et commerciales. Il plaida peu aux assises mais y défendit néanmoins l'un des accusés de la célèbre affaire dite des « bandits tragiques ».
Cependant la politique l'attire : en 1913 il succède a son père au Conseil général, élu à l'unanimité des votants, moins deux voix, et y restera jusqu'en 1938.
Les élections législatives de 1914 se déroulent sur le thème de la loi de trois ans. Partisan de cette dernière, il accepte, à la suite de la défection du candidat modéré qui la soutenait, de se présenter dans les Hautes-Alpes au second tour dans la circonscription de Gap contre un radical-socialiste, Peytral, partisan de son abrogation. Il est battu par 5.804 voix sur 13.274 votants, contre 7.222 à Peytral.
De ce fait, la carrière politique nationale de Paul Reynaud ne commencera qu'après le premier conflit mondial. Mobilisé comme sous-lieutenant dans le service sanitaire, il prend part à tous les principaux combats qui se déroulent sur le front français. Atteint d'une pleurésie au cours de l'offensive de la Somme, il est évacué sur Paris et pendant sa convalescence est chargé à la présidence du Conseil du recrutement des volontaires tchèques, slovaques et polonais qui désirent combattre pour notre pays.
En août 1918, il est désigné pour faire partie de la mission qui doit prendre le commandement de l'armée tchèque qui, formée en Sibérie, tente malgré l'opposition des forces russes soviétiques de gagner Vladivostok. Jusqu'à la fin décembre 1918, il parcourt la Russie et peut mesurer l'ampleur du bouleversement provoqué par la révolution d'octobre. A son retour en France, il rédigera d'ailleurs un rapport dans lequel il démontre que l'Europe occidentale n'a qu'une alternative : sauver, par une intervention directe les troupes russes de l'amiral Kolchak ou se résigner au triomphe bolchevique.
Démobilisé, Paul Reynaud reprend ses activités au barreau pendant que se prépare le renouvellement de la Chambre élue en 1914 ; les élections doivent avoir lieu alors au scrutin de liste. Il se présente cette fois-ci dans les Basses-Alpes et, le 16 novembre 1919, trois hommes étaient élus sur la liste de Paul Reynaud. Lui-même, Anglès et Honnorat, ainsi que les têtes des listes adverses : Andrieux (ami de Clemenceau) et Charles Baron. Il obtient 9.951 voix sur 22.233 votants et est élu au quotient.
Il entre ainsi dans la carrière parlementaire à 41 ans et, dans la Chambre bleu horizon, apparaît immédiatement comme un orateur important et un travailleur infatigable auquel aucun sujet ne saurait rester étranger. Membre d'un grand nombre de commissions dont celle de l'administration générale départementale et communale et celle des affaires étrangères, il déposera de nombreux textes et rapportera également de nombreux projets et de nombreuses propositions. à Dès cette époque les problèmes économiques et des affaires étrangères retiennent plus particulièrement son attention. Le premier d'entre eux est celui des réparations. Au cours d'une interpellation, en date du 26 mai 1921, il adjure Briand de proposer et d'accepter des réparations en nature, insensibles aux fluctuations monétaires. Son point de vue triomphe jusqu'au moment où Briand est obligé de démissionner après sa rencontre avec Lloyd George à Cannes en janvier 1922. Poincaré, appelé au gouvernement, revient à la politique de l'exécution des obligations de réparation en argent. Le 20 octobre 1922, Paul Reynaud interpelle à nouveau le gouvernement pour démontrer que la voie suivie est vouée à l'échec. Il approuve l'occupation en 1923 de la Ruhr par les troupes françaises. Dans son esprit cependant, cette occupation ne peut être qu'un moyen de pression pour le règlement des dettes entre Français et Allemands avant que les autres puissances ne se mêlent du problème. Tout en s'opposant violemment, à la Chambre des Députés, aux socialistes et en fustigeant l'attitude des radicaux, il critique lors de son interpellation du 28 décembre 1923 l'issue donnée à cette occupation par le président du Conseil. Intervenant ensuite dans une interpellation du Président Herriot sur la politique extérieure du gouvernement, le 11 janvier 1924, il affirme à nouveau les points essentiels de sa position : se saisir de la Ruhr oui, mais comme d'un gage de discussion avec l'Allemagne dans le but d'une réconciliation totale.
Cependant, les élections approchent. Au bloc national de 1919 s'oppose le Cartel des gauches et l'échec de la Ruhr va peser lourdement sur l'issue des élections. Entre-temps, la représentation du département des Basses-Alpes est réduite à trois députés. Paul Reynaud se présente sur la liste des républicains de gauche qui comprend également un député sortant son ancien adversaire Andrieux et un ancien député non réélu en 1919, Jacques Stern La liste est battue ; Paul Reynaud a réuni 10.360 suffrages sur 23.703 votants, devançant ses deux autres colistiers.
Cependant Aillaud étant décédé, Paul Reynaud se représente. Il est à nouveau battu avec 9.055 voix sur 20.483 inscrits, Gardiol étant élu avec 10.255 voix.
C'est maintenant en homme politique privé que Paul Reynaud va continuer sa lutte contre le Cartel jusqu'en 1928. Cette lutte est marqué par l'épisode de sa candidature en 1926 dans le 2e secteur de la Seine. Associé à Henri de Kerillis, principal animateur de l'Echo de Paris, Paul Reynaud s'oppose essentiellement à deux candidats communistes, Jacques Duclos et Fournier. Bien qu'arrivés en tête au premier tour, Paul Reynaud et Henri de Kerillis sont battus de 1.543 voix au second.
Dès cette époque, au problème économique et aux affaires étrangères s'ajoute pour Paul Reynaud une réflexion sur la défense. Il stigmatise la discordance entre la politique militaire de la France et sa politique extérieure. Le 4 juillet 1924, il publie sur ce sujet dans La Revue Hebdomadaire un article prophétique dans lequel on peut lire : « On verra l'Allemagne, armée de nouveau, détruire la Pologne, pour tendre par-dessus son cadavre la main à l'Armée rouge ».
Les élections de 1928 ont lieu au scrutin d'arrondissement. Sollicité de se présenter dans le IIe arrondissement de Paris, Paul Reynaud accepte. La campagne électorale se déroule essentiellement sur les problèmes financiers et économiques. Son principal adversaire est l'ancien sénateur Dausset, également ancien président du conseil municipal. Paul Reynaud est élu au second tour par 6.600 voix sur 9.334 votants, Dausset qui avait obtenu 3.097 voix au premier tour (et Reynaud 5.112 sur 10.966 votants) s'étant retiré.
Dès son retour à la Chambre, Paul Reynaud apparaît comme l'un des leaders de la majorité de centre droit qui s'est dessinée autour de Poincaré et de Tardieu. Il entre à la commission des finances.
Bien que son intérêt se porte essentiellement à ce moment-là sur les affaires financières et la politique extérieure, il se préoccupe néanmoins des affaires de Paris.
La première grande bataille politique qu'il mène à la tribune, dès 1929, est cependant celle de la ratification des accords Mellon-Berenger sur le paiement des dettes françaises aux Etats-Unis. Le débat s'engage le 18 juillet 1929 dans une atmosphère de contestation violente. Le soutien que Paul Reynaud apporte, au nom du respect des engagements pris, au gouvernement Poincaré, lui vaut d'être violemment pris à partie par l'opposition de gauche comme par l'opposition de droite, notamment dans l'Action française. La ratification est cependant votée à une faible majorité. A partir de ce moment, il devient la « bête noire » des oppositions. C'est ainsi qu'ayant pris contact, au cours d'un voyage en Allemagne, avec les animateurs du mouvement nationaliste des « casques d'acier », il est violemment attaqué à la fois par l'Action française et par la gauche.
Il pourra se justifier au cours du débat sur les crédits des affaires étrangères pour 1930, le 24 décembre 1929, mais il est menacé entre-temps d'un renvoi en Haute Cour, à la suite d'une interpellation du député socialiste Ernest Laffont.
Il obtient une sorte de revanche, le 25 février 1930, lorsqu'il provoque la chute du cabinet homogène radical-socialiste de Camille Chautemps qui avait succédé au premier cabinet André Tardieu.
Il entre à son tour au gouvernement dans le second cabinet Tardieu et ne le quittera pas jusqu'aux élections de 1932. Il sera successivement ministre des Finances (cabinet Tardieu - mars/décembre 1930), ministre des Colonies (cabinet La val - janvier 1931/février 1932), garde des Sceaux (cabinet Tardieu - février-mai 1932).
Les élections de 1932 se situent dans un climat d'inquiétude. Apparemment la France ne souffre pas encore de la crise économique qui ravage le monde et ne prend pas une nette conscience du rôle que Hitler va jouer en Allemagne. La campagne menée par Paul Reynaud et ses amis porte essentiellement sur la sauvegarde de l'économie et s'oppose vigoureusement aux positions prises par Edouard Herriot au nom des radicaux-socialistes et par Léon Blum au nom des socialistes. Bien que le cartel de la gauche ne soit pas reconstitué, les partis qui le composent remportent un net succès sur le centre droit au pouvoir depuis 1928. En effet, les radicaux-socialistes passent de 125 à 160 sièges, les socialistes de 100 à 131. Bien que réélu par 5.342 voix contre 2.431 à Addé-Vidal, Paul Reynaud se trouvera de ce fait, dans l'opposition de 1932 à 1936.
Membre en 1932 de la commission des finances et en 1935 de celle de l'armée, pendant les quatre années de la législature il mènera deux combats, l'un en matière financière, l'autre sur la sécurité extérieure de la France.
L'opposition de Paul Reynaud sera essentiellement une attitude personnelle qui l'éloignera. d'une partie de ses amis, en particulier de Tardieu lorsqu'il soutient le gouvernement Herriot qui demande au Parlement d'autoriser le remboursement des dettes restant dues aux Etats-Unis. Herriot est néanmoins battu et doit démissionner.
Mais ce sont ses propositions de redressement financier, et sa lutte en faveur de la dévaluation du franc qui le placent, isolé, au premier rang de l'opposition. Fin 1933, la crise atteint durement la France ; Paul Reynaud en vient à la conclusion qu'il s'agit d'une crise mondiale des structures économiques et qu'il est indispensable de rétablir un ordre financier international. Il soutient dès janvier 1933 que tous les Etats ayant dévalué, la France doit suivre cette voie. Vouloir maintenir la parité du franc, c'est condamner le pays à la récession. Il prend ouvertement position pour la dévaluation, le 28 juin 1934, lors de la discussion du projet de loi portant réforme fiscale.
Son intervention a un immense retentissement. Cette rupture avec l'orthodoxie financière classique suscite de très violentes réactions : celle de l'extrême droite, celle plus nuancée d'une partie de la gauche mais aussi celle de ses propres amis du groupe des Républicains de gauche. A l'extérieur de la Chambre la contestation de ses thèses n'est pas moins virulente : le directeur de la Caisse des dépôts n'hésite pas à dire : « S'il y avait un gouvernement, M. Paul Reynaud serait arrêté ce soir ».
Malgré les critiques, voire les menaces, Paul Reynaud maintient sa thèse, développe ses arguments tout au long de la fin de la législature.
Dans le même temps, il engage un second combat pour la sécurité extérieure de la France qui se déroule en deux phases : la critique de la politique militaire et celle de l'attitude du gouvernement à l'égard de l'Italie et de l'Allemagne.
En raison du réarmement allemand et italien, le gouvernement Flandin décide, début 1935, de porter le service militaire à deux ans. Il est immédiatement interpellé par Léon Blum. Le débat qui s'engage, le 15 mars 1935, va être l'occasion pour Paul Reynaud d'exposer à la tribune une réforme complète du système de défense militaire de la France pour l'adapter à sa politique étrangère qui vise à assurer sa sécurité par des alliances avec les petites puissances d'Europe et le soutien de l'action de la S.D.N.
Ses idées, ses propositions, il les tient d'un lieutenant-colonel, alors inconnu, Charles de Gaulle, qui, le 5 décembre 1934, est venu lui démontrer l'impuissance de notre organisation militaire et l'a convaincu. La thèse de Paul Reynaud est simple : la politique étrangère de la France veut qu'elle ait une armée offensive capable d'assurer la sécurité collective en Europe, ce qui implique l'existence d'un corps blindé et mécanisé de haute qualité, servi essentiellement par des professionnels.
La nouvelle politique proposée est immédiatement combattue avec violence à la fois par les partis de gauche au nom du pacifisme et de la défense populaire prônée jadis par Jaurès, et par le gouvernement et l'Etat-major qui défendent l'armée défensive appuyée sur la ligne Maginot. Seule la droite, par la voix de l'Action française, approuve les paroles de Paul Reynaud.
Malgré tout, il dépose le 28 mars 1935, un contre-projet élaboré en grande partie par le colonel de Gaulle et visant à mettre en forme la création d'un corps cuirassé. Ce contre-projet sera repoussé à l'unanimité par la commission de l'armée comme « contraire à la logique et à l'histoire ».
L'année 1935 est aussi celle de l'attaque de l'Abyssinie par les troupes italiennes qui provoque une grave crise dans les relations franco-anglaises. Le 27 décembre 1935, le président du Conseil, Pierre Laval, qui a, en fait, laissé les mains libres à Mussolini est interpellé par Léon Blum et Paul Reynaud. Celui-ci stigmatise l'attitude attentiste du gouvernement qui paralyse l'action de la S.D.N. et peut encourager sous peu la politique d'annexion de l'Allemagne. Il insiste pour que la France et la Grande-Bretagne fassent, de concert, preuve de fermeté et découragent, par principe, toute agression quelles qu'en soient les raisons.
Cette attitude qui place Paul Reynaud en opposition avec son propre milieu politique est téméraire, à quelques mois des élections. Le centre et la droite réagissent avec une rare violence. Tardieu démissionne du groupe parlementaire du centre républicain que préside Paul Reynaud. Quelques jours plus tard, le 22 janvier 1936, Laval doit démissionner. Il est remplacé par Sarraut, et le 5 mai 1936, Victor-Emmanuel III est proclamé empereur d'Ethiopie ; entre-temps, le 7 mars 1936, Hitler réoccupait militairement la Rhénanie sans que la France réagisse autrement qu'en paroles.
Aux élections de 1936, malgré une position qui lui a aliéné tout à la fois le centre, la droite et la gauche, Paul Reynaud est élu de justesse au second tour dans le IIe arrondissement de Paris par 4.084 voix contre 4.057 au candidat communiste du Front populaire Delon, soit 27 voix de majorité.
Membre de la commission des finances, il s'engage dans une opposition active aux mesures préconisées par le gouvernement de Front populaire de Léon Blum, opposition qu'il qualifie dans une interview à France-Soir de véritable « service public ». Dès la présentation du gouvernement, le 6 juin 1936, il souligne le danger des mesures annoncées en faveur de la classe ouvrière sans une relance de l'économie qui ne peut résulter que d'une dévaluation du franc que Léon Blum refuse. Le 12 juin 1936, nouvelle critique de la politique sociale à l'occasion de la discussion du projet de loi instituant la semaine de 40 heures, montrant qu'il est impossible d'une part d'augmenter de 35 % les salaires tout en organisant la stagnation de la production par la réduction du temps de travail. En revanche, il approuve sans réserve l'institution des congés payés. La situation internationale cependant se détériore et le 31 juillet 1936, Paul Reynaud réaffirme la nécessité de créer un corps cuirassé d'intervention semblable à celui dont l'Allemagne vient de se doter et qui, seul, permettra de tenir les engagements de la France. Léon Blum ne réagit pas, solidaire de son ministre de la Défense, Daladier, hostile à la réforme.
Premier succès des thèses de Paul Reynaud, en septembre 1936 : devant l'accélération des sorties d'or, le gouvernement décide de dévaluer le franc. Le projet de loi est soumis à la Chambre des députés le 28 septembre. Paul Reynaud démontre alors que la dévaluation peut échouer si elle ne s'accompagne pas d'un effort de reprise économique qui met en cause toute la politique sociale du Front populaire. L'application de la loi des 40 heures réduit à néant les bienfaits de la mesure.
Jusqu'à la chute du gouvernement Léon Blum mis en minorité devant le Sénat le 21 juin 1937, Paul Reynaud répète ses arguments en faveur d'une révision de la politique économique et de la politique militaire à laquelle il ajoute la nécessité d'une alliance avec l'U.R.S.S.
Au cabinet Blum, succède un cabinet Chautemps, dont Paul Reynaud souligne l'absence de volonté politique claire et réaliste. La nouvelle dévaluation réalisée le 1er juillet 1937 sera encore inutile car comme l'affirme de nouveau Paul Reynaud, elle ne s'accompagne d'aucune re lance de la production industrielle alors que, parallèlement le gouvernement ferme les frontières en élevant les droits de douane.
Dans le gouvernement Daladier formé le 10 avril 1938 (après un second cabinet Blum qui ne dure que du 13 janvier au 7 octobre 1938) Paul Reynaud est garde des Sceaux, puis ministre des Finances à partir du 1er novembre 1938. Une nouvelle dévaluation est décidée mais ses effets sont encore annulés par la stagnation de la production et le refus d'aménager la loi des 40 heures.
A son arrivée aux Finances, Paul Reynaud, mal accueilli par l'opinion, établit un plan de redressement : accroître la production en augmentant le travail, réformer les structures des administrations, orienter l'économie. La droite comme la gauche protestent et le 30 novembre la C.G.T. décrète une grève générale qui échoue. Après avoir gagné dans l'opinion, il gagne à la Chambre au cours des interpellations des 8 et 9 décembre 1938. Un redressement spectaculaire des finances s'amorce marqué par la hausse des valeurs. Il permet au cours de l'année 1939 la conclusion d'emprunts et le développement des dépenses de défense nationale.
Lorsque la guerre éclate, le système financier est peu perturbé et le contrôle des changes peut s'appliquer sans difficultés majeures. La politique menée à partir de ce moment vise à accroître la production et à restreindre la consommation (décrets-lois de janvier 1940).
Le 21 mars 1940, après le départ de Daladier, Paul Reynaud devient président du Conseil et ministre des Affaires étrangères d'un gouvernement d'union nationale dans lequel Daladier garde des Armées. La présentation devant les Chambres, le 22 mars, est pénible, une partie des radicaux et de la droite refusant leur confiance que seul le parti socialiste accepte de donner. Le ministère obtient cependant une majorité de 268 voix contre 156 et 111 abstentions. Dès le 25 mars, Paul Reynaud décide de mener une guerre plus « audacieuse et énergique » et propose à la Grande-Bretagne une opération sur les approvisionnements en fer de l'Allemagne. Les négociations difficiles qui s'ensuivent alertent les Allemands qui débarquent le 10 avril en Norvège. La riposte alliée trop lente, montre les insuffisances du commandement français. Aussi, le 9 mai, Paul Reynaud décide de concentrer dans ses mains les pouvoirs de guerre ou de démissionner. Devant l'opposition de Daladier, il décide de remettre sa démission au Président de la République. Mais dans la nuit du 9 au 10 mai, Hitler attaque et le gouvernement doit rester en place en s'élargissant à la droite par l'entrée d'Ybarnégaray et de Louis Marin.
L'offensive allemande se développe rapidement, débordant les forces alliées. Le 18 mai, Paul Reynaud concentre entre ses mains tous les pouvoirs de guerre, et Pétain entre au gouvernement comme ministre d'Etat, vice-président du Conseil. Le 22 mai, Weygand remplace Gamelin, et Paul Reynaud affirme : « Je ne capitulerai pas ». La situation est cependant déjà désespérée. La Belgique capitule le 27 mai ; Pétain et Weygand parlent d'armistice dès le 29 mai. Le 5 juin, le gouvernement est à nouveau remanié : Daladier s'en va, de Gaulle arrive. Cependant, le 10 juin Mussolini attaque à son tour. Paul Reynaud convaincu que les Etats-Unis seront un jour amenés à leur tour à entrer en guerre contre l'Allemagne lance alors plusieurs appels à Roosevelt pour hâter cette intervention tandis que Weygand envisage d'une manière de plus en plus pressante l'armistice. Devant cette menace, et pour renforcer la position de Paul Reynaud et de ceux qui sont partisans de continuer la lutte, Churchill propose l'Union franco-britannique par l'intermédiaire du général de Gaulle qui avait été envoyé en mission à Londres.
Replié à Bordeaux, le gouvernement se réunit le 16 juin. Devant l'hostilité des partisans de l'armistice, Paul Reynaud, se sentant en minorité au sein du gouvernement, démissionne. Le maréchal Pétain est nommé président du Conseil et demande l'armistice.
Dans la confusion qui règne alors à Bordeaux, sur la foi d'indications de source officielle, Paul Reynaud, persuadé du transfert du gouvernement en Afrique du Nord, avait pris la route pour s'embarquer à Port-Vendres. Victime au cours du trajet d'un grave accident d'auto, il ne peut rallier Vichy et prendre part au vote du 10 juillet sur les pouvoirs constituants demandés par le maréchal Pétain.
REYNAUD (Jean, Paul)
Né le 15 octobre 1878 à Barcelonnette (Basses-Alpes)
Décédé le 21 septembre 1966 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine)
Député du Nord de juin 1946 à 1958 puis de 1958 à 1962
Ministre des finances et des affaires économiques du 26 juillet 1948 au 5 septembre 1948
Ministre d’Etat chargé des relations avec les Etats associés du 30 juin 1950 au 12 juillet 1950
Vice-président du Conseil du 28 juin 1953 au 20 juin 1954
Son père, conseiller général des Basses-Alpes, industriel, vient s’installer à Paris. Le jeune Paul suit des études au Lycée Louis-le-Grand à Paris et devient docteur en droit, puis diplômé HEC. Devenu avocat à la Cour d’appel de Paris, il épouse, en 1912, la fille du bâtonnier Henri Robert. En 1913, il succède à son père comme conseiller général, tandis que deux de ses oncles sont sénateurs des Basses-Alpes. Titulaire de la croix de guerre et de la Légion d’honneur à l’issue du premier conflit mondial, il est élu député des Basses-Alpes en 1919, puis battu en 1924. Il est élu, en 1928, député du deuxième arrondissement de Paris et le demeure jusqu’en 1940. Plusieurs fois ministre dans les cabinets Tardieu, Laval et Daladier, il fait appel au général de Gaulle comme sous-secrétaire d’Etat à la Défense quand il devient président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, en mars 1940. Désavoué par la majorité de ses ministres qui souhaitent l’armistice, il démissionne le 16 juin. Il est arrêté le 6 septembre 1940. Déféré devant la cour de Riom en octobre, il est emprisonné, puis déporté par les Allemands, de novembre 1941 à avril 1945, à Orianienbourg, puis à Itter. Remarié à Christiane Mabire, sa collaboratrice, elle-même déportée à Ravensbrück, il est père de trois enfants et d’une fille née de son premier mariage.
Il est élu député de la première circonscription du Nord, le 2 juin 1946, grâce aux 25 432 suffrages obtenus par sa liste des républicains indépendants, placée derrière la liste MRP de Robert Prigent et Hector Legry qui recueille 38 357 voix, et celle du socialiste Marcel Darou, seul élu malgré ses 37 213 voix. Sorti vainqueur d’une demande d’invalidation déposée par les communistes, il est nommé membre de la commission des finances et du contrôle budgétaire. Sous cette seconde Constituante, il signale les incidences de l’augmentation des traitements des fonctionnaires et donne son avis sur le projet constitutionnel.
Il est réélu en novembre 1946 avec 26 305 voix, derrière les socialistes et le MRP, mais devant les communistes. Il s’inscrit au groupe des républicains indépendants. Il retrouve la commission des finances où il siège durant toute la législature (1946-1951). En tant que député, il dépose, au cours de ces cinq années, deux propositions de loi. Opposé aussitôt au projet de constitution, il ne cesse d’en demander la révision. Il interpelle également le gouvernement, les 7, 13 et 18 mars 1947, sur la politique française en Indochine et participe au débat sur le prélèvement exceptionnel de lutte contre l’inflation, le 5 janvier 1948.
Il devient ministre des finances et des affaires économiques dans le cabinet Marie, du 26 juillet au 5 septembre 1948. Son activité ministérielle le conduit à défendre douze projets de loi et à déposer deux lettres rectificatives. Ainsi, il propose, le 6 août 1948, un projet de loi tendant au redressement économique et financier. Il prend une large part à la discussion du projet de loi éponyme. Dans la discussion générale, il intervient sur la ruine de l’Europe et de la France en particulier, sur l’importance de l’aide américaine ou sur le déficit du Trésor, en 1948 et en 1949. A la suite de sa démission le 31 août suivant, il intervient, comme député, à douze reprises en séance publique. En plus des questions économiques et financières qu’il affectionne (interventions des 23 et 25 mai 1949), il prend la parole sur les questions sociales. En juin et juillet 1949, il s’en prend à la gestion de la sécurité sociale, en déposant une demande d’interpellation sur le fonctionnement et le contrôle de la sécurité sociale. Il s’interroge, à plusieurs reprises, sur la prime de vacances accordée aux employés de la sécurité sociale (25 et 29 juillet 1949). Il est nommé ministre d’Etat, chargé des relations avec les Etats associés dans le second cabinet Queuille, du 30 juin 1950 au 12 juillet 1950. La courte durée du deuxième cabinet Queuille ne lui permet pas de s’exprimer comme ministre. En revanche, simple parlementaire après sa démission du gouvernement précité, il intervient à nouveau en séance publique, à huit reprises. Le 28 juillet 1950, à propos de la fixation d’un programme aérien, il montre l’impréparation militaire de la France. Le 17 octobre 1950, il dépose une demande d’interpellation sur la défense de l’Europe occidentale et le réarmement de l’Allemagne. Il évoque, à ce propos, l’isolement de la France à Washington et l’obstruction socialiste à l’unification de l’Europe. Le 30 décembre 1950, il prend la parole, à nouveau, sur les questions de défense, dans la discussion d’un projet de loi portant autorisation d’un programme de réarmement.
En 1951, grâce aux 24 020 voix obtenues par sa liste, il est élu, mais de justesse, devançant le républicain populaire Robert Prigent de 500 voix. Il siège en compagnie du socialiste Marcel Darou, du gaulliste Auguste Damette et du communiste André Pierrard. Président de la commission des finances durant toute la législature (1951-1956), il est également vice-président de la commission de l’intérieur de 1954 à 1956. Il défend la cause de l’unité européenne au sein du conseil de l’Europe à partir du 2 août 1951 : il est membre titulaire pour représenter la France métropolitaine à l’Assemblée consultative. Il est aussi désigné par l’Assemblée nationale, le 11 juillet 1952, pour représenter la France au sein de la communauté européenne du charbon et de l’acier. Il préside l’organisation du Pool charbon-acier la même année. Il dépose une proposition de loi et onze propositions de résolution. Outre les questions strictement européennes, il est attaché à la révision de la Constitution. Il dépose deux propositions de résolution en ce sens, le 27 mai 1953 et le 15 mars 1955. Il se pose quelques questions face au projet de Communauté européenne de défense (CED), en raison du réarmement allemand, le 16 février 1952, mais considère qu’il s’agit d’ « une parade française à un projet américain » et qu’il faut continuer, après le plan Schuman, à faire l’Europe « en faisant l’armée européenne ». Il démontre, à cette occasion, la division des Français devant le problème allemand, souligne le danger soviétique et dénonce l’isolationnisme américain « toujours vivant », qui rend « incertaine » la création d’une union européenne.
En tant que président du Conseil désigné le 27 mai 1953, il présente un programme de rigueur budgétaire, de modernisation et d’investissements, insiste sur la fidélité à la politique de l’Alliance atlantique, le règlement des problèmes coloniaux, mais surtout informe l’Assemblée qu’il ne désire former son gouvernement qu’après le vote de la révision de la constitution : il n’est pas investi, puis devient vice-président du Conseil dans le cabinet Laniel, du 28 juin 1953 au 20 juin 1954. Il ne défend pas de texte particulier.
Comme député, dans une de ses vingt-six dernières interventions de parlementaire, il souligne, le 6 août 1954, lors du vote des pouvoirs spéciaux, la continuité de la politique financière assurée par Edgar Faure puis, à plusieurs reprises, prend la parole sur la CED, notamment le 31 août suivant, en évoquant les conséquences telles que la résurrection de la Wehrmacht « désormais inévitable ». Il dénonce la neutralité du gouvernement qui a « tué une grande idée française... pour nous proposer seulement (….) les ornières sanglantes du passé », souligne le danger d’une collusion germano-russe et le « leadership européen » laissé à l’Angleterre. Lors de la ratification des accords de Paris, le 22 décembre 1954, accords que la commission des affaires étrangères a approuvés à la majorité d’une voix, il revient sur la résurrection de l’armée nationale allemande, fait l’éloge de l’enthousiasme et du risque pris par les tenants de la CED et demande des réformes en France pour établir le marché commun européen.
En 1956, sa liste de l’Union des indépendants et paysans et des républicains sociaux rassemble 30 128 voix et lui permet d’être facilement réélu, loin derrière les socialistes, apparentés aux radicaux-socialistes, qui obtiennent deux sièges, alors que le communiste André Pierrard recueille 23 979 voix. Paul Reynaud continue de présider l’importante commission des finances (1956-1958). Il est élu représentant titulaire de la France à l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe, le 22 février 1956. Durant cette législature écourtée, il dépose quatre propositions de résolution portant sur l’éducation ou, à nouveau, sur la révision de la Constitution. Le député du Nord intervient à trente-quatre reprises, devant la représentation nationale, entre 1956 et 1958, ce qui en fait un parlementaire particulièrement actif. Il prend la parole lors de l’investiture du gouvernement de Guy Mollet et au moment de l’attribution des pouvoirs spéciaux, le 12 mars 1956. Il rappelle l’exigence du respect des droits politiques des communautés européenne et musulmane. Il intervient à nouveau le 24 mai 1956 et prend parti pour un effort militaire immédiat et massif, avec la recherche d’un statut politique pour l’Algérie. Il met en garde le gouvernement Guy Mollet, juste avant l’expédition franco-britannique de Suez, contre les risques résultant des engagements pris par les soviétiques envers l’Egypte de Nasser, lors du débat du 16 octobre 1956. En décembre suivant, il revient sur la nécessité de l’unification politique de l’Europe, en prônant l’élection d’une assemblée au suffrage direct. Il s’oppose à Pierre Mendès France au sujet de la nécessité d’une autorité supranationale à la tête du marché commun. Favorable, le 28 mars 1957, à une réforme de la Constitution instaurant une procédure de dissolution automatique, il revient sur l’urgence des réformes le 16 mai 1958 et, le 20 mai, dépose une proposition de révision de l’article 13 de la Constitution. Il veille à défendre les intérêts de ses électeurs betteraviers, favorise la construction de l’autoroute Lille-Dunkerque et la mise au gabarit international du canal reliant Dunkerque à Valenciennes et à l’agglomération lilloise.
Le 26 juillet 1958, il est nommé membre du Comité consultatif constitutionnel.
En 1958, favorable au retour du général de Gaulle, il est choisi pour présider cette dernière institution, réunie le 29 juillet 1958. Candidat unique de la droite en novembre 1958 dans la 12e circonscription du Nord, il obtient plus de 55 % des voix. Il est réélu président de la commission des finances en janvier 1959. Par la suite, il démissionne du comité directeur du Centre national des indépendants (CNI), hostile à la politique d’autodétermination du général de Gaulle en Algérie, mais se montre très critique sur la politique européenne du Général et sur ses dépenses en matière de « force de frappe ».
A l’automne 1962, il dénonce, dans le projet d’élection du président de la République au suffrage universel, un « coup de force contre la Constitution ». La censure étant votée, la Chambre est dissoute par décret, le 10 octobre. Après une campagne âpre, le 18 novembre 1962, il est battu par un de ses colistiers de 1956, Jules Houcke, conseiller général de Bailleul, maire de Nieppe, ancien député, ancien sénateur et candidat gaulliste (UNR).
Parmi ses publications, il faut citer La France a sauvé l’Europe, S’unir ou périr, Au coeur de la mêlée, ses Mémoires, t.1 « Venu de ma montagne », t.2 « Envers et contre tous », Et Après ?, La politique étrangère du gaullisme, et Carnets de captivité 1941-1945. Grand-croix de l’ordre de Victoria, il préside la Fédération nationale des anciens déportés et victimes de la guerre.
Il disparaît le 21 septembre 1966, dans sa quatre-vingt-huitième année.
REYNAUD (Jean, Paul)
Né le 15 octobre 1878 à Barcelonnette (Basses-Alpes)
Décédé le 21 septembre 1966 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine)
Député des Basses-Alpes de 1919 à 1924
Député de la Seine de 1928 à 1942
Membre de la seconde Assemblée nationale constituante (Nord)
Député du Nord de 1946 à 1962
Ministre des finances du 2 mars au 13 décembre 1930
Ministre des colonies du 27 janvier 1931 au 20 février 1932
Vice-président du conseil et ministre de la justice et du contrôle des administrations publiques du 20 février au 3 juin 1932
Ministre de la justice du 10 avril au 1er novembre 1938
Ministre des finances du 1er novembre 1938 au 21 mars 1940
Président du conseil du 21 mars au 16 juin 1940 et ministre des affaires étrangères du 21 mars au 18 mai 1940
Ministre de la défense nationale et de la guerre du 18 mai au 5 juin 1940
Ministre de la défense nationale et de la guerre, et des affaires étrangères du 5 au 16 juin 1940
Ministre des finances et des affaires économiques du 26 juillet au 5 septembre 1948
Ministre d’Etat, chargé des relations avec les Etats associés et des affaires d’Extrême-Orient du 3 au 13 juillet 1950
Vice-président du conseil, chargé des relations avec les Etats associés du 28 juin 1953 au 19 juin 1954
Voir première partie de la biographie dans le Dictionnaire des parlementaires français (1889-1940) tome 8, p. 2836-2840) et dans le Dictionnaire des parlementaires français (1940-1958), tome 6 p. )
Député depuis juin 1946, ministre à deux reprises et vice-président du Conseil, Paul Reynaud redevint vite, sous la IVème République, un homme politique en vue et une figure de proue des Indépendants. Au printemps 1958, il se sépara nettement de la direction du Centre national des indépendants et paysans (CNIP), comme il l’avait fait en d’autres occasions, en ne votant pas contre le gouvernement de Félix Gaillard puis en soutenant celui de Pierre Pflimlin, par refus du coup de force algérien. Ce ne fut que tardivement, le 27 mai, qu’il se rallia à l’appel à Charles de Gaulle. En juillet, il fut porté à la présidence du Conseil constitutionnel consultatif où il défendit efficacement le point de vue de son parti, notamment sur l’organisation de la Communauté française.
Il se présenta aux élections législatives de l’automne dans la 12ème circonscription du Nord (cantons de Bergues, Bourbourg, Cassel, Hondschoote, Steenvorde, Wormhoudt). Investi par le CNIP, il avait un suppléant gaulliste (Jean Van Den Baviere, investi par l’UNR). Il recueillit 14 082 voix face à quatre autres candidats : Henri Michel (PCF, 2 046 voix), Marcel Darou (SFIO, 11 576 voix), Henri Billiaert (MRP, 6 912 voix) et Robert Warin (poujadiste, 1 754 voix). Il l’emporta assez largement au second tour avec 20 615 suffrages contre 15 879 à Marcel Darou. Il s’inscrivit comme précédemment au groupe des Indépendants et paysans d’action sociale (IPAS), présidé par Antoine Pinay puis, dès janvier 1959, par Henry Bergasse.
Désigné candidat du CNIP à la présidence de l’Assemblée, il affronta Jacques Chaban-Delmas le 9 décembre 1958. Il était convaincu d’être élu. L’UNR avait certes 186 députés mais le CNIP, fort de ses 118 députés, croyait pouvoir compter sur ses alliés électoraux de l’automne : la DCF de Georges Bidault, le Centre républicain d’André Morice, les « soustelliens » de l’UNR, sans parler de l’appui discret – mais beaucoup moins net qu’on ne le dit souvent – de Charles de Gaulle. Il n’en fut rien et le député-maire de Bordeaux obtint 259 voix contre 168 à Paul Reynaud qui se retira immédiatement. Il retrouva toutefois la présidence de la Commission des finances le 30 janvier 1959.
Parlementaire toujours aussi actif, il monta souvent à la tribune du Palais-Bourbon, toujours attentivement écouté par ses collègues. En 1959 : règlement de l’Assemblée nationale (20 janvier, 28 mai) ; politique étrangère (30 avril, 29 décembre) ; prix agricoles (25 juin) ; concurrence d’Anvers et Rotterdam (23 juillet) ; déclaration de politique générale du gouvernement (14 octobre) ; réforme fiscale (22, 27 octobre, 3 novembre) ; budget de 1960 (9, 18, 19, 20, 23 novembre, 30 décembre) ; bouilleurs de cru (2 décembre). En 1960 : questions agricoles (3 mai, 12 juillet, 29 novembre, 13 décembre) ; réforme de la TVA (14 juin) ; rapport de la Cour des comptes (3 juillet) ; décentralisation industrielle (19 juillet) ; OTAN (18, 19 octobre) ; budget de 1961 (13 décembre). En 1961 : budget de 1962 (19, 26, 29 octobre, 6, 9 novembre, 12 décembre) ; réinstallation des Français d’Outre-mer (22, 29 novembre). En 1962 : programme du gouvernement de Georges Pompidou (26 avril) ; loi de finances rectificative (23 juillet) ; motion de censure (4 octobre).
La place de Paul Reynaud dans la vie politique de la Vème République commençante fut encore marquée au sceau de l’originalité. Membre éminent du CNIP, il fut très tôt, comme ses collègues IPAS, réticent face au style gaullien de gouvernement. Il ne s’en démarqua pas moins rapidement de la direction de son parti. Le 17 décembre 1959, il vota le budget de 1960, contre le vœu des dirigeants du Centre qui préparaient le retrait d’Antoine Pinay, ministre de finances, pour en faire un recours – celui-ci fut d’ailleurs remercié le 13 janvier 1960. La stratégie algérienne de Roger Duchet (soutenir les partisans de l’Algérie française afin de provoquer une scission de l’UNR derrière Jacques Soustelle puis une recomposition des droites au profit du CNIP) ne convainquit jamais Paul Reynaud. Partisan de la négociation et de l’autodétermination, il refusa toujours d’instrumentaliser la guerre d’Algérie pour obtenir le départ du chef de l’Etat. Le conflit avec le secrétariat général du Centre éclata à l’occasion de la Semaine des barricades. Les dirigeants Indépendants s’étaient montrés plus que complaisants à l’égard du soulèvement. Paul Reynaud le reprocha sèchement à Roger Duchet lors du comité directeur du 10 février 1960 puis, le 23, démissionna de l’instance dirigeante du parti. Sa lettre fut rendue publique. Mais sa manière d’agir fit qu’il ne fût pas suivi sur le moment, sinon par quelques députés isolés. Il reçut toutefois le soutien remarqué de Pierre Brisson, rédacteur en chef du Figaro. Le référendum sur l’autodétermination accéléra brutalement la crise des Indépendants. Derrière Raymond Mondon et Aimé Paquet, une quarantaine de députés décidèrent d’appeler à voter « oui » le 8 janvier 1961, contre l’avis de la direction du Centre mais comme le souhaitait Paul Reynaud.
Il tenta de reprendre l’initiative politique le 11 janvier en écrivant au premier ministre pour lui demander une réforme de la Constitution dans le droit fil de ce qu’il prônait déjà en mai 1953 : une dissolution automatique en cas de refus de la confiance des députés au gouvernement, afin de restaurer un certain équilibre entre exécutif et législatif. La proposition passa presque inaperçue. Toute l’année 1961 fut occupée par le conflit qui aboutit à l’éviction de Roger Duchet du secrétariat général du CNIP. Une revanche tardive pour Paul Reynaud, qu’il goûta fort. Envisagea-t-il alors de devenir le leader des modérés ? La chose n’est pas exclue. Il appela à voter « oui » le 8 avril 1962, contre la consigne du Centre national. Il ne participa pas au 5ème congrès du CNIP en juin mais écrivit à Camille Laurens, nouveau secrétaire général, pour faire adopter une motion sur le « gouvernement de législature », avec dissolution automatique en cas de différend grave entre législatif et exécutif. À l’automne, il monta en première ligne, l’âge n’ayant rien ôté à son énergie, pour combattre le projet de réforme constitutionnelle voulu par Charles de Gaulle. Il cosigna le texte de la motion de censure déposée le 2 octobre et prononça deux jours plus tard le discours le plus remarqué contre le « coup de force contre la constitution », et dont la péroraison frappa les esprits : « Aussi, Monsieur le premier ministre, allez dire à l’Elysée que notre admiration pour le passé reste intacte mais que cette Assemblée n’est pas assez dégénérée pour renier la République ». Figure de premier plan du « Cartel des non » avec Guy Mollet, il éclipsait Bertrand Motte, président du groupe des IPAS depuis 1961. Le succès ne fut toutefois pas au rendez-vous.
En novembre 1962 eurent lieu les élections législatives anticipées, après la victoire du président de la République au référendum. Paul Reynaud affronta cinq candidats. Quatre d’entre eux n’avaient aucune chance de l’emporter : Henri Michel (PCF, 2 813 voix), Ivan Ginioux (PSU, 3 157 voix), Bernard Moccelin (divers droite, 256 voix) et Emmanuel Beau de Loménie (poujadiste, 475 voix). La SFIO et le MRP ne présentaient pas de candidat pour aider le leader du Cartel des non. Celui-ci, investi par le CNIP et fort du soutien de son suppléant Roger Deblock, conseiller général de Wormhoudt particulièrement bien implanté, ne recueillit cependant que 6 665 suffrages : 40% de ceux de 1958. Il avait pourtant parcouru toutes les communes de la circonscription, à raison de quatre ou cinq par jour. L’UNR avait fait appel à l’ancien sénateur Jules Houcke, maire de Nieppe et conseiller général de Bailleul. Celui-ci avait été le député de la région en octobre 1945, inscrit au groupe des RI. C’était avec lui que Paul Reynaud, alors à la recherche d’une circonscription, avait négocié en 1946. Jules Houcke, avait cédé sa place puis était devenu sénateur gaulliste de 1948 à 1958. Il était toujours resté en bons termes avec l’ancien président du conseil, lui apportant son soutien à chaque élection. Mais Jules Houcke, choqué des violentes attaques lancées contre le chef de l’Etat, sortit de sa retraite en 1962. Il ne fit presque pas campagne, recueillit 21 322 voix et fut élu dès le premier tour. Ce fut la fin de la carrière parlementaire de Paul Reynaud, commencée 43 ans plus tôt.
En février 1960, il avait renoncé à se présenter à l’Académie française après le décès d’André Siegfried. Il laissa François Piétri, ancien ambassadeur de France en Espagne de 1940 à 1944, seul en lice. Il n’en poursuivit pas moins sa carrière d’écrivain. En 1960 parut le 1er tome de ses Mémoires chez Flammarion, intitulé Venu de ma montagne. Le second tome – Envers en contre tous – fut publié en 1963.
Paul Reynaud continua d’intervenir dans la vie politique du pays. Sur deux thèmes principalement. La politique étrangère tout d’abord : il reprochait à Charles de Gaulle la reconnaissance de la Chine, ses réticences face à l’unification européenne et les distances prises avec l’OTAN ; il publia sur ce sujet un ouvrage en 1964 chez Julliard, qui résumait ses vues, intitulé La politique étrangère gaulliste. La question des institutions retenait aussi toujours son attention et il écrivit, en 1964 encore, Et après ? dans lequel il expliquait que les institutions ne résisteraient pas à la disparition de Charles de Gaulle.
Il décéda des suites d’une appendicite aiguë le 21 septembre 1966, à l’hôpital américain de Neuilly.