Marie, Joseph, Louis, Adolphe Thiers
1797 - 1877
Président de la République du 31 août 1871 au 24 mai 1873
Député de 1830 à 1848, ministre, représentant en 1848 et en 1849, député de 1863 à 1870, représentant en 1871, président de la République, député de 1876 à 1877, né à Marseille (Bouches-du-Rhône) le 14 avril 1797, mort à Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise) le 3 septembre 1877.
Il était le fils de Pierre-Louis-Marie Thiers et de Marie-Madeleine Amic. La filiation d'Adolphe Thiers ayant été, à une certaine époque, l'objet de vives discussions, nous publions, pour la première fois, afin de l'établir d'une façon définitive, les extraits des actes mêmes de l'état civil de la ville de Marseille qui s'y rapportent.
Son père s'était marié le 7 septembre 1784 :
« Mariage de Louis-Marie Thiers, sous-archivicaire de cette ville (Marseille), fils majeur de Maître Louis-Charles, avocat au parlement, et de dame Marie-Marguerite Broude, de cette ville, demeurant sur la paroisse Saint-Ferréol, rue de Montgrand, d'une part, et de demoiselle Marie-Claudine Fougasse, fille majeure de feu sieur Etienne Mathieu et de feue dame Anne-Madeleine Sauffret, de cette même ville, demeurant sur la paroisse de Saint-Martin, rue des Dominicains, d'autre part ».
Il n'y eut pas d'enfant de ce mariage, et madame Thiers mourut le 1er mars 1797 :
« Décès de Marie-Claudine Fougasse, âgée de 45 ans, épouse de Pierre-Louis-Marie Thiers, négociant, décédée le onze ventôse an V, à neuf heures cinq décimes, dans sa maison d'habitation sise sur le Champ du Dix Août, sous le n° 6, île quinze. »
Un mois et demi après, naissance d'Adolphe Thiers :
« L'an cinq de la République française, une et indivisible, le vingt-neuf germinal, à cinq heures (17 avril 1797), par devant nous, officier public de la municipalité du Midy, canton de Marseille, et dans le bureau de l'état civil, est comparu le citoyen Marie-Siméon Rostan, officier de santé et accoucheur, demeurant rue latérale du Cours, île cent cinquante-quatre, maison six, lequel nous a présenté un garçon dont il nous a dit avoir fait l'accouchement, qu'il nous a déclaré être né le vingt-six du présent mois (14 avril), à deux heures une décime, de la citoyenne Marie-Madeleine Amic, et des œuvres du citoyen Pierre-Louis-Marie Thiers, propriétaire, actuellement absent, et dans la maison d'habitation de l'accouchée, sise rue des Petits-Pères, sous le numéro quinze, île cinq, auquel garçon il a été donné les prénoms de Marie-Joseph-Louis-Adolphe ; dont acte fait en présence des citoyens Pierre Poussel, propriétaire, demeurant rue des Petits-Pères, et Jeanne Imbert, coiffeuse, demeurant même rue, témoins majeurs, desquels le second a déclaré ne savoir écrire, et avons signé avec le premier et le comparaissant.
Signé : ROSTAN, O. P. POUSSEL, J. JOURDAN, off. p. adjoint. »
Un mois après la naissance de l'enfant, mariage des père et mère :
« L'an cinq de la République française une et indivisible, le vingt-quatre floréal (13 mai 1797), à sept heures cinq décimes, nous, officier public, avons prononcé au nom de la loi que le citoyen Pierre-Louis-Marie Thiers, propriétaire, âgé de trente-quatre ans et huit mois, fils de feu Louis-Charles Thiers, aussi propriétaire, et de Marie-Marguerite Broude, survivante, mariés, natif de Marseille, y domicilié avec sa mère, aux allées de Meilhan, île quinze, maison six, section vingt-trois, veuf de Marie-Claudine Fougasse, d'une part, « Et la citoyenne Marie-Magdeleine Amic, âgée de vingt-deux ans et dix mois, fille de feu Claude Amic, négociant, et de Marie Lhomaca, survivante, aussi mariés, cette dernière ici présente, native de Bouc, département des Bouches-du-Rhône, résidant à Marseille, y domiciliée avec sa mère, rue des Petits-Père, île cinq, maison quinze, même section que dessus, d'autre part.
« Sont unis en mariage ; et de même suite ces époux nous ont déclaré qu'il est issu de leur union un garçon dont la naissance a été constatée le vingt-neuf germinal de cette présente année dans nos registres courants, sous les prénoms et noms de Marie-Joseph-Louis-Adolphe Thiers : lequel garçon ces dits époux reconnaissent pour leur fils légitime, qu'ils veulent légitimer, aussi qu'ils légitiment dans la meilleure forme de droit que ce puisse être, et pour qu'il constate de tout ce que dessus, nous avons dressé le présent acte fait et publié dans une salle de cette administration. »
L'accoucheur Siméon Rostan, qui a laissé parmi ses papiers de famille un mémorandum sur lequel il inscrivait au jour le jour ses impressions médicales, y a écrit lors de la naissance de Louis-Adolphe Thiers : « 26 germinal an V. Appelé en toute hâte chez madame Tiers (sic), cousine d'André Chénier, enceinte de neuf mois onze jours Accouchement très laborieux, mais naturel. L'enfant, turbulent pendant la vie utérine, se présente sens devant derrière. »
Le jeune Thiers entra comme boursier, en 1806, au lycée de Marseille, et, après de bonnes études, alla faire son droit à Aix (1815) ; il s'y lia étroitement avec Mignet, fut reçu avocat en 1820 ; mais, préférant la littérature au barreau, il commença de bonne heure à s'occuper de recherches historiques et critiques, et, encouragé par un magistrat, M. d'Arlaten de Lauris, se décida à concourir pour le prix proposé par l'Académie d'Aix sur ce sujet : l'Eloge de Vauvenargues. Les tendances « libérales » de l'auteur ayant déplu aux juges du concours, en majorité royalistes, l'épreuve fut remise à l'année suivante. M. Thiers envoya alors deux mémoires, dont l'un, sous son nom, n'était que la reproduction pure et simple de l'ancien et obtint un simple accessit; l'autre, qu'il avait signé d'un nom supposé et expédié de Paris, lui valut le prix. Venu à Paris en septembre 1821, il y retrouva son camarade Mignet ; tous les deux, sans ressources, logèrent dans une mansarde au sixième, au fond du passage Montesquieu.
La protection de Manuel et d'Etienne permit à Thiers d'entrer au Constitutionnel, qui publia d'abord quelques fragments de l'Eloge de Vauvenargues, et donna ensuite de nombreux articles écrits d'une plume alerte sur divers sujets de politique et de littérature: on remarqua particulièrement son ingénieuse critique du livre de Montlosier : de la Monarchie française (mars 1822), et, la même année, son Compte rendu du Salon. Le Salon de 1822 parut bientôt en volume, et fut presque aussitôt suivi d'une curieuse étude écrite pour servir de préface aux Mémoires de mistress Bellamy, actrice du théâtre de Covent-Garden, et d'une relation animée et pittoresque d'un voyage aux Pyrénées : les Pyrénées ou le Midi de la France pendant les mois de novembre et de décembre 1822 (1833).
Le jeune avocat d'Aix ne tarda pas à prendre dans le journalisme une situation prépondérante. Pour lui donner une voix influente dans les conseils du Constitutionnel, un riche libraire allemand, Cotta, l'aida à en acquérir une action. Vers le même temps, M. Thiers fit aux Tablettes universelles, que dirigeait M. Coste, un bulletin politique qu'on attribua quelque temps à Etienne et dont la vivacité agaça tellement le pouvoir que celui-ci s'empressa d'y mettre fin, non en supprimant le journal, mais en l'achetant. M. Thiers n'avait pas quitté d'ailleurs le Constitutionnel ; il y donna le Salon de 1824, qui eut un succès égal au premier; en même temps, il coopéra à la rédaction du Globe. Il avait déjà un nom, et sa place était marquée dans les cercles politiques de Paris, il était l'ami de Laffitte et du baron Louis, et était reçu familièrement par Talleyrand. Depuis longtemps il songeait à une Histoire de la Révolution française, et il avait réuni d'abondants matériaux pour cet ouvrage faisant appel à la mémoire de ceux qui avaient survécu, aux fonctionnaires, aux hommes d'Etat, aux généraux du régime impérial; mais il ne pouvait trouver un éditeur. Il fut obligé d'associer à son entreprise un des collaborateurs les plus en vogue du Constitutionnel, Félix Bodin (v. ce nom), qui possédait sur lui l'avantage d'avoir déjà à son actif plusieurs publications : les deux premiers volumes, parus en 1823, sont en effet signés de MM. Félix Bodin et A. Thiers ; mais, dès le troisième volume, le premier nom disparut de la couverture : le dixième volume de l'Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'au 18 brumaire parut en 1827. Cet ouvrage excita alors au plus haut point les sympathies du parti libéral ; depuis, il a été plus froidement apprécié : on a reproché notamment à l'écrivain des négligences de style, et à l'historien, cet esprit en quelque sorte fataliste qui n'est que l'acceptation du fait accompli, la justification des hommes et des partis tour à tour triomphants et la glorification du succès. M. Thiers n'hésita pas d'ailleurs à remanier les éditions successives de son ouvrage, pour le mettre d'accord avec ses fluctuations politiques.
« M. Thiers, écrit un biographe, devenait un homme en vue. Paris s'intéressait à ses faits et gestes. Il était à la mode. À peine connaissait-il l'aisance, et déjà il tâtait sous toutes les formes des jouissances du luxe, avec beaucoup d'inexpérience, il est vrai, et une inaptitude qui faisait un peu rire à ses dépens. C'est en vain que sa petite taille et la faiblesse de son tempérament opposaient sans cesse des obstacles aux goûts nouveaux qu'il s'imposait; on le voyait lutter avec une mâle énergie contre ces désavantages. Quelquefois, au sortir d'un dîner où l'eau avait cessé d'être sa boisson unique, et après une bruyante soirée, M. Thiers, accablé de son plaisir et pliant sous la joie qu'il s'était donnée, jurait de ne se renfermer que dans la vie sérieuse et occupée; d'autres fois, quand son cheval pic, Ibrahim, qu'il montait en cavalier peu exercé, l'avait lancé gisant sur la voie publique, il se promettait bien de no plus prétendre à l'adresse d'un centaure ; mais la tête débarrassée et libre le corps guéri, la meurtrissure fermée, M. Thiers se reprenait à tout et retrouvait l'ardeur qui l'avait excité. »
Après son Histoire de la Révolution, il eut le projet d'écrire une Histoire générale et voulut s'y préparer par des voyages. Il allait s'embarquer pour accompagner le capitaine Laplace dans une expédition de circumnavigation, quand, le 5 août 1829, le ministère Polignac fut constitué ; il resta pour le combattre. « Enfermons-les dans la Charte comme Ugolin dans sa tour ! » Ce mot célèbre fut en quelque sorte le mot d'ordre de la campagne entreprise contre le nouveau cabinet. M. Thiers abandonna alors le Constitutionnel et fonda, avec le concours d'un libraire, M. Sautillet, et de deux écrivains, Mignet et Armand Carrel, un nouvel organe, le National, dont le duc de Dalberg, Talleyrand et Laffittes contribuèrent à fournir les fonds. Chacun des trois directeurs politiques devait remplir à son tour, pendant un an, les fondions de rédacteur en chef. M. Thiers commença. C'est à la défense de la Charte de 1814 et à l'exposé des principes qui y étaient exprimés, qu'il consacra le premier article du National. Il fit ressortir la distinction qu'elle avait posée entre l'autorité royale et l'autorité ministérielle, la participation nationale à la confection des lois, et, avant tout, la liberté d'écrire. Puis il s'attacha à faire valoir les avantages de la monarchie représentative, telle que les Bourbons l'avaient promise. Il compta les armes que la Charte fournissait à ses défenseurs contre ceux qui la voulaient détruire : la tribune d'abord, puis la presse, puis les collèges électoraux, puis la résistance légale, le refus du budget, le refus de l'impôt. Sa tactique principale était de chercher à isoler M. de Polignac de ses collègues. M. de Polignac penchait pour l'alliance de l'Angleterre ; M. Thiers s'écriait : « Le monde est las de tous les despotismes. Des sommets de Gibraltar, de Malte, du cap de Bonne-Espérance, une tyrannie immense s'étend sur les mers; il faut la faire cesser. » Ne laissant ni trêve ni répit au ministère, le jeune publiciste combattit les prétentions du prince de Cobourg, le candidat de l'Angleterre au nouveau trône de Grèce ; il s'opposa surtout de toutes ses forces à l'expédition d'Alger.
Il n'attaquait jamais le roi, mais il sapait le pouvoir dans la personne de ses ministres :
« Que le ministère raisonne, qu'il prie, qu'il menace, disait-il, on n'en tiendra compte. Il aura beau imiter une voix auguste et dire : Je suis le roi ! Ecoutez-moi. On lui répondra : Non, vous n'êtes pas le roi ; vous êtes M. de Polignac, l'entêté, l'incapable ; vous êtes M. de Peyronnet, le déplorable ; M. de Bourmont, le déserteur ; M. de Montbel, l'humble dupe ; M. de Chantelauze, le jésuite !... »
Le National, ne portant pas au delà d'un changement de dynastie ses vues révolutionnaires, posa nettement, dans son numéro du 9 février 1830, la candidature éventuelle du duc d'Orléans. Cette déclaration lui valut un procès et une condamnation; mais l'amende fut couverte par les souscriptions du parti libéral. À dater du mois de juillet, les polémiques redoublèrent d'intensité. Aussi, quand parurent, le 26, au Moniteur, les fameuses Ordonnances, les propriétaires du National se réunirent aussitôt dans les bureaux du journal. Le premier mot de Thiers fut celui-ci : « Il faut refuser de nous soumettre aux Ordonnances ». Son second mot fut : « Il faut un acte ; et il faut que tous les journaux insèrent cet acte. » Il fut chargé de la rédaction : ce fut la fameuse protestation des journalistes, signée par les rédacteurs du Globe, du National, du Courrier des Electeurs, de la Tribune des Départements, du Constitutionnel, du Temps, du Courrier français, de la Révolution, du Commerce, du Figaro et du Journal de Paris. De son côté, Guizot écrivait la protestation des députés.
Le 27 juillet, un commissaire de police se présenta au National pour lui interdire de paraître le lendemain ; mais la protestation n'en fut pas moins répandue dans Paris. Après avoir assisté, le 27 et le 28, à plusieurs réunions où il s'efforça vainement de faire prévaloir le système de la résistance l'égale, M. Thiers se retira à Montmorency, puis reparut le 29. Paris s'était couvert de barricades. Les Tuileries, le Louvre, l'Hôtel de Ville venaient de tomber aux mains du peuple. Deux camps s'étaient formés : l'un à l'Hôtel de Ville, où quelques démocrates essayaient de fonder la République sous le patronage de La Fayette, l'autre à l'hôtel Laffitte, où l'on penchait pour l'établissement d'une monarchie constitutionnelle, au profit du duc d'Orléans.
M. Thiers y rédigea lui-même une Proclamation en faveur du prétendant. On y lisait : « Chartes X ne peut plus rentrer dans Paris ; il a fait couler le sang du peuple. La République nous exposerait à d'affreuses divisions ; elle nous brouillerait avec l'Europe. Le duc d'Orléans est un prince dévoué à la cause de la Révolution. Le duc d'Orléans ne s'est jamais battu contre nous. Le duc d'Orléans était à Jemmapes. Le duc d'Orléans a porté au feu les couleurs tricolores; le duc d'Orléans peut seul les porter encore. Nous n'en voulons pas d'autre. Le duc d'Orléans ne se prononce pas. Il attend notre vœu. Proclamons ce voeu et il acceptera la Charte comme nous l'avons entendue et voulue. C'est du peuple français qu'il tiendra la couronne. »
Chargé de prévenir le prince, M. Thiers partit pour Neuilly, accompagné d'un officier de la garde nationale. Le duc hésitait, a-t-on dit, à accepter ; ce fut Mme Adélaïde qui se porta fort pour lui, et répondit de son consentement. Le 31, une entrevue nouvelle eut lien entre le prince et M. Thiers, au Palais-Royal. Le 1er août, le duc d'Orléans était proclamé lieutenant général du royaume. M. Thiers travailla à lui rallier des partisans. Il fut un des principaux organisateurs de la royauté du 9 août, qui ne tarda pas à l'appeler à jouer un rôle officiel.
Elu, le 21 octobre 1830, député du 2e arrondissement des Bouches-du-Rhône, par 177 voix (200 votants, 302 inscrits), en remplacement de M. de Bausset démissionnaire, M. Thiers prit place dans la majorité gouvernementale, et, ayant été nommé conseiller d'Etat et secrétaire général du ministère des Finances, obtint sa réélection, le 13 janvier 1831, par 181 voix (198 votants). Quand le baron Louis, ministre, céda la place à Laffitte, M. Thiers garda son poste avec le titre de sous-secrétaire d'Etat. Il devint l'âme et le conseil du cabinet, se préoccupa d'opérer divers changements dans le mode de perception des impôts et dans l'administration des domaines, et se montra partisan de l'intervention de la France en faveur de la Pologne, de la Belgique, de l'Italie.
Réélu, le 5 juillet 1831, député d'Aix, par 197 voix (334 votants, 383 inscrits), contre 118 au général d'Arbaud, il se retira avec Laffitte le 13 mars, et alla passer quelque temps dans le Midi. À son retour, contrairement à l'attente générale, il quitta brusquement leparti du « mouvement », n'hésita pas à combattre les opinions de ses amis de la veille, et soutint la politique de Casimir Perier. C'est ainsi qu'il se prononça en faveur du système de la paix, qu'il recommanda le maintien des traités de 1815, qu'il déconseilla la réunion de la Belgique à la France, et qu'il se fit le défendeur de l'hérédité de la pairie (1831). Alors il inaugura le genre d'éloquence qui s'alliait le mieux, semble-t-il à la nature de son esprit et à l'allure de sa personne. Cette sorte de conversation familière, facile, prolixe même, mais attrayante, qu'il prit l'habitude d'apporter à la tribune, le fit écouter même de ses adversaires, dont elle retint l'attention : « Il sait tout à la tribune, dit M. Nettement, surtout ce qu'il ignore. » En janvier 1832, un changement inattendu d'ordre du jour l'ayant mis dans l'impossibilité de rédiger le volumineux rapport qu'il devait préparer sur le budget, il s'en tira le plus habilement du monde avec quelques notes et chiffres, parla pendant quatre heures à côté du sujet, et étonna ses auditeurs par la fécondité et les ressources de son esprit.
Après la mort de Casimir Perier, il conseilla la mise en état de siège de Paris lors de l'insurrection des 5 et 6 juin et fut appelé à prendre place, comme ministre de l'Intérieur, dans le cabinet du 11 octobre (cabinet Soult).
Il se fit réélire député le 11 novembre 1832, par 182 voix (326 votants, 385 inscrits), contre 137 à M. de Fitz-James, légitimiste. L'Ouest était alors troublé par l'insurrection royaliste. A l'aide des fonds secrets, le nouveau ministre acheta au juif Deutz, agent royaliste, le secret de la retraite de la duchesse de Berry qui fut arrêtée le 7 novembre. M. Thiers eut une part considérable de responsabilité dans les procès de presse, dans la loi contre les associations, qu'il soutint avec beaucoup de vivacité, et dans les répressions contre les républicains. C'est dans la discussion de la loi contre les associations qu'il prononça la phrase si souvent citée depuis : « La France a en horreur la république, quand on lui en parle, elle recule épouvantée; elle sait que ce gouvernement tourne au sang ou à l'imbécillité. »
Du 31 décembre 1832 au 4 avril 1834, il occupa le ministère de l'Agriculture et du Commerce ; puis le roi lui confia de nouveau le portefeuille de l'Intérieur qu'il garda cette fois jusqu'au 10 novembre, pour le reprendre presque aussitôt (18 novembre) et ne le quitter que le 22 février 1836. Pendant l'insurrection lyonnaise, M. Thiers se montra l'homme de la résistance et de la réaction à outrance : il eut la même attitude lors des journées d'avril 1834, à Paris. Son nom est resté attaché aux sanglantes exécutions de la rue Transnonain et de la Croix-Rousse.
Le 13 décembre 1834, il fut reçu membre de l'Académie française en remplacement d'Andrieux.
À la suite de l'attentat de Fieschi (28 juillet 1835), il présenta et défendit, de concert avec MM. de Broglie, Persil et autres, les fameuses lois de septembre restrictives de la liberté de la presse. La première permettait aux procureurs généraux d'abréger les formalités de la mise en jugement et donnait au président le droit de faire emmener de force les accusés qui troubleraient l'audience, et à la cour le droit de les juger en leur absence la seconde, relative au jury, ordonnait le secret du vote, réduisait de huit à sept le nombre de voix nécessaires pour la condamnation et aggravait la peine de la dégradation ; la troisième, relative à la presse, était la plus dure. « Donnez-moi tout cela, attrait dit M. Thiers à M. Persil, qui avait minuté les principaux articles de la loi. J'ai appris dans l'opposition ce qu'on peut faire avec les journaux. Je vais vous les tuer d'un coup. » En effet, cette loi punissait toute attaque, « non suivie d'effet », contre le principe du gouvernement et la personne du roi, de la détention et d'une amende de 10 à 50 000 francs. Prendre la qualité de républicain, faire l'apologie des actes qualifiés crimes et délits par la loi pénale rendre compte des procès pour injures ou diffamation, faire des souscriptions pour le payement des amendes, tout cela était interdit sous les peines les plus sévères. Les juges, dans certains cas, pouvaient suspendre le journal poursuivi, pour deux et même quatre mois. Le taux du cautionnement était augmenté, la gouvernement était investi du droit de faire insérer ses réponses aux attaques ; enfin, la censure, dont l'abolition avait été le premier acte du gouvernement de 1830, était rétablie pour les pièces de théâtre, les gravures et les dessins.
M. Thiers, dont la maxime : « Le roi règne et ne gouverne pas », flattait à merveille les intérêts et les sentiments de la bourgeoisie, avait obtenu sa réélection comme député, le 21 juin 1834, dans les 3 collèges suivants :
- le 4e des Bouches-du-Rhône (Aix), par 193 voix (343 votants, 398 inscrits), contre 140 à M. Barlet ;
- le 5e du Gers (Mirande), par 129 voix (228 votants, 296 inscrits), contre 53 à M. de Lamezan ;
- le 5e arrondissement de Paris, par 508 voix (896 votants, 1 026 inscrits).
Il avait opté pour Aix.
À la Chambre, il était le chef reconnu de l'une des deux fractions de la majorité, le centre gauche, tandis que Guizot était à la tête du centre droit. Le premier dissentiment grave entre les deux leaders éclata à propos des affaires d'Espagne. M. Thiers, suivant la politique anglaise, voulait que la France intervînt, M. Guizot s'y opposait. Le roi, hésitant entre eux, prit un moyen ferme; il envoya à la reine Christine la légion étrangère. Se voyant ainsi contrebalancé dans l'esprit de Louis-Philippe par son rival, le ministre de l'Intérieur chercha le moyen de provoquer la démission du cabinet. Il y fut aidé par son collègue des finances, M. Humann. Sans prendre avis de ses autres collègues, celui-ci proposa à la Chambre, pour rétablir l'équilibre des finances, une réduction de la rente. M. Guizot s'irrita, M. Humann céda son portefeuille à M. d'Argout; mais aussitôt, un député, M. Gouin, reprit la thèse de M. Humann. Le ministère demanda l'ajournement, la Chambre le repoussa, et le cabinet se retira.
Les engagements de M. Thiers avec ses anciens collègues du ministère ne laissaient pas que de le gêner ; le duc de Broglie l'en dégagea, à la demande formelle du roi, et, quelques jours après (22 février 1836), M. Thiers reçut la mission de former un cabinet centre gauche, où il prit la présidence du conseil avec le portefeuille des Affaires étrangères. Il s'occupa de réformer certains impôts, abolit la loterie, et saisit avec empressement, pour appliquer les lois de septembre, les occasions que lui offrirent l'attentat d'Alibaud et les conspirations de Blanqui et de Barbès. Sa merveilleuse faculté d'assimilation, la fatuité méridionale avec laquelle il s'enflammait sur toute question, le jetaient toujours dans quelque nouvelle affaire; il rêvait de diriger, de Paris, les opérations militaires en Algérie ; on l'appelait un « Napoléon civil. » Appuyé sur le traité de la quadruple alliance, il voulut intervenir en Espagne ; mais, le roi s'y opposant, M. Thiers se retira (25 août 1836), et fut remplacé par Molé (6 septembre).
Tombé du pouvoir, il devint l'adversaire implacable de ses successeurs, se fit réélire député, le 4 novembre 1837, à Aix, par 218 voix (225 votants, 435 inscrits), puis le 2 mars 1839, par 229 voix (236 votants), et fut un des chefs de la « coalition ». Il évita d'entrer dans le cabinet du 12 mai 1839, formé au moment où une émeute éclatait à Paris, contribua encore à la chute de ce ministère, et revint au pouvoir le 1er mars 1840, en reprenant, avec la présidence du conseil, le ministère des Affaires étrangères. Son nouveau passage aux affaires fut marqué par des événements considérables. M. Thiers renouvela le monopole de la Banque de France, maintint les lois fiscales sur le tabac et le sel, opéra une modification favorable aux colons et à la marine dans la lui sur les sucres, laissa repousser la réduction de la rente par la Chambre des pairs vint au secours des compagnies de chemins de fer, et fit proposer par son collègue, M. de Rémusat, un projet de loi qui ouvrait un crédit pour la translation des cendres du prisonnier de Sainte-Hélène. La Chambre vota un crédit d'un million, et le roi autorisa le prince de Joinville à aller chercher les cendres de l'empereur. M. Thiers combattit à la Chambre tous les projets de réforme parlementaire et de réforme électorale.
Aux embarras intérieurs que lui suscita cette question s'ajoutèrent les embarras extérieurs. La question d'Orient renaissait, grâce aux dissentiments de Méhémet-Ali, vice-roi d'Egypte, avec le sultan. M. Thiers soutint Méhémet-Ali contre la Turquie : il voulait assurer au vice-roi la possession définitive et immédiate de l'Egypte, et créer sur les bords du Nil une puissance indépendante sous la protection de la France, Un traité conclu le 15 juillet entre la Russie, l'Angleterre, la Prusse, l'Autriche et la Turquie, traité qui excluait la France du concert européen et qui tendait à affaiblir la puissance égyptienne, vint lui prouver qu'il s'était laissé jouer par la diplomatie étrangère. On accusa en pleine Chambre le ministre d'avoir tenu cachées des dépêches télégraphiques qui lui annonçaient, le 15 juillet, la déchéance de Méhémet-Ali et le bombardement de Beyrouth. M. Thiers, qui eut un instant la velléité de tenir tête à l'Europe, fut détourné de ses projets belliqueux par la bruyante tentative du prince Louis Napoléon à Boulogne qui compliqua encore la situation du cabinet. Les conservateurs du parlement s'effrayèrent vite des préparatifs guerriers de M. Thiers. En vain celui-ci écrivit-il la note du 5 octobre dans laquelle il déclarait qu'il ne ferait point de la question syrienne une question de guerre, mais qu'il interviendrait si on poussait plus loin la coercition à l'égard du pacha.
Le parti de la paix à tout prix l'emporta dans les conseils du roi, et M. Thiers donna sa démission (28 octobre 1840). Dès lors il parut se recueillir sans cesser de se mêler aux travaux législatifs. Ce fut lui notamment qui fut le président, puis le rapporteur de la commission chargée de l'examen du projet de loi pour les fortifications de Paris. Il demeura le chef du centre gauche, l'inspirateur du tiers-parti dans sa lutte contre Guizot, reparut à la tribune pour soutenir, en 1842, la loi de régence qui excluait la duchesse d'Orléans.
Il fut réélu, le 9 juillet 1842, par 247 voix (360 votants, 436 inscrits), contre 110 à M. Albon de Villeneuve, et encore le 1er août 1846, par 222 voix (238 votants, 407 inscrits) ; il se fit applaudir de l'opposition en parlant (2 mai 1845) contre l'accroissement du pouvoir des jésuites, sur les droits de l'Université violés par une ordonnance (21 février 1846), sur les incompatibilités des fonctions publiques avec le mandat législatif (16 mars 1846). À la fin de la session de 1845, ne comptant plus sur le centre, il s'était porté à gauche, et avait signé en double un traité avec Odilon Barrot (25 décembre 1845), stipulant qu'ils entreraient ensemble au ministère, et proposeraient la réforme électorale et des lois sur le jury et sur la presse. Dans la session suivante, il prononça (mars 1846) un discours très vif contre l'ingérence personnelle du roi dans la politique : « Je sais, écrivait-il à Panizzi le 26 mars, que vous avez approuvé mon discours ad Philippum. Celui-ci a été fort mécontent, ce dont je me soucie peu ; je vais à mon but qui est la vérité, et ne regarde ni à droite ni à gauche. » Sans paraître aux banquets réformistes de 1847, qu'il n'approuvait pas, il prit cependant une part secrète à l'agitation libérale, et dirigea contre la politique doctrinaire de fréquentes attaques. On remarqua beaucoup cette déclaration qu'il fit dans les derniers jours du règne de Louis-Philippe : « Je suis, dit-il, du parti de la révolution en Europe, et je ne trahirai jamais sa cause. » En même temps, il terminait la publication de son Histoire du Consulat et de l'Empire, sorte de suite donnée à l'Histoire de la Révolution, et où l'on retrouve les mêmes qualités et les mêmes défauts.
Dans les journées de février 1848, il émit l'avis que l'opposition donnât sa démission collective. Appelé aux Tuileries, dans la nuit du 23 au 24 février, il fut chargé par le roi de former, avec Odilon Barrot, un nouveau ministère. Mais la Proclamation qu'il adressa an peuple pour calmer l'effervescence fut sans effet, et la République sortit des barricades. M. Thiers, qui n'était rien moins que républicain, envoya toutefois son adhésion au gouvernement provisoire. On lui prêta alors un mot, bien souvent répété depuis : « La République est le gouvernement qui nous divise le moins, »
Comptant pouvoir préparer le triomphe de ses idées politiques, sociales, économiques, aussi bien sous le régime républicain que sous le régime de la monarchie constitutionnelle, il sollicita du suffrage universel, non aux élections générales de la Constituante, mais au scrutin partiel du 4 juin 1848, un mandat législatif, qu'il obtint dans cinq départements :
1° dans la Gironde, par 27380 voix (63 220 votants, 177 220 inscrits)
2° dans la Mayenne, par 18 720 voix (44 036 votants, 95 684 inscrits) ;
3° dans l'Orne, par 30 191 voix (53 857 votants) ;
4° dans la Seine-Inférieure, par 58 361 voix ;
5° dans la Seine, par 97 394 voix.
Il opta pour la Seine-Inférieure.
Les stratégistes parlementaires de l'époque ayant constitué, en dehors de toutes préférences dynastiques, ce qu'ils appelèrent le « parti de l'ordre », M. Thiers devint le chef de ce parti. Il vota pour le rétablissement du cautionnement et de la contrainte par corps, contre l'abolition de la peine de mort, contre l'amendement Grévy, pour la Constitution, pour la proposition Rateau, pour les crédits de l'expédition de Rome, contre l'amnistie, etc. Il fit, comme rapporteur du comité des finances, une très vive critique de la proposition de Proudhon (juillet 1848) et du socialisme en général, combattit (21 octobre) l'amendement Deville tendant à l'abolition du remplacement militaire, appuya l'élection à la présidence de la République de Louis-Napoléon Bonaparte, et prit part aux débats passionnés que soulevèrent les affaires d'Italie. Il publia en 1848, sous ce titre Du Droit de propriété, une œuvre d'à-propos, écrite avec sa verve habituelle, mais d'une originalité et d'une force d'argumentation contestables. Il eut, après le 20 décembre, un duel avec M. Bixio qui lui reprochait d'avoir soutenu comme candidat à la première magistrature du pays un homme dont il avait dit quelque temps auparavant que son élection « serait une honte pour la France. »
Réélu, le 13 mai 1849, représentant de la Seine-Inférieure à l'Assemblée législative, le 8e sur 16, par 91 248 voix (146 223 votants, 213 301 inscrits), M. Thiers siégea à droite comme précédemment, fut un des chefs les plus autorisés et les plus écoutés de la majorité monarchiste, prit part à la plupart des débats importants, inspira les délibérations du fameux comité de la rue de Poitiers, et s'associa à toutes les mesures de réaction qui prépareront l'Empire, dont il redoutait cependant l'établissement; il vota pour la loi Falloux-Parieu sur l'enseignement, et contribua, à l'adoption de la loi restrictive du suffrage universel.
Quand le général Changarnier fut révoqué de ses fonctions de commandant de l'armée de Paris pour avoir interdit à ses troupes de pousser aucun cri politique, et que les bruits de coup d'Etat commencèrent à prendre créance dans l'opinion, M. Thiers tenta, mais vainement, de sauver le gouvernement parlementaire. « L'Empire est fuit », avait-il dit plusieurs mois auparavant. Sa prophétie se réalisa. M. Thiers fut arrêté chez lui, le matin du 2 décembre 1851. La pensée de cette arrestation avait, paraît-il, rempli de joie les conjurés, et, après avoir remis à M. de Béville un dossier sur lequel était écrit Rubicon et qui contenait tous les décrets qui devaient être affichés le lendemain, le prince Louis-Napoléon Bonaparte et M. Mocquard « se mirent à rire, écrit M. Granier de Cassagnac, de la figure que feraient les deux plus petits hommes de l'Assemblée législative, MM. Thiers et Baze, lorsqu'ils se verraient prisonniers et en chemise.» Incarcéré peu de temps à Mazas, M. Thiers fut ensuite éloigné du territoire et accompagné jusqu'à Francfort. Au mois d'août suivant, on l'autorisa à rentrer à Paris.
De 1852 à 1863, il se tint à l'écart de la vie politique militante, s'occupant de littérature et augmentant chaque jour avec passion sa collection d'objets d'art. Il continuait en même temps ses travaux historiques, que le gouvernement impérial considérait d'ailleurs avec bienveillance. En citant un passage de l'Histoire du Consulat et de l'Empire dans un de ses messages au Corps législatif, l'empereur Napoléon III affecta de donner à l'auteur la qualification d' « historien national ». En 1861, l'ouvrage fut proposé par l'Académie française pour le prix biennal de 20 000 fr. fondé par le chef de l'Etat, et M. Thiers accepta cette faveur tout en consacrant le revenu de la somme à la fondation d'un nouveau prix, qui porta son nom.
L'ancien ministre rentra dans la politique active aux élections générales de 1863 : il se présenta, comme candidat indépendant, dans plusieurs circonscriptions, échoua :
- dans la 2e des Bouches-du-Rhône avec 7 717 voix contre 15 717 à l'élu officiel, M. Bournat ;
- dans la 4e des Côtes-du-Nord avec 4 501 voix, contre 16 147 à l'élu officiel, M. de La Tour,
- et dans la 6e du Nord, avec 12 066 voix, contre 13 245 à l'élu officiel, M. d'Havrincourt.
Mais il fut élu à Paris (2e circonscription), par 11 112 voix (21 411 votants, 32 963 inscrits), contre 9 845 à M. Devinck. M. de Persigny, ministre de l'Intérieur, avait très vivement combattu sa candidature.
M. Thiers prit au Corps législatif un rang très important comme orateur. On remarqua particulièrement, dans le cours de cette législature, ses discours sur les « libertés nécessaires », et sur l'état de nos finances, lors de la discussion des budgets. Il votait le plus souvent avec l'opposition, bien qu'il se séparât d'elle sur un certain nombre de questions capitales, telles que la question romaine (1865). Il ne laissa passer aucune grande discussion de politique étrangère sans y prendre part. Le gouvernement n'hésitait pas, au surplus, à se rallier fréquemment à ses vues. « Les trois présidents de 1863 à 1870, dit le biographe déjà cité, furent toujours pour lui pleins d'attentions et de respects. MM. de Morny et Walewski étaient d'ailleurs ses élèves en quelque sorte. C'était grâce à lui que, sous Louis-Philippe, ils étaient entrés aux affaires. M. de Morny avait pour lui un culte véritable. M. Thiers ne buvait à la tribune que le café froid apporté de chez lui, et que les garçons de bureau recevaient avec une sorte de respect superstitieux. Quand il restait le soir, après la séance, pour corriger ses épreuves - et il y mettait toujours beaucoup de temps - un service de nuit se tenait en permanence à la salle des conférences, et les domestiques de la présidence recevaient la consigne de se tenir à ses ordres, quoi qu'il demandât, » M. Thiers combattit l'expédition du Mexique. En 1866, il développa devant la Chambre son programme de libéralisme parlementaire, protesta contre les pratiques de la candidature officielle, et dit : « L'Europe, qui s'est constamment trouvée en présence de la Révolution française, qui a toujours eu à la combattre, qui, victorieuse ou vaincue, a toujours eu affaire à elle, l'Europe aujourd'hui, en les institutions que je défends, se rend à cette même Révolution française dont ces institutions sont sorties, et, parmi les princes d'Europe, on n'en peut citer un seul qui ait la pensée d'en adopter d'autres. »
Les élections du 24 mai 1869 ramenèrent M. Thiers à la Chambre, avec 15 909 voix (31 439 votants, 41 332 inscrits), contre 9 802 à M. Devinck et 5 721 à M. d'Alton-Shée. Une forte minorité appuyait alors sa politique, et M. Thiers ne fut certainement pas étranger aux tentatives d'empire libéral et parlementaire. Le nouveau président du conseil, M. Emile Ollivier, représentait si exactement les idées de M. Thiers que celui-ci fut fondé à dire un jour, du haut de la tribune, en désignant le banc des ministres : « Je vois mes idées assises en face de moi ! » Le cabinet du 2 janvier ayant cru nécessaire de procéder à un plébiscite, M. Thiers rentra, dans les rangs de ses adversaires. La lutte parlementaire qui eut lien à ce propos fut vive ; mais elle n'approche pas de la lutte qui éclata quelques mois après, à l'occasion des projets de guerre contre la Prusse. Après la déclaration de M. de Gramont, ministre des Affaires étrangères, le Corps législatif se rangea aux projets du gouvernement. En vain M. Thiers s'efforça-t-il de montrer tous les dangers de la guerre qu'on allait entreprendre; en vain s'écria-t-il que nous n'étions pas prêts, que nous étions dans l'impossibilité matérielle de concentrer assez vite nos troupes pour les porter immédiatement sur le Rhin, tandis que l'armée prussienne n'avait qu'un pas à faire pour franchir notre frontière : il se brisa contre une résolution arrêtée. Son intervention dans la séance du 15 juillet fut même accueillie par les interruptions et les injures les plus violentes. Après nos premiers revers, M. Thiers repoussa la proposition Kératry tendant à mettre en accusation le maréchal Lebœuf (11 août). Mais il soutint une proposition du même député, tendant à adjoindre neuf membres du Corps législatif au comité de défense formé par le ministère.
Le 4 septembre 1870, il prit lui-même l'initiative de présenter à la Chambre la motion suivante :
« Art. 1er. Une commission de défense nationale est instituée par le Corps législatif.
« Art. 2. Une Constituante sera élue aussitôt que les circonstances le permettront. »
Ce projet allait sans doute être adopté quand l'assemblée dut se retirer devant l'expression brutale du sentiment populaire qui réclamait la chute de l'Empire et la proclamation de la République.
M. Thiers refusa de faire partie du gouvernement de la Défense nationale, mais il obtint de M. Jules Favre, ministre des Affaires étrangères, la mission de parcourir l'Europe pour provoquer, s'il était possible, une intervention en faveur de la France. Il eut à Londres plusieurs entrevues avec lord Granville et M. Gladstone, vit à Vienne M. de Beust, à Saint-Pétersbourg le prince Gortchakoff, et ne put obtenir nulle part aucune promesse efficace. À son retour, il reçut pleins pouvoirs pour débattre avec M. de Bismarck les conditions de l'armistice, et cette fois encore les négociations ne purent aboutir.
Du 1er novembre 1870 jusqu'au 28 janvier 1871, date de la capitulation de Paris, M. Thiers se tint à l'écart, habitant successivement Tours et Bordeaux. Le 8 février 1871, il fuit élu représentant à l'Assemblée nationale dans 26 départements :
1° Basses-Alpes, le 3e et dernier par 13 218 voix sur 25 739 votants et 43 511 inscrits ;
2° Aude, le 4e sur 6, par 29 041 voix sur 54 560 votants et 92 276 inscrits ;
3° Bouches-du-Rhône, le 3e sur 11, par 52 861 voix sur 75 803 votants et 140 189 inscrits ;
4° Charente-Inférieure, le 3e sur 10, par 74 593 voix sur 105 000 votants et 148 277 inscrits ;
5° Cher, le 2e sur 7, par 53 443 voix sur 76 432 votants et 95 825 inscrits ;
6° Dordogne, le 6e sur 10, par 76 203 voix sur 97 443 votants et 142 476 inscrits ;
7° Doubs, le 2e sur 6, par 33 590 voix sur 53 134 votants et 81 915 inscrits ;
8° Drôme, le 1er sur 6, par 37 672 voix sur 64 809 votants et 100 516 inscrits ;
9° Finistère, le 1er sur 13, par 63 174 voix sur 76 088 votants et 162 667 inscrits ;
10° Gard, le 2e sur 9, par 60 019 voix sur 95 143 votants et 137 326 inscrits ;
11° Gironde, le 1er sur 14, par 105 958 voix sur 132 349 votants et 207 101 inscrits ;
12° Hérault, le 1er sur 8, par 56 126 voix sur 88 483 votants et 141 397 inscrits ;
13" Ille-et-Vilaine, le 2e sur 12, par 104 705 voix sur 109 672 votants et 142 751 inscrits ;
14° Loir-et-Cher, le 2e sur 5, par 26 808 voix sur 49 247 votants et 78 521 inscrits ;
15° Loire, le 2e sur 11, par 50 665 voix sur 89,275 votants et 143 320 inscrits ;
16° Loiret, le 3e sur 7, par 43 036 voix sur 59 480 votants et 100 578 inscrits ;
17° Lot-et-Garonne, le 1er sur 6, par 18 934 voix sur 76 859 votants et 103 962 inscrits ;
18° Nord, le 2e sur 28, par 225 115 voix sur 262 927 votants et 326 440 inscrits ;
19° Orne, le 7e sur 8, par 52 204 voix sur 65 515 votants et 123 713 inscrits ;
20° Pas-de-Calais, le 2e sur 15, par 144 668 voix sur 149 532 votants et 206 432 inscrits ;
21° Saône-et-Loire, le 2e sur 12, par 71 160 voix ;
22° Seine, le 20e sur 43, par 103 226 voix sur 328 970 votants et 547 858 inscrits ;
23° Seine-et-Oise, le 8e sur 11, par 19 860 voix sur 53 390 votants et 123 875 inscrits ;
24° Seine-Inférieure, le 1er sur 16, par 84 198 voix sur 120 899 votants et 203 718 inscrits ;
25° Vienne, le 1er sur 6, par 60 206 voix sur 62 819 votants et 95 858 inscrits ;
26° Landes, le 5e sur 6, par 30 978 voix sur 74 902 votants et 84 409 inscrits.
Le même jour il échoua dans les départements suivants :
1° Aisne, avec 37 822 voix sur 87 823 votants ;
2° Côte-d'Or, avec 26 905 voix sur 73 216 votants ;
3° Indre-et-Loire, avec 16 767 voix sur 73 000 votants ;
4° Lot, avec 23 503 voix sur 71 438 votants.
Il opta pour la Seine.
Sous l'influence du sentiment que cette multiple élection semblait manifester, l'ancien ministre de Louis-Philippe fut désigné par l'Assemblée nationale, le 17 février, à la presque unanimité, sur la proposition de MM. Grévy, Victor Lefranc et Dufaure, comme chef du pouvoir exécutif, avec mission de choisir les ministres et de les présider. Le 19, M. Thiers composa son premier cabinet, avec des membres du gouvernement de la Défense nationale et des représentants de la majorité monarchiste de l'Assemblée : MM. Jules. Favre, Ernest Picard, Dufaure, Jules Simon, le général Le Flô, le vice-amiral Pothuau, Lambrecht et de Larey.
Le premier soin du chef de l'Etat fut d'exposer à l'Assemblée son programme politique, connu sous le nom de « Pacte de Bordeaux ». « Pacifier, disait-il, réorganiser, relever, ranimer le travail, voilà la seule politique possible et même convenable en ce moment. A celle-là, tout homme sensé, honnête, éclairé, quoi qu'il pense sur la monarchie ou sur la République, peut travailler utilement, dignement ; et n'y eût-il travaillé qu'un an, six mois, il pourra rentrer dans le sein de sa patrie, le front haut, la conscience satisfaite... »
Cette déclaration ayant obtenu l'approbation de l'Assemblée nationale, une commission de quinze membres fut aussitôt nommée pour assister le gouvernement dans les négociations avec la Prusse : elles s'ouvrirent le 21. Le 26, après de pénibles débats, les préliminaires furent arrêtés : M. Thiers exposa le 27 à l'Assemblée que le prince de Bismarck exigeait une rançon de cinq milliards, et la cession de l'Alsace et de la Lorraine. « J'ai engagé ma responsabilité, conclut-il, il faut engager la vôtre. Tous nous devons prendre notre part de responsabilité. » Le 1er mars, les préliminaires de paix furent votés par 546 voix contre 107, après un nouveau et long discours de M. Thiers sur la situation et sur les ressources militaires de la France.
M. Thiers eut dès lors une part personnelle considérable à tous les actes de son gouvernement. Il se multiplia pendant la lutte de Versailles contre la Commune, qui décréta la confiscation de ses biens et la démolition de son hôtel de la rue Saint-Georges ; un vote de l'Assemblée de Versailles décida que l'hôtel, serait reconstruit aux frais de l'Etat. Après la guerre civile éclatèrent les luttes politiques. Le parti monarchiste, qui dominait dans l'Assemblée, commençait à s'émouvoir d'entendre M. Thiers prendre l'engagement de ne point modifier la forme républicaine du gouvernement, de le voir s'opposer à ce que les lois qui bannissaient les princes de la maison de Bourbon fussent abrogées et déclarer qu'il avait toujours considéré les lois de proscription comme des lois de précaution.
Une coalition monarchique se forma contre lui, aussitôt après le vote de la proposition Rivet, qui avait eu pour conséquence le changement du titre de chef du pouvoir exécutif en celui de président de la République (30 août 1871). La menace de la démission du président, souvent répétée, ne fit qu'aigrir davantage la majorité. Cependant M. Thiers déployait au pouvoir une fiévreuse activité : ses amis lui firent honneur du succès colossal de l'emprunt de plus de cinq milliards et de la libération successive et rapide du territoire. Le 20 janvier 1872, à la suite d'un échec sur la question de l'impôt des matières premières, M. Thiers donna sa démission ; puis il consentit à la reprendre, mais son adhésion définitive à la République conservatrice et, d'autre part, ses idées personnelles en matière d'économie politique, de douane et de commerce, accentuèrent encore le conflit. Un autre sujet de discorde fut la question militaire à propos de laquelle M. Thiers menaça de nouveau de se retirer (10 juin 1872).
En somme, et malgré la sourde opposition qui lui était faite, le président de la République exerçait, en l'absence de toute Constitution définitive, un pouvoir personnel très solide, lorsque ses dissentiments avec les droites prirent un caractère plus marqué d'hostilité, par suite du message qu'il lut le 13 novembre 1872, et où il insistait sur la nécessité de fonder définitivement la République. La Chambre nomma une commission pour examiner le message et y répondre. Appelé, le 23 novembre, devant cette commission, M. Thiers déclara : « Mon honneur est engagé à soutenir la République, parce que c'est elle dont le dépôt m'a été confié par le Pacte de Bordeaux. » Le 29 novembre, il obtint gain de cause : l'Assemblée vota, par 372 voix contre 335, la formation d'une commission de trente membres, chargée de préparer et de présenter un corps de lois constitutionnelles : mais le président dut remanier son ministère, remplacer M. Victor Lefranc à l'Intérieur par M. de Goulard ; M. de Goulard aux Finances par M. Léon Say, et appeler M. de Fourtou aux Travaux publics. Les décrets de 1852 qui avaient confisqué les biens de la famille d'Orléans furent abrogés et les projets de fusion entre les deux branches de la maison de Bourbon furent repris. La Commission des Trente frappa bientôt directement M. Thiers, en faisant adopter, le 13 mars, un projet de loi dont l'unique objet était d'empêcher le président de la République de prendre la parole à la Chambre. La loi sur les attributions des pouvoirs publics fut votée le 13 avril, par 407 voix contre 225. Le 17 mars cependant, M. Thiers était monté à la tribune pour annoncer que, le 5 septembre suivant, le dernier soldat allemand aurait quitté le territoire : l'Assemblée nationale déclara que M. Thiers avait bien mérité de la patrie. Puis, bientôt un nouvel incident surgit : la loi municipale du 4 avril 1873 ayant supprimé la mairie centrale de Lyon, le maire dépossédé, M. Barodet, fut opposé par les radicaux, aux élections législatives de la Seine, à M. de Rémusat, ministre de M. Thiers et son ami particulier. Le succès de M. Barodet élu fut exploité à outrance par la droite.
Le 19 mai, un nouveau cabinet était formé, sous la présidence de M. Casimir Perier, comprenant MM. Dufaure, de Rémusat, Léon Say, Teisserenc de Bort, de Cissey, Waddington et de Fourtou ; le jour même, un projet de loi était déposé qui comportait l'élection d'un Sénat de 265 membres, celle d'une Chambre de 500 représentants et l'attribution du pouvoir exécutif au président de la République. En même temps, M. de Broglie et ses amis portaient à la tribune une interpellation signée par 300 membres. Le 23, M. de Broglie soutint son interpellation qui fut d'abord combattue par M. Dufaure ; puis, M. Thiers ayant adresse conformément à la nouvelle loi, au président de l'Assemblée, un message par lequel il demandait à être entendu, la suite de la discussion fut renvoyée au lendemain. Le lendemain, le président intervint en personne : il essaya de ramener à lui la fraction des hésitants qui, sous le nom de groupe Target, oscillait entre les partis, et prononça ces paroles :
« On nous a dit avec une pitié dont j'ai été très touché (Rires ironiques à gauche) qu'on plaignait notre sort, que nous allions être des protégés, des protégés de qui ? du radicalisme. On m'a prédit à moi une triste fin ; je l'ai bravée plus d'une fois pour faire mon devoir, je ne suis pas sur que je l'aie bravée pour la dernière fois. Et puis, on nous a dit qu'il y avait une chose fâcheuse, outre une fin malheureuse, c'était d'y ajouter le ridicule. On me permettra de trouver cela bien sévère. Un homme qui aurait servi son pays toute sa vie, qui aurait, dans les temps le plus difficiles, sacrifié sa popularité pour la vérité, qui aurait rendu des services que je ne prétends pas avoir rendus, peut-être pourrait traiter avec cette pitié des hommes comme ceux qui sont sur ces bancs. (L'orateur désigne le banc des ministres.) Je remercie l'orateur de ses sentiments compatissants... (Rires à gauche.) Qu'il me permette de lui rendre la pareille et de lui dire aussi que, moi, je le plains. De majorité, il n'en aura pas plus que nous ; mais il sera un protégé aussi ; je vais lui dire de qui, d'un protecteur que l'ancien duc de Broglie aurait repoussé avec horreur : il sera le protégé de l'Empire. »
La droite de l'Assemblée, dirigée par M. de Broglie, proposa l'ordre du jour suivant :
« L'Assemblée nationale, considérant que la forme du gouvernement n'est pas en discussion ; que l'Assemblée est saisie de lois constitutionnelles présentées en vertu d'une de ses décisions et qu'elle doit examiner, mais que, dès aujourd'hui, il importe de rassurer le pays en faisant prévaloir dans le gouvernement une politique résolument conservatrice, regrette que les récentes modifications ministérielles n'aient pas donné aux conservateurs la satisfaction qu ils avaient le droit d'attendre, et passe à l'ordre du jour. »
Cet ordre du jour fut adopté par 360 voix contre 344. M. Thiers adressa aussitôt au président de l'Assemblée une lettre ainsi conçue :
« Versailles, le 24 mai 1873.
« Monsieur le président, « J'ai l'honneur de remettre à l'Assemblée nationale ma démission des fonctions de président de la République, qu'elle m'avait conférées.
« Je n'ai pas besoin d'ajouter que le Gouvernement remplira tous ses devoirs jusqu'à ce qu'il ait été régulièrement remplacé.
« Recevez l'assurance de ma haute considération.
« THIERS,
« Membre de l'Assemblée nationale. »
Par 363 voix contre 348, l'Assemblée nationale accepta la démission de M. Thiers.
Deux jours après, sur la proposition du général Changarnier, elle nomma, par 391 voix contre 309 abstentions, le maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta, président de la République française. M. Thiers prit place au centre gauche de l'Assemblée, se tint, de propos délibéré, à l'écart des discussions parlementaires, siégea peu et ne reparut à la tribune que le 27 mars 1874, à propos du débat sur les fortifications de Paris. Il se prononça pour que l'on fortifiât immédiatement les points que, de l'avis de tout le monde, il était urgent de garantir; mais il demanda qu'on ajournât jusqu'à plus ample étude le vote des fortifications sur les points nouveaux. La proposition n'eut point de succès. Dès lors, on ne le revit plus à la tribune. Toutefois son influence sur les gauches de l'Assemblée resta considérable, et il ne se passa point d'année qu'il ne manifestât son sentiment sur les principales questions qui agitèrent l'opinion publique.
Au mois de septembre 1874, il fit un voyage en Italie, et eut, à Turin, une entrevue avec le roi Victor-Emmanuel. Au retour de ce voyage, M. Thiers s'arrêta au château de Vizille, dans l'Isère, chez M. Casimir Perier ; il y reçut la visite des notabilités républicaines du département et leur fit un discours que la presse libérale répandit et commenta. Le 25 février 1875, il prit part au vote de la Constitution. Le 17 octobre, dans une nouvelle harangue qu'il prononça à Arcachon, il eut l'occasion de s'expliquer sur la Constitution et sur le caractère des élections prochaines :
« Les élections approchent, dit-il, et c'est à la France qu'il appartient d'imprimer au gouvernement l'unité dont il a absolument besoin ; que, se gardant de tout esprit d'exclusion, car les gouvernements exclusifs sont stériles, la France, agissant avec discernement, accueille tous les hommes qui ont su prendre leur parti, et se garde de ceux qui, républicains le jour du scrutin, se hâteraient, le lendemain, d'expliquer leur profession de foi par l'article de nos lois constitutionnelles qui stipule la révision. »
Le 30 janvier 1876, M. Thiers fut élu sénateur par le territoire de Belfort. Mais il n'accepta pas, et préféra solliciter, le 20 février suivant, du 9e arrondissement de Paris, le mandat de député : il l'obtint par 10 399 voix (17 801 votants, 22 332 inscrits), contre 5 923 à M. Daguin, président du tribunal de commerce. Il ne prit la parole que pour combattre la proposition laissant sur la durée du service militaire obligatoire.
Après le 16 mai 1877, il signa le manifeste des 363. Ce fut son dernier acte politique. À la veille de la dissolution de la Chambre, le 16 juin, un passage d'un discours de M. de Fourtou faisant honneur à l'Assemblée nationale de la libération du territoire, valut à M. Thiers une ovation de la gauche : « Le véritable libérateur du territoire, le voilà ! » firent, en le désignant, la plupart des députés de la majorité.
La Chambre dissoute, M. Thiers prépara, en vue des élections du 14 octobre, un long manifeste politique; il en avait à peine rédigé la première partie, à Saint-Germain-en-Laye, à l'hôtel du pavillon Henry IV, où il s'était retiré avec Mme Thiers et Mlle Dosne, quand la mort vint le surprendre brusquement. Le 3 septembre au matin, il fut pris, à déjeuner, d'une syncope ; ayant voulu sortir, un frisson le saisit; il rentra ; on l'étendit sur le petit lit de camp qui le suivait dans tous ses voyages ; presque aussitôt l'état comateux se déclara, le malade était perdu. À six heures dix minutes du soir il expira. Cette mort fit en France et en Europe une impression considérable. Le lendemain, le ministre de l'Intérieur, M. de Fourtou, fit signer au président de la République un décret portant que les funérailles de M. Thiers auraient lieu par les soins et aux frais de l'Etat. Mais Mme Thiers ne s'entendit pas avec le gouvernement sur des détails de la cérémonie, qu'elle désirait régler entièrement elle-même. M. Voisin, préfet de police, ayant déclaré que les règlements ne permettent pas aux particuliers de disposer d'une cérémonie publique, M. de Fourtou fit rapporter le décret précédemment rendu. Les obsèques eurent lieu à Notre-Dame-de-Lorette, le 8 septembre, au milieu d'une très grande affluence qui accompagna le corps jusqu'au Père-Lachaise. Là, des discours furent prononcés par MM. Jules Grévy, au nom des groupes républicains, de Sacy pour l'Académie française, Vuitry pour l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres, et Jules Simon.
Des statues ont été élevées à Thiers à Nancy et à Saint-Germain, et nombre de villes, Paris excepté, ont donné son nom à l'une de leurs rues.
Grand-officier de la Légion d'honneur du 27 avril 1840, grand-croix et grand-maître de l'ordre depuis qu'il était chef du pouvoir exécutif (février 1871), décoré de tous les ordres étrangers, y compris la Toison d'or ; membre de l'Académie française, depuis 1833, et de l'Académie des sciences morales et politiques depuis 1840.
On a encore de lui, outre ses deux grands ouvrages d'histoire :
- Law et son système de finances (1826) ;
- la Monarchie de 1830 (1831) ;
- du Droit de propriété (1848) ;
- Sainte-Hélène (1862) ;
- Waterloo (1862) ;
- Congrès de Vienne (1863), etc.
Ses Discours parlementaires ont été réunis et publiés par sa veuve, avec le concours de M. Calmon.
Date de mise à jour: mars 2016