Philibert Tsiranana
1912 - 1978
TSIRANANA (Philibert)
Né vers 1910 à Anahidrano (district d’Antsohihy)
Décédé le 16 avril 1978 à Tananarive (Madagascar)
Député de Madagascar de 1956 à 1958
Philibert Tsiranana, député de 1956 à 1958, est beaucoup plus connu comme Président de la première République malgache de 1958 à 1972 et « Père de l’indépendance » de 1960. Une hagiographie qu’il a lui-même suscitée le présente comme d’origine modeste. Elu président, ne déclarait-il pas se sentir écrasé par sa charge, lui « le fils de paysan, l’ancien bouvier...». L’idéologie de la France républicaine y trouvait aussi son compte. En réalité, il venait d’un milieu de notables ruraux aisés. Sa mère était issue de l’un des grands clans Tsimihety et son épouse Justine descendait du premier traducteur de l’Evangile en tsimihety. Notons que le seul projet de loi que Philibert Tsiranana devait déposer à titre personnel à Paris (le 20 février 1957) réclamait « une aggravation des peines contre les voleurs de bœufs », vu que « le code pénal français ne convient nullement pour sanctionner ce genre de délit », car « pour le Malgache, le vol d’un bœuf est un véritable crime ». C’était le point de vue des propriétaires.
L’origine tsimihety du futur président n’est pas non plus indifférente. Cette ethnie fut longtemps mal vue du pouvoir en raison de son attachement à la liberté et de sa mobilité. Occupant le seuil de Mandritsara, et tournée vers l’est et la baie d’Antongil vers 1900, elle glissa, à la faveur d’une remarquable expansion démographique, vers les plaines du Nord-ouest et Majunga, submergeant les Sakalava en déclin. Capables de faire aussi bien du tavy (culture sur brûlis forestier) que des rizières permanentes ou de l’élevage bovin, les Tsimihety ont été aussi la première ethnie « côtière » à faire confiance à l’école des Français pour la formation de nouvelles élites. Ils sont ainsi l’ethnie la mieux représentée à l’école régionale d’Analalava en 1932. A l’époque, ce sont toujours des contestataires qui fournissaient des fidèles au père du nationalisme malgache, Jean Ralaimongo, imprudemment assigné à résidence chez eux à Port-Bergé. Après 1945, les Français comprendront l’intérêt d’une alliance avec ces Tsimihety, « peuple fédérateur » par excellence, décrété « républicain » de surcroît pour son rejet ancestral de l’institution monarchique.
Après l’école du village, Philibert Tsiranana est reçu à l’école régionale d’Analalava en 1926, y obtient le certificat d’études du second degré (CESD) et entre, sur concours, en 1929 à l’Ecole Le Myre de Vilers, équivalent à Tananarive de William-Ponty à Dakar. En 1941, reçu au concours de professeur-assistant ou professeur d’école régionale, il revient à Tananarive pour des stages de perfectionnement, ce qui lui permet en 1945, de participer à la vie politique renaissante.
Lié au leader nationaliste tsimihety Paul Ralaivoavy, un instituteur privé auquel il est apparenté, Philibert Tsiranana, adhère alors au Groupe d’études communiste (GEC), comme d’autres futurs cadres du Parti des déshérités de Madagascar (PADESM). Avec le député communiste Kriegel-Valrimont, ce groupe discute d’une organisation politique du prolétariat malgache des côtiers et Mainty (merina de statut inférieur). Le communiste Pierre Boiteau, dans sa Contribution à l’histoire de la nation malgache (1958), a été frappé d’amnésie sur son propre rôle dans ces origines du PADESM, dans lequel il ne voulut voir après 1947 qu’une création de l’administration coloniale.
En octobre 1945, un accord est conclu entre les nationalistes pour présenter Ravoahangy et Ralaivoavy aux élections à l’Assemblée constituante. Mais il n’est pas respecté : en fait, le second siège de député ira aussi à un Merina, Raseta, au grand dam des côtiers. Pour les élections de juin 1946, à la seconde Assemblée constituante, Philibert Tsiranana et ses amis tentent encore un rapprochement avec les Merina, mais se heurtent à nouveau à leur arrogance. Telles sont les origines du schisme catastrophique entre côtiers et Merina après 1946.
Avec les Mainty, les premiers créent alors leur parti, le PADESM, en juillet 1946. A l’origine, c’est plus un parti antimerina que profrançais, vu avec suspicion par les colons en raison de son progressisme. Philibert Tsiranana rappellera encore en 1972 qu’il « avait des buts socialistes ». Un de ses articles dans Voromahery (le journal du parti) émet l’espoir que le rayamandreny (« Père et mère » : la France) reconnaîtra peut-être ses fautes.
En novembre 1946, Philibert Tsiranana obtient une bourse d’études pour l’école normale de Montpellier. Il reste en France jusqu’en septembre 1950, ce qui lui épargne toute compromission lors des « événements » de 1947-1948, qui d’ailleurs ne touchent que peu le pays tsimihety. Il n’est pour rien non plus dans le basculement du PADESM du côté français. La chance prépare ainsi son rôle d’arbitre pacificateur dans un pays déchiré. En France, il prend conscience du problème du recrutement des élites malgaches. Notant que sur 198 étudiants malgaches en France, on ne compte que 17 côtiers, il crée, en août 1949, l’ Association des étudiants malgaches côtiers (AEMC), distincte de l’ Association des étudiants d’origine malgache (AEOM), ce qui lui sera beaucoup reproché par les Merina, alors que ses ambitions étaient consensuelles : car « si nous voulons qu’il y ait une union franche entre tous les Malgaches, notre devoir est de supprimer l’écart de culture qui sépare la côte des Hauts-Plateaux », (Lettre aux camarades PADESM, 10 septembre 1949). Philibert Tsiranana était en fait le contraire d’un politicien ethniste. Il profite par ailleurs de son séjour en France pour nouer des liens avec la SFIO qui lui seront fort utiles en 1954-1956.
Quand il rentre à Madagascar, il est instituteur du cadre français et affecté à Tananarive. Il milite à l’aile gauche, progressiste, du PADESM, face à une aile droite qui veut le statu quo. En septembre 1951, il crée l’Association culturelle des intellectuels malgaches côtiers (ACIMCO), et un journal, Ny Antsika (« Les Nôtres »), bimensuel qui, en octobre 1951, lance un appel à l’unité des malgaches qui « forment une seule tribu » : l’appel s’adresse avant tout aux élites. En mars 1952, Philibert Tsiranana est élu conseiller provincial de Majunga, puis à l’assemblée représentative du pays. A Tananarive, habilement, il soutient des nationalistes merina modérés comme Gabriel Razafintsalama et Louis Rakotomalala. En 1954, il adhère à la nouvelle Action Madécasse, une « troisième force entre nationalistes durs et partisans du statu quo ». Dans cette politique, il recherche moins des voix merina, dont il n’a guère besoin dans son fief, qu’une image nationale dépassant le caractère côtier et régional du PADESM. Et il approfondit sa vision de l’avenir de Madagascar : non plus seulement un Etat libre dans l’Union française, mais une indépendance progressive obtenue par négociation avec la France. Cependant, dans ces années de glaciation, son heure n’est pas encore venue. Aux législatives de 1951, il a dû s’effacer devant Raveloson-Mahasampo, tenant du statu quo. Et aux sénatoriales de 1952, il est battu malgré certaines promesses qui lui avaient été faites.
Le vent tourne en 1954 avec le gouvernement Mendès France, dans lequel Robert Buron, ministre de la France d’Outre-mer, est secondé par un avocat libéral de Madagascar, Roger Duveau. Philibert Tsiranana a le profil de nationaliste raisonnable qu’ils recherchent. Aux législatives de 1956, il a ainsi à la fois l’appui du haut-commissaire André Soucadaux, un socialiste, et l’investiture du Front national malgache, issu de l’Action Madécasse et dirigé par des Merina. Sa profession de foi, axée sur des revendications sociales (l’accroissement du nombre d’établissements d’enseignement surtout), insiste aussi sur sa capacité à tenir la dragée haute, tant aux extrémistes des Hautes-Terres qu’à l’administration française : « Véritable côtier, très instruit, il ose tenir tête aux européens dans les discussions ».
Elu triomphalement avec 253 094 voix sur 330 915 dans la troisième circonscription (Ouest) de Madagascar, il demande, dès juillet 1956, « la libération de tous les prisonniers de la rébellion », ce qui enlève aux nationalistes durs leur principale revendication et restreint leur espace politique. En liant intelligemment revendication de l’indépendance et recherche de l’unité nationale, il gagne à lui nombre de modérés de l’ancien MDRM (Mouvement démocratique de la rénovation malgache) de 1946/47 et acquiert une stature nationale, tout ceci dans l’amitié avec la France. Philibert Tsiranana, membre de la SFIO depuis 1953, a la confiance de Gaston Defferre, ministre de la France d’outre-mer et père de la loi-cadre du 23 juin 1956. Le prix à payer est l’éclatement du PADESM en 1956. Mais Philibert Tsiranana, depuis 1954, a multiplié les sections SFIO avec l’idée de créer un parti socialiste spécifiquement malgache. Avec quelques hommes qui seront ses ministres après 1960 (A. Resampa, L. Botokeky, C. Tsiebo, ou l’instituteur français Eugène Lechat), il crée le 28 décembre 1956, à Majunga, le parti social démocrate (PSD), qui reprend l’héritage de l’aile gauche du PADESM, et représente d’abord les fonctionnaires et les notables ruraux côtiers, partisans de l’indépendance, mais très méfiants vis-à-vis des idées politiques avancées et du communisme.
Au Palais-Bourbon, Philibert Tsiranana appartient à la commission des territoires d’Outre-mer (1956-1958), à la commission du suffrage universel, des lois constitutionnelles, du Règlement et des pétitions (1956-1958). Le 22 juillet 1958, il est désigné, par cette dernière commission, au sein du Comité consultatif constitutionnel. Il dépose une proposition de résolution et un rapport, durant les deux années de législature. Il se fait remarquer par son franc-parler. Il intervient en séance sur neuf sujets différents, en défendant notamment neuf amendements et un article additionnel. Le 9 juillet 1957, il remplit les fonctions de rapporteur d’une proposition de loi adoptée par le Conseil de la République portant création d’une assemblée représentative et d’assemblées provinciales à Madagascar. Le 20 mars 1956, il rappelle que « les peuples d’Outre-mer attendent depuis la fin de la guerre » un changement de statut, et que c’est dans cet espoir que les Malgaches restent calmes : une façon polie de dire que l’Union française n’a jamais donné satisfaction. Il demande donc l’abrogation de la loi d’annexion d’août 1896, car « le mot de colonie sonne trop mal aux oreilles des malgaches ». Certes, on a changé le vocabulaire, « mais tout cela n’est que façade, le fond reste le même ». Et de terminer par un plaidoyer pour l’unité de Madagascar : « Nous Malgaches, nous ne voulons pas être divisés… nous voulons que notre unité soit renforcée … nous demandons vivement un conseil de gouvernement à Tananarive, où toutes les provinces seront représentées. » Il accueille donc la loi-cadre chaleureusement, avec ses quatre acquis : suffrage universel, collège unique, décentralisation provinciale, autonomie accrue du territoire. La loi-cadre, dit-il dans un discours à Majunga le 18 décembre 1956, c’est l’apprentissage de l’indépendance. Ceci n’empêche pas le rusé politicien de soigner ses intérêts électoraux. Il défend énergiquement les fonctionnaires et obtient, sous couvert d’égalité, une sur-représentation du nord et du nord-ouest, son bastion, à l’assemblée de Madagascar. Il bataille ferme aussi pour accroître les prérogatives et les moyens des provinces avec l’argument très juste du cadre optimal de l’action économique et sociale. Mais le PCF, lié aux nationalistes durs de Tananarive, l’accusa de vouloir « balkaniser » Madagascar et de reprendre la « politique des races » de Gallieni. De ces joutes parlementaires, le futur président devait garder une rancune anti-communiste tenace.
L’Europe est un sujet sur lequel Philibert Tsiranana prend une position qui tranche sur celle de ses collègues africains : « j’ai espoir dans le Marché commun », déclare-t-il le 6 juillet 1957. Pour lui, « notre solidarité avec la France n’est pas en cause ». Il imagine les relations entre l’Europe et l’Afrique dans l’ère qui s’annonce : essor des investissements, débouchés nouveaux pour les ex-colonies, circulation des personnes vue comme une immigration d’Européens à Madagascar, à laquelle l’orateur est favorable.
Mais l’essentiel, alors, reste son ascension vers le pouvoir. Philibert Tsiranana va la rendre irrésistible en liant habilement chaque progrès vers l’indépendance avec une accentuation de son contrôle sur la vie politique du pays.
Victorieux aux élections de mars 1957, il devient vice-président du conseil de gouvernement prévu par la loi-cadre, le président restant le haut-commissaire de France. Il forme un gouvernement de coalition et le PSD n’est pas encore hégémonique. Dès septembre 1957, Philibert Tsiranana demande une indépendance de dominion. L’ancienne aile droite du PADESM, devenue l’USDM, irrémédiablement dépassée, va être phagocytée par le PSD.
En 1958, Tsiranana lance l’idée de « communauté » franco-africaine (on lui prête même l’invention du terme) et fait campagne pour le « oui » au referendum du 28 septembre 1958, qui recueille 77 % des votes. Le 14 octobre 1958, les 240 conseillers provinciaux réunis en congrès proclament la République malgache dans la Communauté. Le 1er mai 1959, Philibert Tsiranana est élu président de la République à l’unanimité des 113 parlementaires présents, avec la bénédiction des Français qu’il vient de proclamer « 19ème tribu » de Madagascar.
Dès le lendemain du referendum, il a pu se débarrasser des ministres et des maires nationalistes durs, et obtenir une assemblée nationale provisoire épurée, élue par le congrès d’octobre 1958 en son sein : d’où le vote unanime du 1er mai 1959. Après avoir prêté serment « devant Dieu et devant les ancêtres », Philibert Tsiranana, qui est catholique pratiquant, va surmonter l’hostilité de l’Eglise et des jésuites français qui le voyaient jusque-là comme un socialiste marxiste incapable de faire barrage au communisme. Finalement, seuls restent dans l’opposition l’AKFM (Parti du congrès de l’indépendance de Madagascar), crée en octobre 1958 par les nationalistes pro-soviétiques, surtout merina et protestants, et le MONIMA de Monja Jaona dans le sud. Mais ces deux partis n’ont plus qu’une audience régionale.
Cependant, après l’échec relatif du PSD aux municipales d’octobre 1959 – ce qui montre au moins qu’une certaine pratique démocratique était respectée -, Philibert Tsiranana comprend l’avertissement : il ne doit pas se laisser dépasser par la surenchère nationaliste. Il lui faut accélérer l’évolution vers l’indépendance complète. En apparence, il est plus proche de Modibo Keita que d’Houphouët-Boigny. En réalité, il a le plein accord de de Gaulle qu’il rencontre le 17 décembre 1959. En janvier 1960, l’assemblée nationale malgache lui vote les pleins pouvoirs pour négocier avec la France l’accès à une souveraineté entière dans une « communauté rénovée » qui devient une forme vide. Les relations entre les deux pays seront régies par des accords de coopération signés le 2 avril 1960, l’indépendance de Madagascar est proclamée le 26 juin et les pouvoirs de Philibert Tsiranana s’en trouvent encore accrus puisqu’à ses fonctions de chef de gouvernement, il ajoute toutes les prérogatives d’un chef d’Etat.
Ses adversaires placent alors leurs espoirs dans le retour des trois députés condamnés en 1948, et toujours retenus en France. L’idée était répandue que ce retour provoquerait une vague de fond qui balaierait le « dictateur fantoche » et « l’indépendance Tsiranana », expressions utilisées par l’AKFM. Mais le rusé Tsimihety va réussir un coup de maître quand, le 19 juillet 1960, il ramène dans son avion les trois héros de 1947, en les déclarant libres de leur choix politique. En fait, Ravoahangy et Rabemanjara se rallieront et entreront au gouvernement. Et grâce à une popularité présidentielle à son zénith, et une loi électorale taillée sur mesure, le PSD et ses alliés vont rafler 104 sièges sur 107 à l’assemblée nationale. Avec ses trois sièges, l’AKFM est là pour servir de caution démocratique au président qui se défendra toujours de vouloir un régime de parti unique. Désormais, l’Etat PSD est en place et, de 1960 à 1972, l’histoire de la première République et celle de Philibert Tsiranana vont se confondre.
Philibert Tsiranana n’a jamais été un tyran. Il n’en avait pas le tempérament. Lui-même impose d’abord un gouvernement comptant quatre ministres non-PSD sur quatorze. Mais il se heurte aux appétits de pouvoir de son propre parti. A la faveur d’un véritable culte de la personnalité autour du Rayamandreny (« père et mère ») des Malgaches, toute velléité démocratique est étouffée et l’énergique ministre de l’intérieur Resampa fait sentir partout la poigne du « Fanjakana PSD » (le pouvoir PSD). Du moins, une presse d’opposition active peut subsister ; il n’y eut pas de prisonniers politiques jusqu’en 1971, et les antagonismes ethniques semblent oubliés. Les Merina fournissent nombre de ministres et dominent toute la haute fonction publique.
Pendant toute la période, Madagascar conserve des services publics de très bon niveau, qui permettent des progrès considérables en matière d’enseignement, de santé et de communications. Dans le domaine économique, le prudent Philibert Tsiranana sait éviter les « éléphants blancs », préférant sa formule plus modeste des « travaux au ras du sol » axés sur les besoins des ruraux, ce qu’il appelle aussi « la politique du ventre ». Il lance, en 1965, l’«opération productivité rizicole », amorce de révolution verte qui, pendant un temps, permet à la production de suivre l’explosion démographique. D’où vient alors qu’un chef d’Etat aussi raisonnable, réélu en 1965 et à nouveau en janvier 1972, soit balayé en mai de la même année par un mouvement populaire ? Les raisons sont à chercher dans le caractère néo-colonial du régime et dans son usure précoce.
Philibert Tsiranana a d’abord le tort de laisser son image s’éroder par une politique extérieure heurtant de front un tiers-mondisme alors à son apogée. Très anti-communiste, il développe des relations amicales avec Israël dont il admire le socialisme pionnier, Taïwan - Madagascar y représente les intérêts français après la reconnaissance de la Chine de Mao par De Gaulle en 1964 - et l’Allemagne fédérale - SPD et PSD sont très liés. Il rejette le panafricanisme, soutient Tshombé, et se montre ouvert au dialogue avec l’Afrique du Sud et la Rhodésie. Il est accusé de trahison envers le Tiers-monde.
Sur le plan intérieur, Philibert Tsiranana ne voit pas qu’il alimente les frustrations des Malgaches en laissant les étrangers, les Français surtout, tenir une place trop grande et trop voyante dans la vie du pays. Des conseillers techniques français à la présidence, une gendarmerie confiée à un colonel français jusqu’en 1969, un ambassadeur de France toujours installé dans le palais des gouverneurs généraux, et omniprésent sur la scène locale. Tout cela heurte les susceptibilités insulaires. Sur le plan économique, les compagnies de traite coloniales, la « Marseillaise » et la « Lyonnaise » dominent toujours le commerce extérieur du pays et une enquête de 1969 révèle que, sur 528 entreprises de quelque importance, les neuf dixièmes sont étrangères. De tels chiffres expliquent que la chute du régime Tsiranana ait pu être considérée comme « la seconde indépendance ».
En fait, la fin de règne a commencé dès 1970, quand Philibert Tsiranana doit s’absenter neuf mois, hospitalisé en France pour des troubles circulatoires qui le diminuent sérieusement. Il s’ensuit un redoublement des luttes pour la succession à l’intérieur d’un PSD entre clans, du nord, de l’ouest et de l’est. Le dauphin présumé, Resampa, est emprisonné pour complot à l’île Sainte-Marie, en juin 1971. Même s’il parvient encore à réprimer une révolte dans le sud en avril 1971, le régime est fragilisé. Le pays réel, les masses rurales, l’ont abandonné, leurs intérêts étant trop sacrifiés à ceux des classes urbaines et des fonctionnaires par une politique qui maintient les prix agricoles à un niveau très bas.
Or, dans les villes, Philibert Tsiranana va être victime de son principal succès, l’essor de la scolarisation, source d’un problème d’emploi. Une grève scolaire et universitaire, déclenchée en avril 1972, se développe en grand mouvement social jusqu’à ce que le 13 mai, le gouvernement, sans l’accord de Philibert Tsiranana, absent), fasse tirer sur la foule à Tananarive et Majunga. La réaction populaire est telle que le régime ne résiste pas plus que jadis en France, lors des journées révolutionnaires du XIXème siècle. Il faut porter au crédit du gouvernement français qu’il refuse à Philibert Tsiranana l’intervention de ses troupes basées à Ivato, près de Tananarive. Le 18 mai, le président doit remettre les pleins pouvoirs au général Ramanantsoa, le chef d’état-major qui, effrayé à l’idée d’un conflit ethnique avec la côte, exige que Philibert Tsiranana reste président en titre. Celui-ci ne se retire donc de la scène politique qu’après le referendum d’octobre 1972 qui fait de Ramanantsoa le nouveau chef de l’Etat.
L’ex-président doit cependant faire une rentrée imprévue comme l’un des principaux inculpés dans l’assassinat du général Ratsimandrava, éphémère successeur de Ramanantsoa à la tête de l’Etat. Le « procès du siècle » (mars-juin 1975) se termine par un acquittement des personnalités impliquées. On ne connaîtra peut-être jamais la vérité sur l’affaire, mais il est quasiment certain que Philibert Tsiranana n’avait rien à y voir. A sa mort, à Tananarive, le 16 avril 1978, la Deuxième République de Didier Ratsiraka, malgré ses options politiques « révolutionnaires » et tiers-mondistes, lui fait des obsèques nationales. Le nouveau président doit se souvenir que son père, le gouverneur Albert Ratsiraka, a été, lui aussi, l’un des membres fondateurs du PADESM en 1946, et que lui-même est un parfait représentant de cette élite côtière que Philibert Tsiranana a tant voulu promouvoir.