Maurice, Henry Berteaux
1852 - 1911
Né à Saint-Maur-des-Fossés (Seine) le 3 juin 1852, mort le 21 mai 1911 à Issy-les-Moulineaux.
Député de Seine-et-Oise de 1893 à 1911. Ministre de la Guerre de 1904 à 1905 et en 1911.
Maurice Berteaux fait de brillantes études au Lycée Charlemagne et est plusieurs fois lauréat du concours général. Il fait son service militaire dans l'artillerie et après avoir accompli ses périodes, deviendra capitaine de réserve. Il se familiarise ensuite avec les questions boursières. A peine âgé de 27 ans il est titulaire d'une charge d'agent de change à la Bourse de Paris et bientôt devient membre de la chambre syndicale de cette corporation, fonctions qu'il conservera pendant sept ans. C'est à ce titre qu'il rédige le rapport de la Commission extra-parlementaire chargée de préparer le règlement d'administration publique prévu par la loi de 1885 réorganisant le marché, des valeurs à terme.
En 1888, il est élu conseiller municipal de Chatou et il devient maire de cette commune trois ans plus tard. Déjà sa courtoisie, la bienveillance qu'il témoigne à tous, son attitude franche et loyale, le soin qu'il met à éviter les heurts inutiles lui valent, dans son arrondissement, cette large popularité dont il a le goût. Aussi lorsqu'il se présente aux élections générales des 20 août et 3 septembre 1893 dans la première circonscription de Versailles, dès le premier tour de scrutin, il distance de plus de 1.000 voix le baron Hely d'Oissel, député sortant. Celui-ci se retire et Berteaux est élu au second tour avec cinq mille voix de majorité.
Il s'était présenté comme candidat radical-socialiste et avait explicitement fait siens les articles du programme radical : l'impôt global et progressif sur le revenu, la séparation des Eglises et de l'Etat, la réduction de la durée du service militaire, l'extension aux vieillards de l'assistance publique. A la stupéfaction de son entourage - la famille Berteaux et lui-même appartenaient à la bourgoisie aisée - toutes ses sympathies vont vers l'aile gauche des radicaux socialistes dont il deviendra en quelques- années le chef incontesté. Sans avoir une éloquence classique il parle avec aisance et, grâce à son habileté à manier les groupes et à travailler les couloirs, il a une action indubitable sur la Chambre.
Il s'inscrit au groupe radical-socialiste et à celui de la gauche démocratique et fait preuve d'une activité intense dans les domaines les plus divers.
Il montre naturellement une compétence particulière pour les questions financières ; dès 1893 il est membre de la Commission du budget, au nom de laquelle il établit de multiples rapports. En 1896 il dépose une proposition de loi ayant pour objet l'établissement d'un impôt général et progressif sur le revenu et soutient le projet Doumer d'impôt sur le revenu global. Les conservateurs dénoncent à l'envi ce radical d'affaires qui cumule impunément des fonctions financières au Parlement avec sa charge à la Bourse de Paris. Mais Berteaux déclare qu'en aucun cas il n'accepterait la charge de Ministre des Finances et ces insinuations malveillantes n'ont aucun écho dans les partis de gauche. En 1897 il dépose, de concert avec Jaurès, et il fait aboutir une proposition de loi relative à la situation des mécaniciens, chauffeurs et agents des trains. Il s'intéresse activement à la restauration du château de St-Germain-en-Laye et à celle du laboratoire de Grignon et soutient les Cabinets Brisson et Bourgeois. Au moment des discussions budgétaires il réussit à faire voter des récompenses ou des distinctions honorifiques en faveur des vieux ouvriers. Sa popularité ne fait que croître et aux élections générales du 8 mai 1898 il est élu au premier tour de scrutin avec un gain de plus de 5.000 voix. En 1898 et 1899, en tant que rapporteur spécial des Postes, il fait adopter les projets de ratification des conventions postales avec de nombreux pays. Les années suivantes il rapporte le budget de la guerre, propose la création d'une direction d'état-major (1901), prend part à plusieurs interpellations et intervient à différentes reprises en faveur de l'amnistie.
Aux élections générales du 27 avril 1902 il est, de nouveau, réélu au premier tour de scrutin. Chargé du rapport sur l'élection du député Syveton, il demande la constitution d'une Commission d'enquête et les conclusions de celle-ci entraînent l'invalidation du député nationaliste.
Il fait de la Commission du budget et de celle des crédits sa citadelle. En 1902, rapporteur général du budget, il s'acquitte de cette tâche écrasante avec brio. Il entre, la même année, à la Commission de l'armée dont il sera bientôt l'un des piliers.
Outre ses multiples rapports et interventions faits au nom de la Commission du budget, parmi lesquels il faut citer le rapport sur le projet de loi portant approbation de la convention de Bruxelles relative au régime des sucres, il intervient encore à titre personnel en faveur de l'assistance aux vieillards, aux infirmes et aux invalides (1903), et à propos d'un rachat éventuel des réseaux des chemins de fer du Centre et de l'Ouest (1904). La même année il rapporte au nom de la Commission de l'armée le projet de loi de deux ans et fait échouer les amendements des conservateurs tendant à renforcer l'armée de métier. Il interpelle ensuite le général André, Ministre de la guerre, déjà vive ment attaqué par divers députés de droite, sur la constitution, par le service de renseignements de l'Etat-major général de l'armée, de dossiers et de fiches concernant les officiers. Le débat met en cause le franc-maçon Vadecard, accusé de classer les officiers en républicains, désignés pour le tableau d'avancement et en « talas » qui devaient en être rayés. L'ordre du jour déposé par Bienvenu-Martin, Berteaux, Jaurès et Thomson se contente d'exprimer l'idée que le devoir de l'Etat républicain est de «défendre par les moyens de contrôle réguliers dont il dispose les fidèles et courageux serviteurs de la République et de la Nation ». L'ordre du jour pur et simple ayant été repoussé de justesse, la priorité est accordée - à deux voix de majorité seulement - à ce texte qui sauve ainsi le Ministère Combes. Mais à l'issue du débat le Ministre de la Guerre est souffleté en publie par Syveton, il démissionne le 15 novembre 1904 et le Président Loubet appelle Maurice Berteaux à lui succéder. Il réussit rapidement à apaiser par d'habiles nominations l'émotion suscitée dans l'armée et au sein du Parlement par l'affaire des fiches. Aussi Bouvier, en constituant son Ministère, du 24 janvier 1905, le prie-t-il de ne pas quitter la rue St-Dominique. Il fait alors aboutir la loi de deux ans au Sénat. Le 10 novembre suivant une majorité conservatrice à la Chambre ayant décidé, à main levée, de donner la priorité aux interpellations tendant à réprimer la propagande antimilitariste dans les Bourses de commerce, Berteaux quitte le banc des Ministres et gagne son banc de député. Jaurès dépose une motion demandant l'ajournement du débat jusqu'à ce que le Gouvernement ait dit à la Chambre s'il est au complet ou pourquoi il ne l'est pas.
Rouvier s'exclame que c'est la première fois qu'on verrait un Gouvernement «empêché de s'expliquer par un artifice de procédure et étranglé entre deux portes par des muets». Berteaux explique alors son geste : « ayant constaté que la majorité obtenue par le Gouvernement se composait de membres de la droite et de cette partie du centre qui n'a jamais cessé d'attaquer le Ministre de la Guerre et de travestir tous ses actes, j'étais décidé à ne plus faire partie du Cabinet». Il voulait donner à la majorité républicaine l'occasion de se manifester. Malgré le vote d'un ordre du jour Steeg enjoignant au Gouvernement de « s'appuyer uniquement sur la majorité qui a voté la séparation de l'Eglise et de l'Etat », Berteaux maintient sa démission et son opposition à la politique générale de Rouvier.
A partir de 1906 il est élu chaque année vice-président de la Chambre et président de la Commission du budget. A diverses reprises il cumule cette présidence avec celle de la Commission de l'armée. A ce titre il participe à la discussion du projet de loi sur les cadres et effectifs de l'armée. Il intervient activement dans la discussion des interpellations adressées au Ministre des Finances Poincaré et relatives à l'impôt sur le revenu. Ecarté du Cabinet de Clemenceau, il appuie cependant de toute son influence le projet de loi concernant le rachat du chemin de fer de l'Ouest (1907) et prend part à la discussion du projet Caillaux d'impôt sur le revenu, demandant notamment pour les professions libérales la faculté de s'abonner à l'impôt.
Il interpelle sans ménagement le Gouvernement Clemenceau sur son attitude à la suite du vote de la Chambre concernant la réintégration des fonctionnaires révoqués, et pose ainsi sa candidature à la présidence du Conseil. Clemenceau ne s'y trompe pas et s'écrie : « Nous partirons sans regret car nos successeurs sont prêts ; il est là, il est tout fait le Ministère des bons garçons ».
Le 20 juillet 1909, lors de la discussion des conclusions de la Commission d'enquête sur la marine, Maurice Berteaux repousse la priorité en faveur de l'ordre du jour Jourde accepté par Clemenceau et contribue ainsi à renverser ce Gouvernement. Il refuse alors d'entrer dans le Cabinet Briand. Malade, il abandonne quelque temps la présidence de la Commission du budget, mais prend part à la discussion des interpellations de Pelletan sur la situation du personnel des chemins de fer.
Réélu au premier tour des élections générales du 24 avril 1910 avec 15.000 voix de majorité, il se fait le censeur du Cabinet Briand ; jamais son action n'a été aussi grande sur la Chambre. Dès le mois de juin il interpelle le Gouvernement reconduit. Quand Briand démissionne le 27 février 1911, le Président Fallières, après avoir hésité entre Berteaux qui préside alors le groupe de la gauche radicale - socialiste et Caillaux, confie le pouvoir au sénateur Monis. Ce dernier fait appel aux deux « caciques» du parti radical. Pour la troisième fois, Maurice Berteaux se voit confier le portefeuille de la guerre où il fait preuve de son infatigable activité. Très féru d'aviation, il prévoît que celle-ci pourra apporter un puissant concours à la défense nationale et veut l'élever au rang d'une arme autonome et redoutable.
C'est dans cet esprit qu'il encourage le sport aéronautique. Le 21 mai 1911, accompagné du Président Monis, il assiste, à Issy-les-Moulineaux, au départ de la course aérienne Paris-Madrid, organisée par le Petit Parisien. Tous deux s'avancent au milieu de la piste quand un monoplan en difficulté, soudain, s'abat. Monis est grièvement blessé, quant à Berteaux il est tué sur le coup, décapité par l'hélice de l'appareil.
Le Président de la Chambre, Brisson, dans son éloge funèbre, après avoir exalté le patriotisme du défunt, évoqua cette faculté qu'il avait, précieuse entre toutes, « de dissoudre, par la bonne grâce et la franchise, les rancœurs trop souvent fomentées par les ardeurs politiques ».