Paul, Calixte Valentino
1902 - 1988
VALENTINO (Paul, Calixte)
Né le 9 juin 1902 à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe)
Décédé le 15 mars 1988 à Pointe-à-Pitre
Membre de la première et de la seconde Assemblée nationale constituante (Guadeloupe)
Député de la Guadeloupe de 1946 à 1955 et de 1967 à 1968
Paul Valentino, agent commercial appartenant à la communauté noire, s'affirme dès la fin des années vingt comme un des principaux responsables de la modeste fédération socialiste guadeloupéenne. Secrétaire fédéral SFIO, probablement depuis 1933, il est candidat de ce parti dans la première circonscription de la Guadeloupe en 1928, dans le deuxième en 1932 (523 voix sur 25 997 inscrits et 9 507 exprimés) et 1936 (163 suffrages sur 27 363 inscrits et 13 042 exprimés). Au premier rang des manifestations de la gauche durant le Front populaire, il est élu maire en 1935 puis conseiller général de Pointe-à-Pitre le 25 mai 1937.
Paul Valentino est bouleversé, comme la plupart des élus de l'île, par la défaite de la France en juillet 1940. Il refuse l'armistice et cherche l'appui du gouverneur Sorin qui, après hésitation, décide de rester fidèle au gouvernement de Vichy. Le soir du 17 juin, alors que le conseil général est réuni en session ordinaire, dans une conversation privée avec Constant Sorin, Paul Valentino annonce qu'il va demander l'application de la loi Tréveneuc du 15 février 1872 relative "au rôle éventuel des conseils généraux dans des circonstances exceptionnelles". Promulguée à la suite de la défaite de 1870, cette loi servira de fondement juridique à la réunion de l'Assemblée consultative provisoire à Alger trois ans plus tard. Il propose donc que le conseil général prenne en main les destinées de l'île et réitère sa demande à la session extraordinaire du conseil général le 1er juillet, déclarant notamment : "Quand j'ai entendu à la radio le Maréchal Pétain déclarer au monde : "Comment voulez-vous qu'une nation de 40 millions d'habitants puisse lutter efficacement contre une autre qui en compte 80 millions ?", mon cœur de colonial a saigné. J'avais entendu dire que l'Empire français comptait 100 millions d'hommes. Je croyait que nous, coloniaux, étions définitivement intégrés dans la nation française. Le gouvernement sous la menace de l'ennemi a-t-il été obligé de réduire à néant cette croyance et de limiter la France au seul territoire métropolitain ?". Et Valentino revendique dans le même discours le droit au paiement de "l'impôt du sang". Le conseil général l'élit à la présidence de sa délégation exécutive, sans pour autant le suivre. Le gouverneur général, qui avait déjà essayé de le faire arrêter le 24 juin, utilise pour ce faire un incident sur le port de Pointe-à-Pitre. Le 12 juillet 1940, le paquebot Cuba accoste, transportant des républicains espagnols et des Israélites affamés se rendant en Amérique du Sud. Une foule apporte de l'aide à ces passagers et il s'ensuit des incidents entre les gendarmes et la population. Valentino, s'étant interposé est arrêté le 25 juillet et condamné pour outrage et rébellion à six mois de prison et 50 francs d'amende. Transféré tout d'abord de la maison d'arrêt de Pointe-à-Pitre au Fort Richepanse, puis au fort Napoléon, il est ensuite envoyé en Martinique pour comparaître devant le tribunal militaire permanent le 21 janvier 1941 pour avoir "porté atteinte à l'intégrité du territoire national" en temps de guerre. Acquitté, il est arrêté le même jour et interné administrativement. Ramené au Fort Napoléon, il s'évade et, repris, est conduit en Guyane où il est enfermé dans des conditions particulièrement difficiles au bagne et à l'île du Diable.
Paul Valentino est libéré 19 mars 1943, grâce au ralliement de la Guyane à la France libre, dans l'obédience du général Giraud. Mais, fidèle au gaullisme, il refuse le poste de secrétaire général du gouvernement de la Guyane. Assigné à résidence à Cayenne, il est pris en charge par les Américains qui cherchent à accélérer le ralliement des Antilles françaises à la France libre car l'agitation ne cesse de s'y développer. Débarqué clandestinement en Guadeloupe par un navire américain, Valentino tente d'organiser un soulèvement qui échoue dans la nuit du 3 au 4 juin. Il doit alors fuir et se réfugier à la Dominique. Le 9 juillet, il revient clandestinement et participe activement à l'organisation du soulèvement qui abouti à l'effondrement du régime de Vichy dans l'île cinq jours plus tard. La réinstallation de l'Assemblée départementale constitue un triomphe, mais le président de la délégation exécutive de l'Assemblée départementale s'affronte au délégué extraordinaire de la France Libre, Henri Hoppenot. Ce dernier veut revenir aux pratiques coloniales anciennes, alors que Paul Valentino entend faire du conseil général et de sa délégation exécutive, l'organe légal du gouvernement de l'île en attendant la Libération définitive de la métropole. Pour l'administration, l'homme sera toujours considéré comme suspect, désireux de renforcer les pouvoirs locaux contre le pouvoir central, il a désormais l'image d'un adversaire de l'assimilation.
Le conseil général et le Comité français de la libération nationale dirigé par le général de Gaulle - qui cite l'action de Paul Valentino en 1940 dans ses Mémoires de guerre - désignent le conseiller général de la Guadeloupe pour siéger à l'Assemblée consultative provisoire d'Alger puis de Paris. Il y intervient à plusieurs reprises, notamment pour critiquer la gestion du ravitaillement dans les Antilles, interpellant à cette occasion son camarade Ramadier en février 1945. Secrétaire de la fédération socialiste de la Guadeloupe de 1944 à 1946, Paul Valentino est aussi élu maire de Pointe-à-Pitre en avril 1945 (il le demeure quatorze années) et il est réélu conseiller général le 14 octobre suivant. Mais, député, il est surtout présent à Paris où il représente ses camarades insulaires dans la plupart des réunions et congrès nationaux du parti.
Paul Valentino se présente à la première Assemblée nationale constituante le 21 octobre 1945 dans la deuxième circonscription, sa camarade Eugénie Eboué se présentant dans la première. Au premier tour, il obtient 7 230 voix et est élu au second, avec 14 328 voix sur 27 674 votants. Il intervient en décembre dans le débat sur les accords de Bretton Woods, à propos des francs coloniaux et du commerce avec les Antilles et les autres colonies. Partisan de la décentralisation et d'un exécutif local actif, Valentino refuse de voter la loi de départementalisation des "vieilles colonies" du 19 mars 1946. Il estime qu'il faut tenir compte de la géographie, de l'éloignement de la métropole, des spécificités culturelles et des besoins spécifiques des territoires et reproche d'autre part à la loi de constituer un recul en supprimant des attributions spécifiques des anciens conseils généraux, notamment en matière fiscale, douanière et budgétaire.
Le 2 juin 1946, pour les élections à la deuxième Assemblée constituante, Paul Valentino remporte pratiquement tous les suffrages de ses concitoyens (21 703 sur 23 745 votants). Il s'efforce, en vain, le 28 août, de faire rétablir dans le préambule du texte constitutionnel, le premier paragraphe de la déclaration des droits qui avait été rédigée le 19 avril précédent dans le texte constitutionnel rejeté par le référendum du 5 mai. Celui-ci disposait que "Nul ne saurait être placé en situation d'infériorité économique, sociale ou politique contraire à sa dignité et permettant son exploitation en raison de son sexe, de son âge, de sa couleur, de sa nationalité, de sa religion, des ses opinions, de ses origines ethniques ou autres". Il s'oppose à la façon dont est mise en place la départementalisation des "vieilles colonies". Partisan d'une décentralisation réelle et défenseur des intérêts spécifiques des départements d'outre-mer, le 20 septembre 1946, dans le débat constitutionnel, il tente de faire ajouter à l'article 74 l'amendement suivant : "Sous réserve des attributions supplémentaires qui seront conférées à leurs assemblées territoriales en vertu de l'article 77, les départements d'outre-mer ont le régime des départements métropolitains". Mais la Commission de la Constitution repousse l'amendement et l'Assemblée ne le suit pas.
Lors des élections à la première assemblée de la IVème République, le 10 novembre 1946, les deux circonscriptions de la Guadeloupe sont unifiées et les trois députés sont élus à la proportionnelle. La liste socialiste connaît un net recul, au profit des communistes, avec 13 991 suffrages sur 36 632 exprimés. Paul Valentino est réélu, mais les communistes emportent les deux autres sièges. Paul Valentino appartient à la Commission des moyens de communication (1946-1951), à la Commission de la justice et de la législation (1946-1951), à la Commission de la France d’outre-mer (1946-1947), à la Commission du suffrage universel, du règlement et des pétitions (1948-1949) et à la Commission du travail chargée de proposer des mesures de grâce amnistiante en Algérie. Il y est nommé le 4 février 1947. L’activité parlementaire de Paul Valentino est importante. Durant cette législature, il dépose vingt-cinq propositions de loi, deux propositions de résolution, deux rapports et deux avis. Entre 1946 et 1951, il intervient à quatre-vingts reprises en séance publique, en défendant soixante-trois amendements et un contre-projet. Il dépose aussi deux rappels au règlement et cinq demandes d’interpellation, montrant là sa liberté de pensée et d’action. A deux reprises, il remplit les fonctions de rapporteur pour avis.
Souvent absent de l'île, Paul Valentino est farouchement combattu par l'administration. Un préfet le décrit dans un rapport au ministère de l'intérieur, comme "âprement ambitieux, orgueilleux à l'excès" ; Le même représentant de l'Etat affirme que "ses idées politiques ne sont pas entièrement orthodoxes du point de vue national". Il serait un "adversaire acharné de l'assimilation qui, selon lui, priverait les conseils généraux de leurs prérogatives dont il jouissent en matière financière et fiscale". Mais son influence dans les deux parties de l'île est "très grande" reconnaît le préfet. Pourtant, même s'il conserve sa mairie de Pointe-à-Pitre en 1947, il est battu lors du renouvellement du conseil général le 2 octobre 1949 par le communiste Fengarol. Il a obtenu au deuxième tour 548 voix, contre 633 à son adversaire.
Le 17 juin 1951, la liste de la SFIO conduite par Paul Valentino mène campagne sur deux fronts, contre le RPF, qu'elle qualifie de "Rassemblement de la pourriture française", et contre "le communisme stalinien" dont les militants sont dénoncés comme "traîtres à la patrie". Les candidats socialistes rappellent qu'ils ont cherché "à éviter à notre pays les soubresauts d'une assimilation hâtive, mal étudiée et mal adaptée à nos conditions de vie". La liste conduite par Paul Valentino obtient 16 315 suffrages sur 45 704 votants. Il est reconduit au Palais-Bourbon où il siège à la Commission de la justice et de la législation (1951-1954) et à la Commission du travail et de la sécurité sociale (1953-1955). Il appartient également à la Commission chargée de proposer des mesures de grâce amnistiante en Algérie, à partir du 18 décembre 1951. Le 30 août 1954, il appartient au groupe des 54 députés socialistes qui participent au rejet de la Communauté européenne de défense.
Alors qu’aux élections législatives de 1956 la fédération socialiste de la Guadeloupe n’a pas investi Paul Valentino, pourtant élu sans discontinuité de 1946 à 1955, ce dernier se présente aux élections de novembre 1958 dans la première circonscription de l’île. Son influence est en très forte baisse : au premier tour, il ne remporte que 8% des suffrages (2 069 voix sur 24 938 exprimés) loin derrière le gaulliste Médard Albrand (46,5%) et le communiste Rosan Girard (34,7%). Au second tour, son maintien se transforme en échec personnel - il ne recueille que 1892 suffrages soit 7%- et pour la gauche car le candidat de l’UNR l’emporte avec plus de 55% des voix. Désormais, son seul mandat est la mairie de Pointe-à-Pitre qu'il conserve jusqu'en 1959, date à laquelle il est battu dans son fief historique par le communiste Hector Dessout.
En 1962, Paul Valentino tente de se faire élire dans la seconde circonscription de l’île sous la bannière de la SFIO tant la réélection de Médard Albrand dans la première circonscription paraît assurée (ce dernier est d’ailleurs élu dès le premier tour avec un score de 55,5%). Il y affronte le gaulliste Pierre Monnerville, député sortant, et le communiste Paul Lacavé qui fait campagne sous l’étiquette de l’« union socialiste de gauche pour la défense de la République ». Au premier tour, il obtient 3 922 voix, loin derrière le candidat du PCF (7 989 voix) et celui de la droite (10 534 voix soit 46,5% des 22 655 votants). Au second tour, il choisit toutefois de se maintenir. Le scénario de l’élection de 1958 se reproduit quasiment à l’identique : il n’obtient que 1 188 voix contre 8 874 pour le candidat communiste (37,9% des votants) et 13 211 pour Pierre Monnerville, confortablement réélu (56,5% des votants).
Nullement découragé par ces échecs, l’ancien député SFIO se présente à nouveau dans la première circonscription guadeloupéenne aux législatives de mars 1967 mais sous l’étiquette UDR cette fois-ci, son adversaire de 1958 réélu en 1962, le gaulliste Médard Albrand, ayant décidé de ne pas briguer un troisième mandat. Paul Valentino s’en explique dans sa profession de foi. Il se présente comme un gaulliste de gauche, « soutien fidèle et actif de la politique inaugurée par le général de Gaulle en 1958 » : « J’ai fait campagne pour l’adoption de la Constitution de 1958. J’ai fait campagne pour l’élection du président de la République au suffrage universel. Je fais aujourd'hui campagne plus encore que pour ma propre élection, pour l’avenir d’un régime que les hommes de bonne volonté sont unanimes à approuver ». Le premier tour met en concurrence sept candidats. Deux candidats se revendiquent gaullistes : Paul Valentino et l’ancien maire communiste de Pointe-à-Pitre rallié depuis au général de Gaulle, Hector Dessout. La gauche est également éparpillée entre le socialiste Georges Touchaut, le candidat du parti communiste guadeloupéen, Hégésippe Ibéné, et Yves Leborgne du Front démocratique guadeloupéen, un mouvement communiste dissident. Au premier tour, Paul Valentino est en seconde position avec 5 196 voix (28,6%) derrière Hégésippe Ibéné (31,7%) mais devant Yves Leborgne (17,6%), Henri Dessout (9,7%) et Georges Touchaut (5,3%). Si les électeurs de Pointe-à-Pitre ont voté à plus de 37,5% pour Paul Valentino leur ancien maire, ceux de Sainte-Anne et surtout ceux du Petit-Canal ont porté leurs voix sur la candidature de l’avocat Ibéné (respectivement 51% et 62%). Enfin, fait notable, l’abstention est particulièrement élevée puisque plus de 60% des votants ne se sont pas déplacés. Au second tour, la participation est plus importante (51%) mais demeure modeste. Paul Valentino l’emporte avec 52% des suffrages exprimés contre l’avocat communiste Hégésippe Ibéné grâce au faible report de voix de gauche.
Dès son arrivée à l’Assemblée, il s’inscrit au groupe d'Union démocratique pour la Ve République. Il siège à la Commission de la production et des échanges, à la Commission supérieure du crédit maritime mutuel (14 juin 1967). Il est par ailleurs membre du comité directeur du Fonds d’investissement des départements d’outre-mer (19 décembre 1967). S’il ne dépose aucune proposition de loi, Paul Valentino prend la parole à neuf reprises, surtout pour défendre son île et ses administrés. Dès le 19 avril 1967, il prend part au débat sur la déclaration de politique générale du gouvernement pour évoquer la question du chômage des jeunes Antillais. Le 25 mai 1967, il soutient avec conviction le projet de loi relatif à l'extension aux départements d'outre-mer des assurances maladie, invalidité et maternité des exploitants agricoles et des membres non salariés de leur famille y voyant un encouragement à persévérer dans le soutien qu’il a accordé au gouvernement. Après les émeutes qui ont touché la Guadeloupe du 25 au 27 mai 1967, Paul Valentino insiste sur la nécessité d’adopter une politique de lutte efficace contre le chômage des jeunes Antillais car, à ses yeux, « ainsi s’expliquent certains mécontentements qui dégénèrent en troubles graves dont on a vite fait de dire qu'ils traduisent une volonté de soustraire la Guadeloupe à la communauté nationale ». Aussi pour éviter que des événements du même type ne se renouvellent, invite-t-il, le 30 juin 1967, le gouvernement à prendre des mesures visant à résorber le chômage notamment par l’industrialisation l’île. A l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 1968, il revient d’ailleurs, le 2 novembre 1967, sur ces journées d’émeutes dont la répression a causé plusieurs morts : selon le député guadeloupéen qui a regagné l’île le 29 mai, la responsabilité de ce drame incombe non aux ouvriers qui réclamaient une augmentation de salaire et une égalité des droits sociaux mais au préfet qui a fait usage de la force pour intimider les velléités séparatistes de certains manifestants Sans « être d'accord avec ceux qui réclament l'autonomie avec l'arrière-pensée d’aller jusqu'à l'indépendance », Paul Valentino réclame une administration moins centralisée pour l’outre-mer. Il conclut : « Nous voulons, tout en étant intégrés dans la communauté nationale, avoir le sentiment d'être nous-mêmes quelque peu responsables de notre devenir. C'est d'ailleurs l'intérêt de l’Etat, parce que, dans des pays comme les nôtres, tant que la métropole déterminera à elle seule la politique, et pas seulement dans ses grandes lignes, sans même nous laisser la possibilité d'indiquer comment la politique définie par le gouvernement sera réalisée, tant que toutes les responsabilités incomberont aux fonctionnaires des administrations centrales, ce sera toujours le gouvernement qui se verra imputer la responsabilité de la misère et de la détresse ». Le 14 décembre 1967, il redit que les émeutes guadeloupéennes portaient des revendications syndicales et non indépendantistes. Par ailleurs, en tant que député gaulliste, il ne vote pas les motions de censure de mai et juin 1967 sur la loi d’habilitation en matière économique et sociale.
Les événements de métropole viennent interrompre la législature. Aux élections anticipées de juin 1968, Paul Valentino ne se représente pas. Il laisse à Léopold Hélène le soin de défendre les couleurs gaullistes. Ce dernier, maire de Gosier, bat Hégésippe Ibéné au second tour ayant remporté plus de 57,3% des suffrages.
Paul Valentino est décédé le 15 mars 1988 dans son île. Il était décoré par le général de Gaulle de la médaille de la Résistance et officier de la Légion d’honneur.