Jean-Marie Le Pen
1928 - 2025
Né le 20 juin 1928 à la Trinité-sur-Mer (Morbihan)
Député de la Seine de 1956 à 1958
Jean Le Pen est né le 20 juin 1928 à la Trinité-sur-Mer, dans le Morbihan. A douze ans, il est reconnu pupille de la Nation à la suite du décès de son père, dont le bateau de pêche explose sur une mine allemande au sortir de la rade du port de la Trinité.
Son cursus scolaire et universitaire est heurté : esprit frondeur et turbulent, il fréquente deux lycées, à Vannes et à Lorient, avant de gagner les bancs de la faculté de droit de Paris. Bien plus qu'aux études juridiques, toutefois, Jean Le Pen se consacre alors à sa vie nocturne, faite de rencontres, de chahuts et de chansons, et à l'agitation politique : vendeur à la criée d'Aspects de la France au Quartier Latin, il crée en outre un journal, La Basoche, dont il assure la direction éditoriale et qu'il administre avec plus de passion que de rigueur. En quelques mois, Jean Le Pen devient une figure de la jeunesse étudiante parisienne : le verbe haut, il se forge une réputation de meneur, de chef de bande plutôt que de militant. Elu, en 1950, président de la corporation des étudiants en droit de Paris, il est délégué l'année suivante pour représenter la « Corpo » au congrès de l'UNEF, à Aix-les-Bains où il se fait remarquer par une intervention violente contre l'institution du « pré-salaire » étudiant.
La guerre d'Indochine marque un tournant dans l'engagement politique de Jean Le Pen. Farouchement opposé à l'abandon par la France de son Empire, il demande en novembre 1953 à s'engager dans les rangs de la Légion. A la sortie de l'école d'infanterie de Saint-Maixent, il part pour l'Indochine, où il sert comme sous-lieutenant au 1er bataillon étranger de parachutistes. De cette expérience au sein du corps expéditionnaire, il retire surtout, outre un sentiment d'humiliation lié à la défaite, un goût prononcé pour la société militaire, ses rites et ses valeurs.
De retour en France, Jean Le Pen fait en septembre 1955 la rencontre de Pierre Poujade ; séduit par l'énergie et la faconde de son jeune interlocuteur, celui-ci en fait aussitôt l'un de ses principaux lieutenants. Le mouvement poujadiste, alors en pleine expansion, souffre d'une organisation médiocre, et d'un recrutement trop polarisé sur les milieux commerçants et artisanaux ; Jean Le Pen se voit donc confier la mission d'oeuvrer à une réforme de ses structures, et de l'ouvrir à la jeunesse étudiante.
Pierre Poujade le place en outre à la tête de la liste d'Union et de Fraternité Française aux élections législatives du 2 janvier 1956 dans le 1er secteur de la Seine. Dans cette circonscription, qui couvre les Ve, VIe, VIIe, XIIIe et XIVe arrondissements de Paris, et qui compte des candidats aussi aguerris que Roger Garaudy, Vincent de Moro-Giafferi, Pierre Clostermann ou Edouard Frédéric-Dupont, Jean Le Pen, qui se présente encore comme « étudiant », fait figure d'inconnu, dont la réputation s'arrête aux marches du Quartier Latin. La vague poujadiste le porte pourtant jusqu'à l'Assemblée nationale : avec 37 748 voix sur 470 266 suffrages exprimés, et grâce au système de la répartition des restes à la plus forte moyenne, Jean Le Pen est à vingt-sept ans le plus jeune élu de la législature.
Nommé membre de la Commission des affaires étrangères, Jean Le Pen choisit à l'ouverture de la session parlementaire de modifier son prénom, qui était aussi celui de son père, et d'y accoler l'un de ses seconds prénoms : c'est donc sous le nom de Jean-Marie Le Pen qu'il prend pour la première fois la parole, le 25 janvier, après le discours d'ouverture du président Le Troquer. Son intervention est observée avec beaucoup de curiosité par les autres députés : le nouveau député de la Seine est non seulement le plus jeune parlementaire de la législature, mais aussi le premier élu poujadiste à prendre la parole dans l'hémicycle. Dans son discours, Jean-Marie Le Pen dénonce le refus des autres partis d'admettre la présence d'un député de l'Union des commerçants et des artisans (UDCA) au sein du Bureau de l'Assemblée ; c'est là une violation de l'usage de la répartition à la proportionnelle, plaide-t-il. L'examen de passage est réussi : le socialiste Edouard Depreux, qui lui succède à la tribune, le félicite non sans quelque ironie pour son « érudition étonnante sur la jurisprudence parlementaire » ; Jean-Marie Le Pen est très vite considéré comme l'une des révélations politiques de la législature, au point d'être surnommé par Paris Match « le Minou Drouet de la politique ».
Jean-Marie Le Pen ne ressemble guère, pourtant, à la jeune poétesse ; à qui pouvait encore en douter, il en administre la preuve dès le mois suivant, au cours des débats qui précèdent l'invalidation par l'Assemblée de l'élection de la dizaine de députés poujadistes pour cause de violation de la loi sur les apparentements. Jean-Marie Le Pen dénonce avec virulence ce qu'il considère comme une manipulation politique. Aux députés communistes qui l'invectivent, il lance, martial : « avec les députés poujadistes sont entrés à l'Assemblée les 80 000 cadavres de la guerre d'Indochine. Vos alliés ne m'ont pas fait taire avec leurs mitraillettes ». Quelques jours plus tard, l'affrontement tourne au pugilat : le vote d'invalidation du député des Bouches-du-Rhône Marius Baryelon, par appel nominal, doit être interrompu, les députés poujadistes Jean Damasio et Jean-Marie Le Pen s'étant précipités à la tribune en vue de s'y emparer de l'urne ; plusieurs parlementaires de gauche, parmi lesquels Charles Hemu, interviennent aussitôt, et une bagarre générale éclate au sein même de l'hémicycle.
La plupart du temps discret sur les questions économiques et sociales, Jean-Marie Le Pen est en revanche en pointe sur la question algérienne, au point de faire figure de porte-parole des « faucons ». Invité le 9 mars 1956 à exposer à la tribune de l'Assemblée la position de son groupe sur le projet de loi déposé par le gouvernement de Guy Mollet sur les pouvoirs spéciaux en Algérie, le député de la Seine écarte toute perspective de réforme institutionnelle outre-mer, et dénonce le laxisme des pouvoirs publics : « ce que nous attendions du gouvernement, c'est qu'il fasse exécuter les assassins condamnés qui sont dans les prisons algériennes et qui attendent encore le châtiment suprême. Il ne l'a pas fait. Ce que nous attendions, c'est qu'il verrouille efficacement les frontières maritimes et terrestres de l'Algérie. Il ne l'a pas fait ! Ce que nous attendions, c'est qu'il fasse passer l'armée à l'offensive autrement qu'en envoyant les soldats sur les routes sans armes ou avec trois cartouches dans leur cartouchière. Il ne l'a pas fait ! Nous attendions, en outre, de lui qu'il contrôle la presse, ses informations, ses campagnes diffamatoires au moral de l'armée et de la nation. Il ne l'a pas fait ! Nous attendions de plus qu'il mette le Parti communiste hors d'état de nuire. Il ne l'a pas fait ! Et pour cause : le Parti communiste fait partie de sa majorité ! ».
A la différence de la plupart de ses collègues poujadistes, Jean-Marie Le Pen considère toutefois que l'hostilité à l'indépendance de l'Algérie doit s'accompagner d'une prise en compte de certaines des revendications des populations musulmanes, et notamment de celles relatives aux droits politiques ; il se déclare ainsi, le 28 juillet, partisan de l'intégration des musulmans au sein de la communauté politique nationale.
La session parlementaire s'achève le 4 août. Jean-Marie Le Pen et son jeune collègue du Finistère, Maurice Demarquet, décident alors de se mettre en congé du Parlement, et contractent un engagement volontaire de six mois pour servir en Algérie, ceci afin, disent-ils, de mettre leurs actes en conformité avec leurs paroles. Affecté au 1er régiment étranger de parachutistes, Le Pen prend part à la campagne de Suez, puis, à la « bataille d'Alger ». Son départ pour l'autre rive de la Méditerranée vient à point nommé pour relâcher la tension qui monte entre le député de la Seine et le reste du groupe poujadiste, qui lui reproche son ambition dévorante et son goût pour la provocation gratuite. Les analyses de Le Pen et de Poujade divergent aussi sur un plan plus politique, le premier se montrant soucieux de structurer le mouvement poujadiste en un véritable parti, positionné à l'extrême droite mais clairement intégré au jeu politique du régime, tandis que le second est plutôt adepte d'une approche « anti-système » qui mise d'abord sur sa décomposition. La question algérienne fournit l'occasion d'un divorce définitif : alors que Pierre Poujade ordonne à ses députés de voter contre l'intervention militaire française à Suez, Jean-Marie Le Pen fait connaître la réprobation que lui inspire une telle orientation ; il sera définitivement exclu du mouvement en mai 1957.
Après neuf mois d'absence, Jean-Marie Le Pen fait à la fin du printemps 1957 sa rentrée à l'Assemblée nationale. Désormais non-inscrit, son temps de parole est plus limité. Il continue pourtant à animer les débats et, inlassablement, à vilipender le gouvernement pour le laxisme de sa politique algérienne, comme en témoignent les deux textes qu'il dépose alors : le premier, le 21 mai 1957, est une proposition de résolution tendant à inviter le gouvernement à « célébrer avec une solennité toute particulière la Fête nationale, en décrétant le 14 juillet 1957 Journée nationale de l'Algérie française » ; le second est une proposition de loi, déposée le 20 juin 1957, tendant « à la répression du terrorisme ».
Hors de l'Assemblée, Jean-Marie Le Pen s'affaire à la création de son propre appareil politique, le Front National des Combattants, au sein duquel il espère rassembler déçus du poujadisme et partisans de l'Algérie française ; ceux-ci, toutefois, se montrent souvent déroutés par les thèses « intégrationnistes » que développe le député de la Seine au fil des étapes d'une tournée des plages estivale, d'autant que cette ouverture ne se traduit pas par un gain de popularité tangible.
De retour à l'Assemblée après ce périple émaillé d'incidents, Jean-Marie Le Pen radicalise encore son discours sur l'Algérie. Le 11 février 1958, il s'en prend de façon particulièrement virulente à Pierre Mendès France, qu'il érige en symbole de la politique de renoncement à l'Empire : « vous savez bien, monsieur Mendès France, quel est votre réel pouvoir sur le pays. Vous n'ignorez pas que vous cristallisez sur votre personnage un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques ». L'apostrophe est blessante, et son ton rappelle dans ses insinuations celui de la presse de l'Occupation.
Pourfendeur des institutions de la IVe République, Jean-Marie Le Pen observe avec beaucoup d'espoir, à la fin du printemps 1958, les prémisses de leur crise finale. Il cherche par tous les moyens à peser sur le cours des événements : le 13 mai, il est à la tête d'une manifestation d'ultras, qui se disperse dans la confusion aux alentours de la place de la Concorde ; il cherche ensuite à gagner l'Algérie, y parvient enfin au terme d'un laborieux périple, mais ne peut y passer que quelques heures car il est fermement invité à rejoindre Paris.
A l'instar d'un grand nombre de partisans de l'Algérie française, Jean-Marie Le Pen ne désapprouve pas l'appel au général de Gaulle lancé à la fin du mois de mai par le président René Coty : il croit alors que le nouveau président du Conseil, porté au pouvoir à l'issue d'une crise initiée depuis Alger par les adversaires de l'indépendance algérienne, n'aura d'autre choix que de suivre la ligne dictée par ces derniers. S'il ne prend part ni au vote d'investiture du général de Gaulle (1er juin), ni à ceux des projets de loi relatifs aux pleins pouvoirs et à la révision constitutionnelle (2 juin), il appelle à voter « oui » au référendum constitutionnel de septembre 1958, et c'est sur une ligne de soutien critique au général de Gaulle qu'il fait campagne, avec succès, aux élections législatives du 30 novembre 1958 dans la 3e circonscription de la Seine (5e arrondissement de Paris). Jean-Marie Le Pen s'éloigne toutefois très vite du président de la République, au point de devenir, à l'Assemblée, l'un des plus acharnés détracteurs de sa politique algérienne ; cette radicalisation n'est pas étrangère à sa défaite face à René Capitant lors des élections législatives de novembre 1962.
Jean-Marie Le Pen est l'une des chevilles ouvrières de la campagne présidentielle de Jean-Louis Tixier-Vignancour en 1965 ; les deux hommes se séparent toutefois dès janvier 1966, lorsque Jean-Marie Le Pen réalise que Jean-Louis Tixier-Vignancour n'est pas plus que Pierre Poujade en mesure de fonder le grand parti de la « droite nationale » qu'il appelle de ses vœux. C'est la conviction qu'il est en fait le seul à même de réaliser ce projet qui le conduit à fonder en 1972 le Front National, puis à présenter deux ans plus tard sa candidature aux élections présidentielles. Les premier succès électoraux du Front National, en 1983, impriment un nouveau tournant à la carrière politique de Jean-Marie Le Pen. Son idéal politique s'exprime alors dans l'ouvrage qu'il fait paraître en 1984 et dont le titre Français d'abord est tout un programme. De nouveau député à l'Assemblée nationale (1986-1988), parlementaire européen (1984-2000), candidat à trois autres reprises aux élections présidentielles (1988, 1995 et 2002 où il devance Lionel Jospin), il devient l'un des principaux acteurs du débat politique français.
LE PEN (Jean-Marie)
Né le 20 juin 1928 à La Trinité-sur-Mer (Morbihan)
Décédé le 7 janvier 2025 à Garches (Hauts-de-Seine)
Député de la Seine de 1958 à 1962 et de Paris de 1986 à 1988
(suite de la notice biographique portant sur la IVe République)
Ancien député poujadiste de la Seine et vice-président du Front national des combattants fondé en 1957, Jean-Marie Le Pen se présente, sous l’étiquette « Indépendants de Paris », antenne parisienne du Centre national des indépendants (CNI), en novembre 1958 au premier tour des législatives dans la 3e circonscription de la Seine (correspondant au 5e arrondissement de la capitale). Son suppléant est l’avocat Pierre Menuet. Profitant du grand nombre de candidats (11) et de la dispersion des voix qui s’ensuit, bénéficiant de sa bonne implantation dans la capitale et, plus fondamentalement, de l’ancrage nationaliste dans certains arrondissements de la capitale depuis la fin du XIXe siècle, Jean-Marie Le Pen arrive nettement en tête au soir du premier tour avec 24,13 % des suffrages exprimés. Il devance l’ouvrier communiste et ancien député Lucien-Henri Monjauvis (17,9 % des voix), le professeur démocrate-chrétien Jacques Capron (12,2 %), le publicitaire gaulliste Charles Fatosme (9,7 %), le professeur socialiste et député sortant Robert Verdier (8,6 %), l’autre candidat socialiste, le médecin du travail Frédéric Choffe (8,2 %), et le gaulliste de gauche Jacques Debû-Bridel (7,5 %). Au second tour, fort du retrait de Jacques Capron et du soutien de petits candidats de droite du premier tour (Jean Enjalbert, Gilbert Pradet, Philippe Baume et Dominique Pierrini), il s’impose devant les cinq autres candidats du second tour (Lucien-Henri Monjauvis, Robert Verdier, Frédéric Choffe, Charles Fatosme et Jacques Debû-Bridel) avec 45,16 % des voix. Il a doublé les suffrages qui s’étaient portés sur lui au premier tour. Ses deux principaux adversaires, le communiste et le gaulliste, font jeu égal autour de 22 % des suffrages exprimés.
Jean-Marie Le Pen rejoint le groupe Indépendants et paysans d’action sociale (IPAS). Il y représente l’aile droitière avec Alain de Lacoste-Lareymondie. Il siège à la commission de la défense nationale et des forces armées. Le 8 juillet 1959, il est élu membre du Sénat de la Communauté (et le reste jusqu’au 16 mars 1961) et il y rapporte le budget de la défense. Au Palais-Bourbon, Jean-Marie Le Pen consacre l’essentiel de ses interventions à la question algérienne. Sur ce dossier, celui qui avait appelé à voter « oui » au référendum de septembre 1958 passe d’une méfiance critique à une hostilité ouverte lorsque le chef de l’Etat évolue progressivement vers l’indépendance après le discours sur l’autodétermination (16 septembre 1959). Le 16 janvier 1959, prenant part au débat sur le programme du gouvernement de Michel Debré, le député parisien rappelle la nécessité d’une victoire par les armes en Algérie et désapprouve les mesures de clémence envers les insurgés. Il déplore ce qu’il perçoit déjà, à cette époque, comme « l’équivoque de la position du gouvernement sur le problème algérien ». Favorable à une intégration renforcée de l’Algérie dans la communauté nationale par l’assimilation, il estime que le maintien de la France relève autant du prestige national que du « devoir des nations civilisées envers les pays sous-développés ». Le 9 juin 1959, il prend la parole lors de la discussion du projet de loi portant dispositions financières intéressant l’Algérie et s’inquiète de la faible amélioration de la situation militaire. Après avoir salué le rôle de l’armée dans la construction de l’Algérie nouvelle, il met en garde le Parlement contre la survivance du terrorisme métropolitain face auquel le gouvernement devrait montrer plus de fermeté et face à la liberté d’expression laissée à « une presse favorable à l’abandon ». Le ton devient encore plus critique à partir d’octobre 1959. Jean-Marie Le Pen profite du débat, le 14 octobre 1959, suivant la déclaration du Premier ministre relative à la politique générale du gouvernement pour déplorer « un retour à la situation antérieure au 13 mai », « l’attitude contradictoire » de Michel Debré et « les reniements des engagements antérieurs ». Pour le député nationaliste, reconnaître à la rébellion un caractère légitime est dangereux et conduit le gouvernement vers « l’illégalité ».
Jean-Marie Le Pen vit intensément la semaine des barricades de janvier 1960 et l’arrestation du député Pierre Lagaillarde, incarcéré à la prison de la Santé après la levée de son immunité parlementaire. Le matin du 30 janvier 1960, la police se présente à son domicile de la villa Poirier à Paris. Comme le commissaire le somme d’ouvrir, le député de Paris se rebelle et menace de tirer. Inculpé de « menaces de mort sous condition » et gardé à vue pendant 48 heures, il bénéficie d’un non-lieu en mars 1961. L’épisode l’amène à durcir ses positions. Jean-Marie Le Pen vote contre le projet de loi autorisant le gouvernement à prendre, par application de l’article 38 de la Constitution, certaines mesures relatives au maintien de l’ordre, à la sauvegarde de l’Etat, à la pacification et à l’administration de l’Algérie (la loi du 4 février 1960 sur les pouvoirs spéciaux). Le 1er juin 1960, le parlementaire (secrétaire général du Front national pour l’Algérie française créé le 15 juin 1960 et dissout à la fin de la même année) dépose une proposition de résolution tendant à requérir la suspension de la détention du député Lagaillarde, mettant en avant la tradition parlementaire tendant à la protection des membres de l’Assemblée et le respect de l’équilibre des pouvoirs. L’élu, qui s’est rendu à Alger en septembre 1960, revient à la charge à plusieurs reprises. D’abord le 4 novembre 1960 (où il dépose une nouvelle proposition de loi tendant à la publication au Journal officiel du compte rendu sténographique des débats du procès concernant Pierre Lagaillarde et ses co-accusés), puis le 15 novembre 1960 (où il dénonce la « discrimination » dont serait victime à ses yeux l’ancien député d’Alger et évoque « la légalité douteuse » de son arrestation), avant de rejeter le 12 novembre 1961 « l’application inadmissible du régime de droit commun aux parlementaires en matière de garde à vue ». Prenant part, le 28 octobre 1960, à la discussion du projet de loi de finances pour 1961, il déplore les grâces intervenues en faveur de condamnés à mort du Front de libération nationale (FLN), l’organisation du mouvement indépendantiste algérien à l’intérieur des prisons françaises et le statut spécial accordé « abusivement » aux détenus du FLN. Le 7 décembre 1960, il regrette « l’insuffisance des moyens mis à la disposition de l’armée en Algérie » et parle à propos du référendum proposé « d’illégalité, d’illégitimité et d’immoralité ».
La tentative de putsch d’avril 1961 marque un nouveau palier dans le durcissement de Jean-Marie Le Pen sur la question algérienne. Intervenant, le 29 juin 1961, dans le débat sur la déclaration du gouvernement, le député de Paris s’élève contre les « concessions humiliantes pour la France faites au FLN » et met en garde contre le « malaise de l’armée accru par l’emprisonnement de chefs prestigieux ». Soupçonnant, le 11 juillet 1961, l’existence éventuelle d’un accord militaire souscrit entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), il s’inquiète face au retrait d’Algérie de régiments de parachutistes qui favorise le renforcement du potentiel militaire rebelle. S’agissant de l’Organisation armée secrète (OAS), il parle, le 8 novembre 1961, lors de la discussion du budget de l’Algérie dans le cadre du projet de loi de finances pour 1962 de « légitimité morale de l’OAS » et affirme « la responsabilité de la politique gouvernementale dans l’anarchie et les atrocités ». Alors que Jean-Marie Le Pen défend jusqu’au bout l’option du maintien de la France (rappelant encore le 9 novembre 1961 « l’importance stratégique du Sahara en cas de guerre atomique »), il doit admettre au printemps 1962 l’échec de son combat politique lorsque l’hypothèse de l’indépendance algérienne se précise. Le 20 mars 1962, il intervient une dernière fois sur ce dossier, à l’occasion du débat sur la communication du gouvernement relative à l’Algérie, pour exprimer « la tristesse inspirée par les accords d’Evian », qui selon lui « portent atteinte aux principes de l’intégrité et de l’unité du territoire ». Il juge que le général de Gaulle a utilisé la cause de l’Algérie française comme « tremplin pour s’emparer du pouvoir » et répète envers et malgré tout son « attachement à l’Algérie française ».
Si Jean-Marie Le Pen s’intéresse prioritairement à l’Algérie durant cette première législature de la Ve République, il ne néglige pas d’autres sujets. Membre de la commission de la défense nationale, il suit les questions militaires n’hésitant pas, lors de l’examen des crédits militaires du projet de loi de finances pour 1960, à déplorer le 18 novembre 1959 la diminution des dotations affectées à l’armée (par rapport au budget et au revenu national depuis 1954), ce qui selon lui empêcherait l’état-major d’assurer les missions extérieures à l’Algérie (OTAN et Communauté). L’ancien responsable étudiant et élu d’une circonscription recoupant le Quartier latin prête aussi attention aux questions universitaires. Lors d’une question orale, le 27 octobre 1961, il s’inquiète de l’aggravation du problème du logement des étudiants et appelle de ses vœux la construction en France de véritables cités universitaires, dotées notamment d’équipements sportifs de qualité. L’ancien député poujadiste reste aussi fidèle à la cause des petits artisans et commerçants menacés par la grande distribution. Le 21 juin 1962, il prend part à la discussion du projet de loi portant approbation du IVe Plan pour évoquer le « problème des supermarchés », la « disparition du petit commerce » et la « destruction des classes moyennes ». Il soutient par ailleurs les thèses de Robert Pesquet contre François Mitterrand à l’occasion de l’affaire de l’attentat de l’Observatoire en octobre 1959.
A l’automne 1962, après la dissolution de l’Assemblée nationale, Jean-Marie Le Pen (qui a voté la motion de censure déposée le 4 octobre 1962 et dont l’adoption a provoqué le renversement du gouvernement de Georges Pompidou) est candidat à sa réélection dans la même 3e circonscription de Paris (5e arrondissement) lors des législatives anticipées, sous la double étiquette du Centre national des indépendants et du Centre républicain. En raison de ses prises de position durant la guerre d’Algérie et du renforcement des gaullistes, sa situation est nettement plus inconfortable qu’à l’automne 1958. Ayant toujours à ses côtés, comme suppléant, l’avocat Pierre Menuet (qui est entré au conseil municipal de Paris en 1959), il affronte cinq autres candidats parmi lesquels l’ancien député gaulliste René Capitant, l’ouvrier communiste René Thoirain, le professeur candidat du Parti socialiste unifié (PSU) Robert Verdier et le médecin socialiste Frédéric Choffe. La campagne est émaillée de violences militantes de part et d’autre. Nettement distancé, dès le premier tour, avec seulement 18,4 % des suffrages exprimés (7 092 voix) par rapport aux 43,5 % de René Capitant, Jean-Marie Le Pen est même distancé par le communiste qui rassemble 19,6 % des voix. Au second tour, le candidat nationaliste ne bénéficie d’aucun report et perd même des voix par rapport au premier tour. Avec seulement 15,9 % des suffrages (6 240 voix), il est nettement battu par le gaulliste René Capitant (50 % des voix, soit 19 597 voix), qui retrouve l’Assemblée, et même par le PSU Robert Verdier, candidat unique de la gauche (34 %, soit 13 348 voix).
Jean-Marie Le Pen décline les discrètes propositions de ralliement du nouveau régime où il compte quelques amis comme Jacques Dominati. Sur le plan privé, la séquence 1958-1962 est aussi marquée par son mariage, le 29 juin 1960 dans le 7e arrondissement de Paris, avec Pierrette Lalanne, née en 1935, fille d’un négociant en vin des Landes, rencontrée lors d’une soirée de gala en 1958. Trois filles naîtront de cette union, Marie-Caroline, Yann et Marine. Pierrette Lalanne demandera une première fois le divorce en 1972 avant de quitter le domicile conjugal en octobre 1984. Le divorce sera finalement prononcé en 1987. Jean-Marie Le Pen se remariera en mai 1991 avec Jany Paschos, fille d’un marchand de tableaux grec et d’une mère d’origine néerlandaise.
A partir de 1963, Jean-Marie Le Pen dirige à titre professionnel la Société d’études et de relations publiques (SERP) qui diffuse des disques de musique militaire et d’enregistrements de discours politiques (dans la collection « Hommes et faits du XXe siècle » où figurent des discours de Trotsky, de Léon Blum et du général de Gaulle mais aussi d’Hitler, Mussolini, Laval et Pétain). En 1971, il est d’ailleurs l’objet de poursuites en raison de l’édition par la SERP d’un disque intitulé « Le IIIe Reich : voix et chants de la révolution allemande ». Sur le plan politique, en 1964, il prend la fonction de secrétaire général du Comité Tixier-Vignancour. A ce titre il supervise la campagne présidentielle du candidat nationaliste. Il dirige le périodique TV-Demain et conçoit une tournée des plages, remarquée. Jean-Louis Tixier-Vignancour obtient 5,20 % des suffrages exprimés au premier tour, parmi lesquels ceux de beaucoup de pieds-noirs. Jean-Marie Le Pen, qui avait hésité à mener personnellement la bataille et avait renoncé en raison de son jeune âge, conserve la direction de ce comité jusqu’en 1966 avant de prendre ses distances avec Jean-Louis Tixier Vignancour qui ne crée pas le grand parti nationaliste espéré. En 1967, l’ancien poujadiste, qui depuis le début des années 1960, se rend parfois à Madrid, et peut y rencontrer d’anciens de la collaboration et de l’OAS, devient chef de publicité pour deux périodiques d’extrême-droite, Minute et Le Crapouillot. En juin 1968, aux côtés de son suppléant, le médecin Antoine Lorcy, il se présente sous l’étiquette « candidat national indépendant d’union centriste » aux législatives anticipées dans la 3e circonscription de la Seine face au gaulliste sortant René Capitant. Dans sa profession de foi, le candidat nationaliste revient sur les violences des barricades de Mai (« notre quartier a été le théâtre d’émeutes et d’excès de tout ordre »). Il affirme vouloir sauver le pays « de la guerre civile ». Sur sa gauche figure le candidat PSU Marc Heurgon, qui soutient les étudiants. L’ancien député de Paris est éliminé dès le premier tour, victime pour partie d’une dynamique qui permet à la droite et notamment aux gaullistes, de réaliser un grand chelem dans la capitale en emportant tous les sièges.
Favorable à Alain Poher lors de la campgane présidentielle du printemps 1969 par antigaullisme, Jeam-Marie Le Pen
prend par la suite quelques distances avec la vie politique. Entre 1968 et 1972, il multiplie les séjours en mer, avec sa femme et ses trois filles, à bord de son bateau, le Général Cambronne. Soucieux après les émeutes de Mai 68 de mieux comprendre les aspirations de la nouvelle génération, il retourne en 1969 à l’université co-rédiger pour son diplôme d’études spécialisées (DES) de science politique un mémoire sur l’anarchisme en France depuis 1945, dans le cadre d’un séminaire de Maurice Duverger. Il retrouve la vie militante en octobre 1972. Après avoir tenté un rapprochement avec le CNI, il accepte la proposition de François Brigneau et d’Alain Robert, les responsables d’Ordre nouveau (ON), qui veulent élargir, dans la perspective des législatives de 1973, l’audience de la mouvance nationaliste en fédérant les différents mouvements d’extrême-droite nés en réaction à Mai 68. Jean-Marie Le Pen crée le Front national (FN). Il en prend la présidence aux côtés de Roger Holeindre (fondateur du Front uni de soutien au Sud-Vietnam), Pierre Bousquet (ancien de Jeune nation et secrétaire général du Mouvement nationaliste du progrès) et Pierre Durand. Le nouveau parti se veut « national, social et populaire ». C’est sous l’étiquette FN qu’il est candidat lors du premier tour des législatives, le 4 mars 1973, dans la 15e circonscription de Paris (14e arrondissement). Si le Front national, qui a présenté 100 candidats pour sa campagne électorale inaugurale menée derrière le slogan « Défendre les Français » (Jean-Marie Le Pen s’empare le premier du thème de l’immigration) ne rassemble que 1,33 % des suffrages exprimés à l’échelle nationale, son leader atteint pour sa part 5,2 % dans sa circonscription parisienne. Jean-Marie Le Pen, qui estime ce résultat personnel encourageant (il apparaît pour la première fois à la télévision à cette occasion), prend rapidement ses distances avec les responsables d’Ordre nouveau qui supportent mal de voir le chef du FN s’émanciper politiquement de leur tutelle. Après la dissolution d’Ordre nouveau en juin 1973 (le mouvement est impliqué dans des violences militantes contre l’extrême gauche après les législatives), ses chefs fondent un nouveau parti, le Parti des forces nouvelles (PFN), rival du Front national et lancent un nouveau périodique Faire front.
C’est du reste pour prendre de vitesse ses rivaux d’extrême-droite (François Brigneau, rédacteur en chef de Minute et l’avocat Jean-François Galvaire, l’un des fondateurs d’Ordre nouveau et ancien lieutenant de Tixier-Vignancour) que Jean-Marie Le Pen se positionne dès le 17 mars 1974 dans la perspective d’une campagne présidentielle. Il s’agit pour lui d’améliorer sa notoriété médiatique et d’asseoir sa légitimité politique au sein de la galaxie nationaliste. Conscient de l’importance de la communication, Jean-Marie Le Pen ouvre son appartement parisien à la presse, pose avec femme et enfants, montre sa maison natale de la Trinité-sur-Mer. Son programme « de salut public » propose dix thèmes. Deux sont particulièrement développés : celui de la « dénatalité » et celui de l'immigration, qui « maintient au plus bas les rémunérations des travailleurs manuels ». Il réclame une priorité à l'embauche pour les Français et déplore les prestations sociales dont bénéficient les immigrés. Il ne recueille que 0,74 % des suffrages exprimés (190 000 voix) le 5 mai au soir mais réussit à inscrire le FN dans le paysage politique. Pour le deuxième tour, il appelle à « barrer la route au candidat socialo-communiste », i.e. François Mitterrand, en votant Valéry Giscard d'Estaing, qu’il avait rencontré à l’Assemblée à la fin des années 1950 au sein du groupe IPAS.
Les premières années du Front national sont émaillées d’incidents violents liés autant aux tensions avec la gauche qu’aux fortes dissensions internes au sein de la mouvance nationaliste (notamment entre le Front national et le Parti des forces nouvelles, qui n’est pas hostile au pouvoir giscardien contrairement au parti lepéniste). Le 2 novembre 1976, une bombe détruit le domicile parisien de Jean-Marie Le Pen dans le 15e arrondissement. Privée de logement, la famille Le Pen est hébergée provisoirement par Jean-Marie Le Chevallier, son directeur de cabinet en 1986-1988. En mars 1978, François Duprat, membre du bureau politique du FN, est tué dans l’explosion de son véhicule. Ces événements n’empêchent pas le Front national de participer aux différents scrutins du septennat giscardien. Le 13 mars 1977, Jean-Marie Le Pen se présente pour la première fois aux élections municipales, dans le 15e arrondissement de Paris, à la tête d’une liste « Paris aux Parisiens », celle-ci n’obtient que 1,8 % des suffrages exprimés au premier tour. Lors des législatives du 12 mars 1978, il est candidat dans la 5e circonscription de Paris contre Edouard Frédéric-Dupont, « le député des concierges », installé au Palais-Bourbon depuis 1936 (avec deux interruptions : 1962-1967 et 1968-1973). Jean-Marie Le Pen est battu dès le premier tour, ne rassemblant que 3,9 % des suffrages exprimés. Les autres candidats FN n’obtiennent eux-aussi que des scores très faibles. En juin 1979, à l’occasion de la campagne pour les élections européennes, Jean-Marie Le Pen tente de présenter une liste (l’Union française pour l’eurodroite des patries) où il figure en 3e position aux côtés de l’écrivain Michel de Saint-Pierre et d’autres ténors de l’extrême-droite comme Jean-Louis Tixier-Vignancour, Pascal Gauchon, Roland Gaucher et François Brigneau, mais des mésententes avec Tixier-Vignancour ainsi qu’avec le PFN font capoter l’initiative. Le Front national appelle finalement à l’abstention.
Sur un plan financier, la situation personnelle de Jean-Marie Le Pen s’améliore sensiblement lorsqu’il hérite, dans des conditions qui alimentent la polémique, de la fortune (une succession de plus de 30 millions de francs) d’Hubert Lambert, un riche écrivain nationaliste (appartenant à la famille des cimentiers Lambert) décédé en septembre 1976 à l’âge de 42 ans. Le modeste éditeur phonographique peut s’installer dans un hôtel particulier du parc de Montretout sur les hauteurs de Saint-Cloud. Il a désormais davantage de facilités pour financer ses activités politiques. En juillet 1979, Jean-Marie Le Pen annonce également son intention de s’engager dans une thèse en science politique sur les problèmes de l’immigration. Le doctorat ne semble pas avoir été soutenu.
Lors de la présidentielle du printemps 1981, Jean-Marie Le Pen est le premier à se déclarer candidat à l’automne 1979, évoquant le triple échec du gouvernement en matière d’emploi, d’inflation et de sécurité, ainsi que la « crise morale » provoquée par l’affaire Boulin. Accompagné de sa femme et de ses trois filles, il manifeste en novembre 1979 pour l'abrogation de la loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Son inculpation en janvier 1980 pour discrimination raciale n’interrompt pas sa campagne. Son QG, très moderne, est installé rue de Bernouilli dans le 8e arrondissement. Un magazine, Le Pen 81, est lancée ainsi qu’une radio, Radio Le Pen, qui se proclame « la voix de l’opposition nationale et des traditions chrétiennes ». Pendant l’été 1980, les opérations de propagande se poursuivent : graffitis sur l’autoroute du Sud lors des premiers grands départs et mises en place de stands FN sur les aires de stationnement, affichages dans diverses villes. Mi-juillet, l’« opération caravane », animée par les responsables du parti, se déroule dans le Midi et en Bretagne. En janvier 1981, le FN sort une affiche « 2 000 000 de chômeurs, c'est 2 000 000 d'immigrés de trop. La France et les Français d'abord ». Proaméricain, par anticommunisme, Jean-Marie Le Pen se veut « le Reagan de la France » et réclame le retour du pays dans le pacte militaire atlantique. Mais l'attentat de la rue Copernic, le 3 octobre 1980, perturbe le début de campagne frontiste car l'extrême-droite est initialement mise en cause. Ce climat affecte la réservation des salles de meeting comme la collecte des parrainages, dont le nombre requis est passé de 100 à 500 en 1976. Le 11 mars, Jean-Marie Le Pen renonce à sa candidature. Au premier tour, il lance « un mot d'ordre de grève du vote, abstention ou vote blanc ». Pour le second, il appelle finalement à voter « Jeanne d’Arc ». Le 10 mai 1981, le FN défile dans Paris pour proclamer la « révolte des patriotes ».
Le nouveau président de la République François Mitterrand ayant dissout l’Assemblée nationale, des législatives anticipées ont lieu en juin 1981. Le FN présente 78 candidats. Le résultat est le plus faible de toute l’histoire du parti : les candidats frontistes ne rassemblent que 0,18 % des suffrages exprimés à l’échelle nationale. Jean-Marie Le Pen est contesté au sein de la mouvance nationaliste (notamment par le courant nationaliste-européen de la revue Militant proche à l’origine du PFN). Radio Le Pen cesse d’émettre, les locaux de la rue de Bernouilli sont fermés et le FN ne compte plus que quelques centaines d’adhérents. Jean-Marie Le Pen comprend qu’il faut lisser son image et celle de son parti s’il veut sortir de la marginalité politique. Il abandonne son bandeau pour un œil de verre, s’entoure d’une équipe de fidèles venus au FN dans la deuxième moitié des années 1970 (comme Carl Lang), profite surtout des premiers échecs de François Mitterrand face à la crise socio-économique pour s’affirmer comme un recours possible, bénéficie enfin du ralliement d’anciens cadres du Rassemblement pour la République (RPR) soucieux de combattre plus radicalement le gouvernement de gauche. Les cantonales de mars 1982, premier scrutin de l’après « état de grâce », consacre la pertinence de cette nouvelle stratégie. Le FN, qui a présenté une soixantaine de candidats, parvient par endroits à dépasser la barre des 10 % (Grande-Synthe, Dreux Est et Ouest, Pont-de-Chéruy).
Pour consolider cette première percée, Jean-Marie Le Pen doit bénéficier d’une meilleure couverture médiatique, ce qui suppose de sortir des fanzines nationalistes pour accéder aux journaux télévisés et aux grandes émissions de débat politique. S’étant adressé en mai 1982 à François Mitterrand (via Guy Penne) pour se plaindre de l’indifférence des grands médias pour le 6e congrès du FN, il reçoit le 22 juin 1982 une réponse l’informant que serait bientôt remédié à ce manquement. Cela favorise de fait l’émergence médiatique de la droite nationaliste, et fragilise une droite républicaine alors en pleine dynamique de reconquête. Une semaine plus tard, Jean-Marie Le Pen intervient au journal télévisé de 20 heures de TF1. Par la suite, il accède en février 1984 à l’émission d’Antenne 2 L’Heure de Vérité, début d’une relation suivie entre la télévision et le chef du Front national même si ce dernier se plaint régulièrement d’un « boycott médiatique » politiquement orchestré par la « bande des quatre » (PCF, PS, UDF, RPR). Avec une meilleure notoriété, Jean-Marie Le Pen améliore rapidement les résultats électoraux de sa formation à partir du printemps 1983. Lors des municipales de mars 1983, il propose à l’opposition RPR-UDF de présenter localement des listes communes, ce que les responsables gaullistes et libéraux refusent. Localement, le FN obtient ici et là des résultats notables (2,6 % à Nice, 3,9 % à Montpellier, 9,5 % à Roubaix), posant les premières bases de sa future carte électorale. Jean-Marie Le Pen lui-même est élu conseiller d’arrondissement de Paris (20e secteur, 20e arrondissement). En septembre 1983 surtout, lors d’une élection municipale partielle à Dreux (Eure-et-Loir), Jean-Pierre Stirbois, n° 2 du parti, obtient 16 % des voix au premier tour et fusionne sa liste FN avec celle du RPR-UDF qui l’emporte au second tour.
Cette percée se prolonge lors d’une législative partielle en décembre 1983 dans la deuxième circonscription du Morbihan (Auray). Le siège est vacant après le départ pour le Sénat de Christian Bonnet, ancien ministre de l’Intérieur. Jean-Marie Le Pen, enfant du pays, se présente avec comme seule promesse de « dire la vérité » face au « chômage, au matraquage fiscal, à l’insécurité, à l’immigration et au laxisme moral ». Profitant de la division de l’UDF locale entre trois candidats, le chef du Front national atteint 12 % des voix au premier tour. Ce résultat étant insuffisant pour lui permettre d’accéder au second tour, il laisse s’affronter Michel Naël, maire d’Auray, et Aimé Kergueris, ancien député du Morbihan, lequel l’emporte avec 58,9 % des voix.
Reste à confirmer ces bons scores locaux lors d’un scrutin à l’échelle nationale. C’est chose faite à l’occasion des élections européennes de juin 1984 (il publie durant la campagne et aux éditions Carrère-Michel Lafon un ouvrage programmatique Les Français d’abord). La liste FN (« Front d’opposition nationale pour l’Europe des patries ») rassemble 11 % des suffrages et Jean-Marie Le Pen entre au Parlement européen aux côtés des neuf autres élus frontistes. La carte électorale du FN lors de ce scrutin est déjà posée dans ses grandes lignes : une France industrielle et urbaine à l’est d’une ligne Le Havre-Perpignan, avec ses bastions du Nord et de l’Est touchés par la désindustrialisation et ses fiefs du sillon rhodanien et du pourtour méditerranéen marqués par l’immigration et l’implantation pied-noir. Les gros bataillons d’électeurs FN sont issus du secteur professionnel des artisans-commerçants et petits patrons, même si le parti mord aussi sur le monde ouvrier. Le leader du Front national, qui rejoint la commission de l’environnement, de la santé publique et de la protection des consommateurs, fonde et préside à partir de juillet 1984 le « groupe des droites européennes » (GDE) avec les MSI italien et un élu grec. Dans un deuxième temps, après le départ des élus italiens qui se recentrent, Jean-Marie Le Pen constitue un autre groupe (« Groupe technique des droites européennes ») avec les nationalistes flamands du Vlaams Blok et l’extrême-droite allemande des Republikaner. Le chef du FN préside ce groupe jusqu’en 1994 avant de siéger parmi les non-inscrits. L’année 1985 est marquée par des ralliements venus du RPR (comme Bruno Mégret, président des Comités d'action républicaine), du Parti républicain (Jean-Yves Le Gallou, issu du Club de l’Horloge) et du CNI. Certes, début 1985, Le Canard Enchaîné, Libération et Le Monde publient des témoignages d’Algériens accusant Jean-Marie Le Pen d’avoir, en 1956-1957 à Alger, supervisé en tant qu’officier du 1er régiment étranger de parachutistes (1er REP) de la Légion étrangère des séances de torture. En novembre 1962, dans le journal Combat, l’ancien combattant avait reconnu avoir « torturé parce qu’il fallait le faire » mais il a ensuite systématiquement nié. En décembre 2019, toutefois, il a finalement reconnu s’être livré à de tels actes pendant la bataille d’Alger « sous les ordres de (son) capitaine ».
Les articles de presse mettant en cause Jean-Marie Le Pen ne semblent pas le pénaliser sur le plan électoral. Les bons résultats obtenus lors des régionales et des législatives du 16 mars 1986 confirment l’ancrage du FN dans le paysage politique français. A l’occasion des régionales, le Front national obtient 9,78 % des voix et fait entrer 137 de ses membres dans les conseils régionaux, à commencer par Jean-Marie Le Pen, tête de la liste FN pour l’Île-de-France (déjà député européen et élu député national, le 16 mars 1986, le chef du FN renonce à son siège au conseil régional pour se conformer à la loi sur le cumul des mandats). Lors de l’élection des présidents de région, le parti se pose en faiseur de rois en permettant, grâce à ses voix, à plusieurs responsables RPR/UDF d’être élus à la tête de leur assemblée régionale. Cette situation, critiquée par la gauche et par une partie de la droite, alimente un débat très animé sur les alliances électorales possibles entre droite et extrême-droite. Jean-Marie Le Pen retrouve l’Assemblée nationale à l’occasion des législatives du 16 mars 1986 qui voient la victoire de l’opposition RPR-UDF et l’arrivée à Matignon de Jacques Chirac dans le cadre de la première cohabitation de la Ve République. Soucieux de limiter l’ampleur de la victoire annoncée de la droite et de limiter les pertes du PS, François Mitterrand avait opté pour le scrutin proportionnel de liste qui, mécaniquement, avantage aussi les petites formations. De fait, avec 9,65 % des suffrages exprimés, le FN obtient 35 députés (32 députés FN et 3 apparentés) et peut constituer un groupe à l’Assemblée nationale. Premier de la liste FN à Paris, Jean-Marie Le Pen est élu député de la capitale. Inscrit au groupe Front national, il rejoint la commission des affaires étrangères.
Jean-Marie Le Pen se montre très actif durant cette législature. Il dépose huit propositions de loi portant essentiellement sur les thèmes chers au Front national (lutte contre l’insécurité, restriction de l’immigration et redéfinition de la nationalité, défense des droits des pieds-noirs). Parmi ses propositions de loi figurent le rétablissement de la peine de mort, la modification du code de la nationalité française et l’incompatibilité entre le mandat parlementaire et l’appartenance à la fonction publique (avril 1986), l’amnistie fiscale et douanière (mai 1986), l’indemnisation complète et définitive des dommages subis par les personnes physiques et morales dépossédées des biens sis dans les territoires d’outre-mer ayant relevé de la souveraineté, du protectorat ou de la tutelle de la France (juin 1986), l’augmentation des peines contre les personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants (mai 1987), le renforcement du contrôle parlementaire de l’action gouvernementale par la Cour des Comptes (mai 1987) et la reconnaissance des victimes du terrorisme comme des victimes de guerre (juin 1987). Jean-Marie Le Pen dépose par ailleurs deux propositions de résolution dont une, en juillet 1986, tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conditions de fonctionnement et de gestion du ministère de la Coopération au moment où point l’affaire du « Carrefour du développement ». Le chef du groupe Front national profite parfois des questions au gouvernement pour interpeller ce dernier sur une actualité dramatique : comme en mai 1986 après l’accident de Tchernobyl sur l’insuffisance de la protection civile des populations en cas d’accident nucléaire ou, en novembre 1986, après les attentats terroristes sur les transactions du gouvernement avec les terroristes internationaux.
Mais Jean-Marie Le Pen se fait d’emblée remarquer lors de son premier discours à l’Assemblée, à l’occasion du débat suivant la déclaration du gouvernement sur sa politique générale, le 19 avril 1986. Déplorant le « déclin du rôle du Parlement » qui aurait perdu « sa fonction tribunitienne », il appelle l’Assemblée à « reconquérir les prérogatives qu’elle a abdiquées sous l’empire du fait majoritaire ». Il défend les avantages du scrutin proportionnel et se félicite de l’existence au Palais-Bourbon d’une « majorité anti-marxiste ». Il dresse les mérites de ses collègues du groupe Front national que Jacques Chirac aurait voulu frapper d’une « espèce d’apartheid politique ». Il conclut en estimant qu’il existe des sujets d’inquiétude plus graves que les questions économiques : le déclin démographique français, l’immigration de masse et l’explosion démographique des pays du tiers-monde. Il refuse ainsi sa confiance au Premier ministre mais se dit prêt à voter au cas par cas les textes de la majorité. Le Premier ministre, Jacques Chirac, établit un « cordon sanitaire » autour du groupe FN, interdisant aux députés de la majorité d’établir tout contact avec les élus frontistes.
Lors de la discussion générale en première lecture du projet de loi relatif à la lutte contre la criminalité et la délinquance, Jean-Marie Le Pen s’exprime le 1er juillet 1986, déplore le manque de formation des magistrats et l’insuffisance d’une réponse pénale trop centrée sur la prévention, et confirme souhaiter le rétablissement de la peine de mort. Le député parisien suit tout particulièrement l’examen du projet de loi relatif aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, thème au cœur du programme de son parti. Il insiste le 9 juillet 1986 sur le lien existant à ses yeux entre immigration, chômage, délinquance et terrorisme. Regrettant de ne pouvoir aborder le problème de l’immigration sans encourir les « foudres des lobbies », représentés selon lui par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et SOS Racisme, il dénonce ce qu’il appelle un « complot contre la vérité » à propos du nombre exact d’immigrés en France, complot auquel participeraient l’INED et l’INSEE. Occasion pour le chef du Front national de présenter la proposition de loi de son parti assimilant au délit de faux en écriture les falsifications des statistiques et des sondages. Finalement, constatant l’incapacité du gouvernement à refouler les étrangers et les dangers de ce qu’il appelle le « melting-pot stasien » (faisant référence à l’ouvrage de Bernard Stasi paru en 1985 L’immigration une chance pour la France), inquiet de l’attitude éventuellement hostile des communautés étrangères en cas de guerre, estimant que la réforme du code de la nationalité n’est pas de nature à inverser le courant d’immigration, il engage son groupe dans ce qu’il appelle « une abstention hostile ».
Si Jean-Marie Le Pen consacre l’essentiel de ses prises de parole à l’Assemblée aux thèmes de l’insécurité et de l’immigration, il intervient aussi à l’occasion sur le terrain de la culture (lors de la première lecture en décembre 1987 du projet de loi de programme relatif au patrimoine monumental), de la diplomatie (lors des discussions en juin puis décembre 1987 suivant la déclaration du gouvernement sur la politique étrangère, où il défend le régime sud-africain, appelle de ses vœux la libération de l’Europe de l’Est et fait preuve de méfiance à l’égard de la stratégie d’ouverture de Gorbatchev) et plus encore de l’économie, où il professe alors un credo néolibéral correspondant au discours dominant de la droite française de l’époque. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 1987 en octobre 1986, il estime que le retour de la confiance passe par la diminution massive des prélèvements obligatoires. Il met en avant les exemples américain, allemand, japonais et insiste sur ce qu’il appelle « la révolution fiscale américaine » qui aurait favorisé la compétitivité des entreprises des Etats-Unis. Le chef du Front national qui, en avril 1987, a appuyé la candidature de Pascal Arrighi à la vice-présidence de l’Assemblée nationale, dépose régulièrement lors de l’examen de projets de loi les questions préalables, exceptions d’irrecevabilité et motions de renvoi en commission soutenues par les autres députés du groupe FN.
Maîtrisant les règles de la rhétorique classique, tout en sachant jouer de la provocation, Jean-Marie Le Pen marque les esprits. Le 20 mai 1986, il répond au projet de loi autorisant le gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales par la formule latine « Ave Caesar, morituri te salutant ». Le 15 octobre 1987, il conclut son intervention face au projet de loi de finances pour 1987 en chantant. Très sensible à l’ostracisme dont seraient victimes à ses yeux les élus du Front national, il s’étonne le 15 juillet 1986 de ne pas avoir été convié, comme les autres présidents de groupes à l’Assemblée, à la garden-party donnée à l’Elysée pour le 14 juillet. A l’occasion des questions au gouvernement, il interroge le Premier ministre, le 22 avril 1987, sur l’attitude hostile des médias vis-à-vis du Front national.
Disposant désormais d’élus à Bruxelles, à l’Assemblée nationale et dans les conseils régionaux avec les moyens financiers et logistiques afférents, de dizaines de milliers d’adhérents venus dans les années 1984-1986, ainsi que d’une notoriété médiatique bien établie, le Front national aborde la présidentielle de 1988 dans de meilleures conditions. A nouveau, Jean-Marie Le Pen débute très tôt sa campagne électorale avec l'annonce de sa candidature à La Trinité-sur-Mer, en avril 1987. Lors de son passage dans l’émission L’Heure de vérité le 6 mai 1987, il affirme ne pas aspirer « à être le président du peuple de droite mais le président du peuple français » avant de poser les grandes lignes de son programme (préférence nationale et familiale, augmentation de la retraite, réglementation plus stricte du droit de grève, renforcement de la sécurité et recours au référendum d’initiative populaire). Soucieux de se donner un profil de présidentiable, il rencontre différents hommes d'Etat, dont le président américain Ronald Reagan et l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Ses meetings drainent un public important. Il remplit ainsi en avril 1988 le Stade-Vélodrome de Marseille, tandis que ses affiches « Le Pen le peuple », « Être français, ça s'hérite ou se mérite » ou « Le Pen, l'outsider » fleurissent. Le candidat se targue « de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas », et oppose la « société pluriculturelle, multiraciale et internationaliste », défendue par François Mitterrand, à celle « du patriotisme national et européen » qu’il appelle de ses vœux. Cette propagande intense et ce souci de dédiabolisation sont toutefois contrariés par des dérapages répétés. Jean-Marie Le Pen prône ainsi la création de « sidatoriums » (« L'Heure de vérité » du 6 mai 1987 sur Antenne 2) puis évoque le 13 septembre 1987 sur les ondes de RTL, à propos des chambres à gaz, un « point de détail de la Seconde Guerre mondiale ». Ces mots lui valent de nombreuses manifestations menées par les associations antiracistes et les partis politiques notamment de gauche et d'extrême gauche. Ils n’améliorent pas son image auprès de l’opinion et de l’électorat de la droite républicaine. Toutefois, Jean-Marie Le Pen recueille 14,4 % des suffrages le soir du 24 avril, soit un score supérieur aux prévisions des instituts de sondage. En dépit d’une rencontre secrète avec Jacques Chirac, en présence de Charles Pasqua et d’Edouard Balladur, aucun accord de désistement n’est conclu. Lors de la Fête de Jeanne d'Arc, le 1er mai, le président du parti recommande aux militants et sympathisants réunis aux Tuileries de voter Jacques Chirac (dénommé « le candidat résiduel ») mais laisse la porte ouverte à l’abstention.
François Mitterrand, réélu président de la République, dissout l’Assemblée nationale. De nouvelles élections législatives sont ainsi organisées en juin 1988, marquées par le retour du scrutin majoritaire d’arrondissement à deux tours. Jean-Marie Le Pen se présente dans la 8e circonscription des Bouches-du-Rhône (correspondant aux 11e, 12e et 13e arrondissements de Marseille). Il y affronte le socialiste Marius Masse, député sortant, conseiller général depuis 1973, et qui dispose de puissants réseaux notamment associatifs au sein de la population locale. A l’issue du premier tour, le chef frontiste, avec 32,84 % des voix, arrive en deuxième position derrière son rival socialiste qui rassemble 36,75 % des suffrages exprimés. Sachant que les réserves de voix potentielles sont quasi égales pour les deux candidats, le second tour s’annonce compliqué pour le candidat d’extrême-droite. De fait, Marius Masse l’emporte très nettement avec 56,43 % des suffrages exprimés, ce qui laisse supposer qu’une partie non négligeable de l’électorat de la droite locale a refusé de soutenir le chef frontiste. In fine, le FN, qui est en net recul à Marseille où il a souffert de la bipolarisation PS/RPR-UDF, ne compte qu’un seul élu à l’échelle nationale, la députée du Var Yann Piat. Jean-Marie Le Pen tente de se relancer à la fin de l’été 1988 à l’occasion de la campagne référendaire sur les accords de Matignon relatifs à la Nouvelle-Calédonie. Dans le prolongement du combat anti-indépendantiste mené par le FN sur le « Caillou » et à Paris depuis 1984, il appelle à voter « non » à ce scrutin qu’il qualifie d’illégal, puisque contraire au principe d’indivisibilité de la République. Il s’engage d’autant plus sur ce dossier qu’il profite de la division du RPR sur la question. Mais, emporté dans la passion de la campagne, il trébuche une fois de plus en surnommant, le 2 septembre 1988, lors de l’université d’été du FN au Cap d’Agde, le ministre de la Fonction publique et des réformes administratives Michel Durafour, « Durafour-crématoire ». Ce jeu de mot douteux aux relents antisémites suscite un tollé dans les rangs de la gauche et de la droite républicaine, et provoque aussi des remous au sein même du Front national. Les anciens députés Pascal Arrighi et François Bachelot expriment publiquement leur désapprobation (François Bachelot est exclu du parti tandis que Pascal Arrighi se retrouve très marginalisé après la reprise en main de la fédération des Bouches-du-Rhône par Jean-Pierre Stirbois). La députée varoise Yann Piat, pourtant très proche du patron du FN, prend aussi ses distances. Après avoir déclaré publiquement « j’ai aimé Jean-Marie, j’ai détesté Le Pen », elle est exclue à son tour en octobre 1988. En décembre 1989, le Parlement européen lève l’immunité parlementaire du leader frontiste pour permettre à la justice de sanctionner le dérapage.
La séquence 1989-1994 est difficile pour le Front national. Lors des élections européennes de juin 1989, la liste Le Pen obtient 11,73 % des voix. En août 1989, Jean-Marie Le Pen provoque une fois de plus un scandale en évoquant, dans le journal d’extrême-droite Présent, « la maçonnerie et l’internationale juive ». Le 10 mai 1990, éclate l’affaire de la profanation du cimetière juif de Carpentras, dans lequel le FN n’est pas impliqué mais où beaucoup à gauche voient l’ombre du parti frontiste. Son image en sort altérée. Lors de la Première Guerre du Golfe en 1990-1991, Jean-Marie Le Pen, opposé à l’intervention de la France aux côtés des troupes américaines au nom du principe de souveraineté nationale, est assez isolé politiquement et doit se justifier au sein de son parti. Le 22 mars 1992, lors des élections régionales, le FN obtient 13,7 % des suffrages exprimés et 240 élus dans les conseils régionaux. Jean-Marie Le Pen entre à l’assemblée régionale de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Fort de cet ancrage, il se présente lors des législatives de 1993 dans la 3e circonscription des Alpes-Maritimes. Au second tour, avec seulement 42,1 % des voix, il est nettement battu par l’avocat UDF Rudy Salles, député sortant, conseiller régional depuis 1986 et conseiller municipal de Nice depuis 1983. Ces législatives, marquées par le triomphe de l’opposition RPR-UDF, qui remporte la majorité absolue à l’Assemblée, constituent un revers pour le FN qui stagne à 12,47 % des voix au premier tour et n’obtient aucun élu. Nouvelle déconvenue lors des européennes de juin 1994 où le FN ne dépasse pas les 10,5 % des suffrages exprimés, un score médiocre à peine compensé par les cantonales de mars 1994, marquées par l'élection ou la réélection de trois candidats frontistes.
Ses résultats électoraux en demi-teinte dissimulent toutefois une réalité s’agissant du Front national : le renforcement des structures militantes, la formation d’un personnel politique local, la création de réseaux dans la société civile, l'élaboration d'un programme plus détaillé avec la publication en novembre 1992 des « 300 mesures pour la renaissance de la France ». C’est sur cette base que Jean-Marie Le Pen se lance dans la campagne présidentielle de 1995, profitant de la division à droite entre les chiraquiens et les balladuriens. Le leader du FN, outre ses positions sur l’immigration et l'insécurité, prône l'avènement d'une VIe République avec l'inscription de la préférence nationale dans la Constitution. Mais il dénonce aussi « la ripoublique » et les différents scandales financiers qui émaillent la vie politique, avec notamment le slogan « Mains propres et tête haute ». Le 23 avril au soir, les télévisions annoncent que Jean-Marie Le Pen recueille 15 % des suffrages, un score élevé mais qui déçoit une fois de plus le leader d'extrême-droite persuadé qu'il serait au second tour ou qu’il enregistrerait au moins une forte progression par rapport à 1988 (alors qu’il ne gagne que 0,6 %). Le président du FN choisit le rassemblement du 1er mai devant la statue de Jeanne d’Arc à Paris pour livrer sa consigne de deuxième tour : « Chirac, c'est Jospin en pire ! ». Deux mois plus tard cependant, à l’occasion des élections municipales, le parti frontiste confirme sa capacité en emportant des mairies importantes dont celles d’Orange (Vaucluse), de Marignane (Bouches-du-Rhône) et surtout de Toulon (Var), première ville de plus de 100 000 habitants à être administrée par un édile d’extrême-droite.
Un rebond du FN s’observe lors des législatives anticipées de 1997 où il atteint les 14,9 % des suffrages exprimés et parvient dans de nombreuses circonscriptions à maintenir ses candidats au deuxième tour. Le maire de Toulon, Jean-Marie Le Chevallier est élu député du Var. Jean-Marie Le Pen est reconduit au Conseil régional lors des élections de mars 1998. Le FN ayant obtenu dans cette assemblée le même nombre d’élus que la droite républicaine, cette situation favorise l’élection à la présidence du conseil du socialiste Michel Vauzelle. Cette bonne séquence pour le Front national est interrompue en deux temps. D’abord par la décision du tribunal correctionnel de Versailles, début avril 1998, de rendre Jean-Marie Le Pen inéligible pour deux ans pour avoir molesté la maire socialiste de Mantes-la-Ville, Annette Peulvast-Bergeal, lors de la campagne des législatives de 1997 (la même affaire lui vaudra en avril 2000 d’être démis de son mandat de député européen). Ensuite et surtout par la scission mégrétiste de la fin 1998. Ancien polytechnicien, délégué général du parti depuis 1988 (ayant remplacé Jean-Pierre Stirbois après la mort accidentelle de ce dernier en novembre), l’organisateur qu’est Bruno Megret a été l’artisan sur le terrain de l’implantation progressive du FN, laissant à Jean-Marie Le Pen, meilleur orateur, les plateaux de la télévision et les tribunes des meetings. Apprécié au sein du Front national où il a su patiemment placer ses fidèles à la tête des fédérations, Bruno Mégret est partisan d’une stratégie passant par des alliances électorales avec la droite républicaine dont il est issu (notamment lors des régionales de 1998) suivant le modèle des postfascistes italiens de l’Alliance nationale qui avaient conclu un accord avec Forza Italia de Silvio Berlusconi en 1994. Bientôt des divergences idéologiques éclatent entre les deux hommes, le numéro 2 (député européen et conseiller régional FN en PACA, époux de la maire FN de Vitrolles Catherine Mégret) est plus libéral en économie et plus atlantiste en politique étrangère. Fin 1998, le divorce est consommé lorsque le président du FN nomme sa femme, Jany, tête de liste pour les européennes de 1999. Bruno Mégret, qui a l’appui d’une majorité de cadres et d’élus, pense emporter le parti mais Jean-Marie Le Pen, qui garde le soutien de la plupart des adhérents et bénéficie d’une forte exposition médiatique, finit par vaincre cette contestation. Bruno Mégret lance au printemps 1999 son propre parti, le Mouvement national républicain (MNR), lequel ne parviendra jamais à s’affirmer politiquement. Cette crise interne provoque momentanément l’effondrement électoral du FN qui ne rassemble que 5,7 % des suffrages exprimés lors des européennes de juin 1999. Une dynamique baissière confirmée lors des municipales de mars 2001 où les villes frontistes de Toulon et de Vitrolles reviennent, la première dans le giron de la droite, la seconde dans celui de la gauche.
Alors que beaucoup d’observateurs jugent Jean-Marie Le Pen hors course politiquement, l’élection présidentielle de 2002 constitue une « divine surprise » pour les militants frontistes. Le leader nationaliste, que la plupart des sondages situaient autour de 12 %, se qualifie le 21 avril 2002 au soir pour le second tour de l'élection présidentielle avec 16,86 % des suffrages exprimés (et 233 875 voix de plus seulement qu'en 1995). Le contexte politique d’ensemble a été favorable au leader du FN. La campagne a été scandée d'événements dramatiques (attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington, tuerie au conseil municipal de Nanterre le 27 mars 2002) qui ont installé un climat faisant écho au discours anxiogène du tribun d’extrême-droite. La multiplicité des candidatures à gauche, un taux d'abstention très élevé pour un scrutin présidentiel (28 %), les difficultés de campagne du candidat socialiste et premier ministre sortant (Lionel Jospin n’obtient que 16,18 % des suffrages exprimés), comme l’habileté communicationnelle de Jean-Marie Le Pen qui proclame le 16 avril « socialement je suis de gauche, économiquement de droite, nationalement je suis de France », expliquent aussi ce résultat qui stupéfie les médias et l’opinion, y compris hors de France. Après un entre-deux-tours marqué par une grande mobilisation contre l'extrême-droite au travers de manifestations (500 000 personnes défilent le 1er mai contre Jean-Marie Le Pen) et de pétitions, les Français reconduisent massivement Jacques Chirac à la présidence de la République avec 82,21 % des voix. Jean-Marie Le Pen, visiblement surpris par ce résultat inattendu du premier tour qui le sort d’une posture habituelle de candidat protestataire, a manqué sa campagne de deuxième tour (privé notamment du traditionnel débat télévisé en raison du refus de Jacques Chirac de l’affronter devant les caméras). Avec 17,79 %, soit 5 525 032 suffrages, il réalise toutefois le meilleur score de son parti depuis son émergence électorale au milieu des années 1980, avec des pointes dans les départements de l’Est. La campagne a mis au jour ce que certains observateurs appellent une « lepénisation des esprits », selon l’expression de Robert Badinter. Les thématiques du candidat sur les questions de l'immigration et de la sécurité (expulsion des immigrés en situation irrégulière, fin du regroupement familial, suppression de l’acquisition automatique de la nationalité française, application du principe de « tolérance zéro ») trouvent un écho, croissant, dans l’opinion.
Les années suivantes sont politiquement décevantes pour Jean-Marie Le Pen. Lors des législatives de juin 2002, le FN ne confirme pas son bon résultat de la présidentielle. Sans doute victime de la forte mobilisation suscitée contre lui en mai, il stagne à 11,1 % des voix, à quatre points de son score de 1997. En mars 2004, le chef du Front national ne peut se présenter aux élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur faute d’une domiciliation ou d’attache fiscale dans la région. Lors des européennes de juin 2004, la liste FN qu’il conduit dans la région Sud-Est se contente d’un modeste 12,2 % des suffrages exprimés, un score suffisant toutefois pour lui permettre de retrouver le Parlement européen. Lors de la campagne présidentielle du printemps 2007, Jean-Marie Le Pen tente de constituer, avec son projet « d’union patriotique », un pôle nationaliste et souverainiste mais seul Bruno Mégret accepte. Philippe de Villiers refuse d’associer le Mouvement pour la France (MPF) à cette initiative. Face à un Nicolas Sarkozy dont le discours ferme sur la sécurité et l’immigration mord sur l’électorat frontiste, le leader du FN peine à trouver ses marques. Il perd aussi beaucoup d’énergie à rassembler les 500 parrainages d’élus nécessaires pour valider sa candidature. Le soir du premier tour, il recueille 10,4 % des suffrages exprimés, très en dessous de ses résultats antérieurs lors de ce type de scrutin. Il pousse ses partisans à l’abstention, refusant de choisir entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Si lors du congrès du FN en novembre 2007, Jean-Marie Le Pen est facilement reconduit à la tête du parti pour trois ans, l’unanimité de façade cache mal des contestations internes. Celles-ci s’accentuent à l’occasion des élections européennes de juin 2009, où la liste conduite par le chef du FN ne dépasse pas les 8,5 % des voix. Reconduit au Parlement européen, Jean-Marie Le Pen aurait pu, comme doyen d’âge, présider la séance inaugurale de l’assemblée européenne mais les députés européens modifient le règlement de manière à éviter cette situation.
En mars 2010, les élections régionales sont l’occasion pour Jean-Marie Le Pen de renouer avec ses bons résultats électoraux. Tête de la liste FN dans les Alpes-Maritimes, il réalise le meilleur score de son parti avec 22,9 % au second tour. Entouré des 20 autres élus du Front national, il retrouve le conseil régional où, doyen d’âge, il préside la séance inaugurale qui voit le socialiste Michel Vauzelle reconduit à la présidence. Âgé de 82 ans au printemps 2010, Jean-Marie Le Pen, entré en politique depuis le début des années 1950, décide de laisser la direction de son parti à sa fille, Marine. En avril 2010, il annonce son intention de ne pas se représenter à la présidence du FN lors du prochain congrès du parti et de ne pas mener la prochaine campagne présidentielle de 2012. Comme attendu, Marine Le Pen est élue présidente du Front national en janvier 2011 face à Bruno Gollnisch, fidèle compagnon de Jean-Marie Le Pen depuis les années 1970 et qui avait tenu le parti lors de la scission mégrétiste. Tous les observateurs politiques soulignent le tournant générationnel que représente cette alternance, laissant entendre aussi que celle-ci pourrait s’accompagner d’un changement dans la communication et la stratégie du parti d’extrême-droite. Marine Le Pen souhaite en effet normaliser la formation, ce qui suppose de prendre politiquement ses distances avec un père plusieurs fois mis en cause ou condamné pour apologie de crime de guerre, contestation de crime contre l’humanité, incitation à la haine raciale, antisémitisme, diffamation et injures publiques. Si Jean-Marie Le Pen a laissé la présidence du FN à sa fille, il reste toutefois présent dans la vie politique du mouvement. Nommé président d’honneur du FN, il intervient dans les meetings et prend une part active à la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2012 durant laquelle s’expriment les premiers désaccords entre le père et sa fille. En mai 2014, l’ancien chef du Front national dirige la liste du parti dans le Sud-Est lors des élections européennes. Avec 28,2 % des suffrages exprimés, il arrive en tête dans cette région. Reconduit au Parlement européen, il s’y montre toutefois peu présent.
A partir du printemps 2015, les tensions s’accentuent entre Jean-Marie Le Pen et sa fille. Cette dernière n’accepte pas que son père, en avril 2015, réaffirme que les chambres à gaz constituent un « détail de l’histoire » de la Seconde Guerre mondiale puis se refuse à considérer le maréchal Pétain comme un traître. La nouvelle présidente du Front national entame une procédure disciplinaire contre son père qui aboutit à ce que le bureau exécutif du FN suspende, en mai 2015, l’adhésion de Jean-Marie Le Pen au parti d’extrême-droite. L’intéressé voit dans ces démarches d’exclusion l’influence de Florian Philippot avec lequel il est en profond désaccord idéologique. Il ne siège plus dans le même groupe parlementaire que sa fille à Bruxelles et attaque en justice la décision du bureau exécutif à l’été 2015. En août 2015, Jean-Marie Le Pen est exclu du bureau exécutif du FN. Les observateurs notent toutefois que cette décision a suscité des réserves auprès d’une vieille garde frontiste composée de responsables comme Bruno Gollnisch, Louis Aliot et Marie-Christine Arnautu, sans parler du malaise ressenti par l’étoile montante du parti, Marion Maréchal (fille de Yann Le Pen, la sœur de Marine), écartelée entre son grand-père et sa tante. Jean-Marie Le Pen réplique sur un double terrain, d’abord militant avec la création en mars 2016 des Comités Jeanne, qui entendent concurrencer le FN en présentant notamment des candidats lors des législatives de 2017, ensuite judiciaire en obtenant du Tribunal de grande instance de Nanterre qu’il soit maintenu comme président d’honneur du Front national. Au printemps 2018, Jean-Marie Le Pen, qui siège au Parlement européen dans le groupe de l’Alliance pour la paix et la liberté, publie aux éditions Muller, le premier tome de ses mémoires, Fils de la Nation (couvrant la période allant de sa naissance à la fondation du FN en 1972), qui connaît un succès considérable.
Progressivement en retrait et affecté par des problèmes de santé, Jean-Marie Le Pen s’éteint le 7 janvier 2025 à Garches, dans un établissement médicalisé. Ses obsèques ont lieu dans l’intimité, le 11 janvier, à l’église de La Trinité-sur-Mer, son village natal où il est inhumé. Il était titulaire de plusieurs décorations militaires.
Le parcours politique de Jean-Marie Le Pen a souvent été résumé à l’histoire du Front national et, au-delà, à celle d’une extrême-droite française, moribonde après la courte résurgence poujadiste des années 1950 et que le chef du FN a relancée au milieu des années 1980 puis incarnée jusqu’à la fin des années 2000. Ce même parcours a aussi parfois été réduit à des campagnes présidentielles retentissantes (à commencer par celle de 2002 qui le propulse au second tour pour la première fois) et à une stratégie de provocation médiatique donnant lieu à scandales. Pour autant, la carrière de Jean-Marie Le Pen est également celle d’un homme politique ayant exercé des fonctions électives à de nombreux échelons, député européen (pendant 14 ans, de 1984 à 2003, puis de 2004 à 2019), député à l’Assemblée nationale (pendant 8 ans au total, de 1956 à 1962 puis de 1986 à 1988), conseiller régional (pendant 13 ans, en Ile-de-France de 1986 à 1992, puis en PACA de 1992 à 2000 et de 2010 à 2015) et conseiller municipal (pendant 6 ans dans le 20e arrondissement de Paris de 1983 à 1989). Dans ces divers hémicycles, Jean-Marie Le Pen a déployé un talent oratoire affirmé, reconnu même par ceux qui ne partageaient pas ses convictions.