Jean-Marie Le Pen
1928 -
Né le 20 juin 1928 à la Trinité-sur-Mer (Morbihan)
Député de la Seine de 1956 à 1958
Jean Le Pen est né le 20 juin 1928 à la Trinité-sur-Mer, dans le Morbihan. A douze ans, il est reconnu pupille de la Nation à la suite du décès de son père, dont le bateau de pêche explose sur une mine allemande au sortir de la rade du port de la Trinité.
Son cursus scolaire et universitaire est heurté : esprit frondeur et turbulent, il fréquente deux lycées, à Vannes et à Lorient, avant de gagner les bancs de la faculté de droit de Paris. Bien plus qu'aux études juridiques, toutefois, Jean Le Pen se consacre alors à sa vie nocturne, faite de rencontres, de chahuts et de chansons, et à l'agitation politique : vendeur à la criée d'Aspects de la France au Quartier Latin, il crée en outre un journal, La Basoche, dont il assure la direction éditoriale et qu'il administre avec plus de passion que de rigueur. En quelques mois, Jean Le Pen devient une figure de la jeunesse étudiante parisienne : le verbe haut, il se forge une réputation de meneur, de chef de bande plutôt que de militant. Elu, en 1950, président de la corporation des étudiants en droit de Paris, il est délégué l'année suivante pour représenter la « Corpo » au congrès de l'UNEF, à Aix-les-Bains où il se fait remarquer par une intervention violente contre l'institution du « pré-salaire » étudiant.
La guerre d'Indochine marque un tournant dans l'engagement politique de Jean Le Pen. Farouchement opposé à l'abandon par la France de son Empire, il demande en novembre 1953 à s'engager dans les rangs de la Légion. A la sortie de l'école d'infanterie de Saint-Maixent, il part pour l'Indochine, où il sert comme sous-lieutenant au 1er bataillon étranger de parachutistes. De cette expérience au sein du corps expéditionnaire, il retire surtout, outre un sentiment d'humiliation lié à la défaite, un goût prononcé pour la société militaire, ses rites et ses valeurs.
De retour en France, Jean Le Pen fait en septembre 1955 la rencontre de Pierre Poujade ; séduit par l'énergie et la faconde de son jeune interlocuteur, celui-ci en fait aussitôt l'un de ses principaux lieutenants. Le mouvement poujadiste, alors en pleine expansion, souffre d'une organisation médiocre, et d'un recrutement trop polarisé sur les milieux commerçants et artisanaux ; Jean Le Pen se voit donc confier la mission d'oeuvrer à une réforme de ses structures, et de l'ouvrir à la jeunesse étudiante.
Pierre Poujade le place en outre à la tête de la liste d'Union et de Fraternité Française aux élections législatives du 2 janvier 1956 dans le 1er secteur de la Seine. Dans cette circonscription, qui couvre les Ve, VIe, VIIe, XIIIe et XIVe arrondissements de Paris, et qui compte des candidats aussi aguerris que Roger Garaudy, Vincent de Moro-Giafferi, Pierre Clostermann ou Edouard Frédéric-Dupont, Jean Le Pen, qui se présente encore comme « étudiant », fait figure d'inconnu, dont la réputation s'arrête aux marches du Quartier Latin. La vague poujadiste le porte pourtant jusqu'à l'Assemblée nationale : avec 37 748 voix sur 470 266 suffrages exprimés, et grâce au système de la répartition des restes à la plus forte moyenne, Jean Le Pen est à vingt-sept ans le plus jeune élu de la législature.
Nommé membre de la Commission des affaires étrangères, Jean Le Pen choisit à l'ouverture de la session parlementaire de modifier son prénom, qui était aussi celui de son père, et d'y accoler l'un de ses seconds prénoms : c'est donc sous le nom de Jean-Marie Le Pen qu'il prend pour la première fois la parole, le 25 janvier, après le discours d'ouverture du président Le Troquer. Son intervention est observée avec beaucoup de curiosité par les autres députés : le nouveau député de la Seine est non seulement le plus jeune parlementaire de la législature, mais aussi le premier élu poujadiste à prendre la parole dans l'hémicycle. Dans son discours, Jean-Marie Le Pen dénonce le refus des autres partis d'admettre la présence d'un député de l'Union des commerçants et des artisans (UDCA) au sein du Bureau de l'Assemblée ; c'est là une violation de l'usage de la répartition à la proportionnelle, plaide-t-il. L'examen de passage est réussi : le socialiste Edouard Depreux, qui lui succède à la tribune, le félicite non sans quelque ironie pour son « érudition étonnante sur la jurisprudence parlementaire » ; Jean-Marie Le Pen est très vite considéré comme l'une des révélations politiques de la législature, au point d'être surnommé par Paris Match « le Minou Drouet de la politique ».
Jean-Marie Le Pen ne ressemble guère, pourtant, à la jeune poétesse ; à qui pouvait encore en douter, il en administre la preuve dès le mois suivant, au cours des débats qui précèdent l'invalidation par l'Assemblée de l'élection de la dizaine de députés poujadistes pour cause de violation de la loi sur les apparentements. Jean-Marie Le Pen dénonce avec virulence ce qu'il considère comme une manipulation politique. Aux députés communistes qui l'invectivent, il lance, martial : « avec les députés poujadistes sont entrés à l'Assemblée les 80 000 cadavres de la guerre d'Indochine. Vos alliés ne m'ont pas fait taire avec leurs mitraillettes ». Quelques jours plus tard, l'affrontement tourne au pugilat : le vote d'invalidation du député des Bouches-du-Rhône Marius Baryelon, par appel nominal, doit être interrompu, les députés poujadistes Jean Damasio et Jean-Marie Le Pen s'étant précipités à la tribune en vue de s'y emparer de l'urne ; plusieurs parlementaires de gauche, parmi lesquels Charles Hemu, interviennent aussitôt, et une bagarre générale éclate au sein même de l'hémicycle.
La plupart du temps discret sur les questions économiques et sociales, Jean-Marie Le Pen est en revanche en pointe sur la question algérienne, au point de faire figure de porte-parole des « faucons ». Invité le 9 mars 1956 à exposer à la tribune de l'Assemblée la position de son groupe sur le projet de loi déposé par le gouvernement de Guy Mollet sur les pouvoirs spéciaux en Algérie, le député de la Seine écarte toute perspective de réforme institutionnelle outre-mer, et dénonce le laxisme des pouvoirs publics : « ce que nous attendions du gouvernement, c'est qu'il fasse exécuter les assassins condamnés qui sont dans les prisons algériennes et qui attendent encore le châtiment suprême. Il ne l'a pas fait. Ce que nous attendions, c'est qu'il verrouille efficacement les frontières maritimes et terrestres de l'Algérie. Il ne l'a pas fait ! Ce que nous attendions, c'est qu'il fasse passer l'armée à l'offensive autrement qu'en envoyant les soldats sur les routes sans armes ou avec trois cartouches dans leur cartouchière. Il ne l'a pas fait ! Nous attendions, en outre, de lui qu'il contrôle la presse, ses informations, ses campagnes diffamatoires au moral de l'armée et de la nation. Il ne l'a pas fait ! Nous attendions de plus qu'il mette le Parti communiste hors d'état de nuire. Il ne l'a pas fait ! Et pour cause : le Parti communiste fait partie de sa majorité ! ».
A la différence de la plupart de ses collègues poujadistes, Jean-Marie Le Pen considère toutefois que l'hostilité à l'indépendance de l'Algérie doit s'accompagner d'une prise en compte de certaines des revendications des populations musulmanes, et notamment de celles relatives aux droits politiques ; il se déclare ainsi, le 28 juillet, partisan de l'intégration des musulmans au sein de la communauté politique nationale.
La session parlementaire s'achève le 4 août. Jean-Marie Le Pen et son jeune collègue du Finistère, Maurice Demarquet, décident alors de se mettre en congé du Parlement, et contractent un engagement volontaire de six mois pour servir en Algérie, ceci afin, disent-ils, de mettre leurs actes en conformité avec leurs paroles. Affecté au 1er régiment étranger de parachutistes, Le Pen prend part à la campagne de Suez, puis, à la « bataille d'Alger ». Son départ pour l'autre rive de la Méditerranée vient à point nommé pour relâcher la tension qui monte entre le député de la Seine et le reste du groupe poujadiste, qui lui reproche son ambition dévorante et son goût pour la provocation gratuite. Les analyses de Le Pen et de Poujade divergent aussi sur un plan plus politique, le premier se montrant soucieux de structurer le mouvement poujadiste en un véritable parti, positionné à l'extrême droite mais clairement intégré au jeu politique du régime, tandis que le second est plutôt adepte d'une approche « anti-système » qui mise d'abord sur sa décomposition. La question algérienne fournit l'occasion d'un divorce définitif : alors que Pierre Poujade ordonne à ses députés de voter contre l'intervention militaire française à Suez, Jean-Marie Le Pen fait connaître la réprobation que lui inspire une telle orientation ; il sera définitivement exclu du mouvement en mai 1957.
Après neuf mois d'absence, Jean-Marie Le Pen fait à la fin du printemps 1957 sa rentrée à l'Assemblée nationale. Désormais non-inscrit, son temps de parole est plus limité. Il continue pourtant à animer les débats et, inlassablement, à vilipender le gouvernement pour le laxisme de sa politique algérienne, comme en témoignent les deux textes qu'il dépose alors : le premier, le 21 mai 1957, est une proposition de résolution tendant à inviter le gouvernement à « célébrer avec une solennité toute particulière la Fête nationale, en décrétant le 14 juillet 1957 Journée nationale de l'Algérie française » ; le second est une proposition de loi, déposée le 20 juin 1957, tendant « à la répression du terrorisme ».
Hors de l'Assemblée, Jean-Marie Le Pen s'affaire à la création de son propre appareil politique, le Front National des Combattants, au sein duquel il espère rassembler déçus du poujadisme et partisans de l'Algérie française ; ceux-ci, toutefois, se montrent souvent déroutés par les thèses « intégrationnistes » que développe le député de la Seine au fil des étapes d'une tournée des plages estivale, d'autant que cette ouverture ne se traduit pas par un gain de popularité tangible.
De retour à l'Assemblée après ce périple émaillé d'incidents, Jean-Marie Le Pen radicalise encore son discours sur l'Algérie. Le 11 février 1958, il s'en prend de façon particulièrement virulente à Pierre Mendès France, qu'il érige en symbole de la politique de renoncement à l'Empire : « vous savez bien, monsieur Mendès France, quel est votre réel pouvoir sur le pays. Vous n'ignorez pas que vous cristallisez sur votre personnage un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques ». L'apostrophe est blessante, et son ton rappelle dans ses insinuations celui de la presse de l'Occupation.
Pourfendeur des institutions de la IVe République, Jean-Marie Le Pen observe avec beaucoup d'espoir, à la fin du printemps 1958, les prémisses de leur crise finale. Il cherche par tous les moyens à peser sur le cours des événements : le 13 mai, il est à la tête d'une manifestation d'ultras, qui se disperse dans la confusion aux alentours de la place de la Concorde ; il cherche ensuite à gagner l'Algérie, y parvient enfin au terme d'un laborieux périple, mais ne peut y passer que quelques heures car il est fermement invité à rejoindre Paris.
A l'instar d'un grand nombre de partisans de l'Algérie française, Jean-Marie Le Pen ne désapprouve pas l'appel au général de Gaulle lancé à la fin du mois de mai par le président René Coty : il croit alors que le nouveau président du Conseil, porté au pouvoir à l'issue d'une crise initiée depuis Alger par les adversaires de l'indépendance algérienne, n'aura d'autre choix que de suivre la ligne dictée par ces derniers. S'il ne prend part ni au vote d'investiture du général de Gaulle (1er juin), ni à ceux des projets de loi relatifs aux pleins pouvoirs et à la révision constitutionnelle (2 juin), il appelle à voter « oui » au référendum constitutionnel de septembre 1958, et c'est sur une ligne de soutien critique au général de Gaulle qu'il fait campagne, avec succès, aux élections législatives du 30 novembre 1958 dans la 3e circonscription de la Seine (5e arrondissement de Paris). Jean-Marie Le Pen s'éloigne toutefois très vite du président de la République, au point de devenir, à l'Assemblée, l'un des plus acharnés détracteurs de sa politique algérienne ; cette radicalisation n'est pas étrangère à sa défaite face à René Capitant lors des élections législatives de novembre 1962.
Jean-Marie Le Pen est l'une des chevilles ouvrières de la campagne présidentielle de Jean-Louis Tixier-Vignancour en 1965 ; les deux hommes se séparent toutefois dès janvier 1966, lorsque Jean-Marie Le Pen réalise que Jean-Louis Tixier-Vignancour n'est pas plus que Pierre Poujade en mesure de fonder le grand parti de la « droite nationale » qu'il appelle de ses vœux. C'est la conviction qu'il est en fait le seul à même de réaliser ce projet qui le conduit à fonder en 1972 le Front National, puis à présenter deux ans plus tard sa candidature aux élections présidentielles. Les premier succès électoraux du Front National, en 1983, impriment un nouveau tournant à la carrière politique de Jean-Marie Le Pen. Son idéal politique s'exprime alors dans l'ouvrage qu'il fait paraître en 1984 et dont le titre Français d'abord est tout un programme. De nouveau député à l'Assemblée nationale (1986-1988), parlementaire européen (1984-2000), candidat à trois autres reprises aux élections présidentielles (1988, 1995 et 2002 où il devance Lionel Jospin), il devient l'un des principaux acteurs du débat politique français.