André Le Troquer
1884 - 1963
* : Un décret de juillet 1939 a prorogé jusqu'au 31 mai 1942 le mandat des députés élus en mai 1936
Né le 27 octobre 1884 à Paris (17e).
Député de la Seine de 1936 à 1942.
C'est à Paris que se déroulera toute la carrière de Le Troquer. Après des études secondaires comme boursier au lycée Chaptal, il obtient son doctorat en droit et s'inscrit au barreau de Paris. Dès 1902, il entre au parti socialiste. Bientôt, il collaborera à l'Humanité de Jaurès. Petit, râblé, débordant d'activité, la parole brève et coupante, le jeune Le Troquer se signale à la fois par son ambition et par son courage.
Mobilisé en 1914 comme fantassin de 2e classe, il termine la guerre comme lieutenant de chasseurs à pied, décoré de la Légion d'honneur et de la Croix de guerre, après avoir été blessé deux fois, l'une de ces blessures lui ayant fait perdre le bras droit. Il restera fier de son passé militaire et se référera souvent aux traditions des « Chasseurs ».
Démobilisé en 1919, il reprend sa collaboration à l'Humanité, où il tient la rubrique municipale. En novembre de la même année, il est élu conseiller municipal du quartier des Quinze-vingt (XIIe arrondissement), qu'il représentera dès lors à l'Hôtel de Ville sans interruption jusqu'en 1940.
En 1920, un problème d'une extrême importance se pose à son parti: l'attitude à l'égard des Soviets, Le congrès de Strasbourg de la S.F.I.O. a envoyé Frossard et Marcel Cachin en mission d'information à Moscou. Ils en reviendront porteurs des fameuses vingt et une conditions exigées du parti socialiste français pour être admis à la IIIe Internationale de Mosçou. André Le Troquer a raconté lui-même sa rencontre avec les deux délégués dans l'éloge funèbre qu'il fit de Marcel Cachin.
« Le parti m'avait confié la tâche d'assurer l'intérim du secrétariat général pendant l'absence de Frossard et, le 11 août 1920, j'étais à la gare du Nord pour accueillir les deux voyageurs à leur retour de Russie. Je trouvai Frossard encore un peu réticent mais Marcel Cachin était enthousiaste, résolument décidé... Dès les premiers propos de Marcel Cachin j'avais été frappé par l'extension inattendue, et qui me paraissait grosse de menaces, qu'il donnait à la formule de Karl, Marx : « la force est la grande accoucheuse de l'Histoire». Je lui opposai une autre phrase célèbre qui me venait à l'esprit, que je crois vraie, qui était celle d'un des chefs de notre Révolution française, c'est « qu'on ne porte pas la liberté aux autres peuples à la pointe des baïonnettes ».
Au congrès de Tours de décembre 1920, il est chargé de lire le télégramme de Zinoviev, secrétaire de la IIIe Internationale, ordonnant « l'exclusion a priori de tout un groupe de militants éprouvés ». Il se range résolument du côté de ceux qui choisissent de garder la « vieille maison » socialiste.
Candidat aux élections législatives de ' 1928, il ne fut pas élu. En 1932, il est battu au second tour par le député sortant, républicain de gauche, les communistes ayant maintenu leur candidat. Il prend sa revanche aux élections de 1936. Arrivé en tête au premier tour, il bénéficie du désistement communiste et l'emporte par 7.518 voix contre 4.820 à Potier, républicain indépendant. Quoique nouvel élu, il joue un rôle politique important au moment de la formation du gouvernement de Front populaire. A la Chambre des députés, il est membre des commissions de l'aéronautique et de la législation civile et criminelle, Lors des journées de juin 1940, il se prononce contre la demande de pourparlers d'armistice. Le 18 juin à Bordeaux, devant une centaine de parlementaires, il s'élève avec véhémence contre la capitulation et réclame la destitution du maréchal Pétain et du général Weygand. Le surlendemain, il s'embarque sur le « Massilia » avec ceux de ses collègues qui pensaient alors pouvoir continuer la lutte à partir de l'Afrique du Nord. Empêché de rentrer pour la séance du 10 juillet qui vota les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, il protesta avec plusieurs de ses collègues par un télégramme adressé d'Alger le 9 juillet contre les obstacles apportés à l'exercice de son mandat.
Né le 27 octobre 1884 à Paris (17ème)
Décédé le 11 novembre 1963 à Andilly (Seine-et-Oise)
Député de la Seine de 1936 à 1942
Membre de la première et de la seconde Assemblée nationale constituante (Seine)
Député de la Seine de 1946 à 1958
Ministre de l'intérieur du 27 janvier au 11 juin 1946
Ministre de la défense du 18 décembre 1946 au 16 janvier 1947
(Voir première partie de la biographie dans le Dictionnaire des parlementaires français 1889-1940, Tome VI, p. 2264-2265)
Après l'affaire du Massilia, André Le Troquer rentre en France, où il est immédiatement privé de ses mandats électoraux. Le jugement qu'il porte alors sur le régime de Vichy est d'une extrême sévérité ; «jamais on ne vit autant de trahisons que pendant cette guerre ; trahison des chefs militaires qui ne veulent plus se battre, trahison des communistes que l'accord russo-allemand a désorientés, trahison des républicains qui sont entrés dans le Cabinet Pétain pour détruire la République », écrira-t-il plus tard. Il est, aux côtés de maître Spanien, l'avocat de Léon Blum au procès qui s'ouvre à Riom le 12 février 1942 ; ses vives protestations ne sont pas pour rien dans le renvoi sine die du procès, décidé le 14 mars. Au cours de sa plaidoirie, André Le Troquer fait preuve d'un courage remarquable, n'hésitant pas à invoquer, au vu et au su de l'occupant, l'article 35 de la déclaration montagnarde du 24 juin 1793 : « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».
Au lendemain du procès, André Le Troquer entreprend de reconstruire, dans la clandestinité, l'appareil de la SFIO ; il préside son comité directeur, et la représente un temps au Conseil National de la Résistance. Traqué par la Gestapo, qui perquisitionne chez lui à plusieurs reprises, il vit caché plus d'un an, avant de rejoindre Londres puis Alger. En novembre 1943, le général de Gaulle, avec lequel il entretient des relations de confiance, le nomme commissaire à l'information, puis commissaire à la guerre et à l'air du Gouvernement provisoire de la République Française ; c'est à ce dernier titre qu'il entreprend la réorganisation de l'armée française en Afrique du Nord. André Le Troquer siège par ailleurs à l'Assemblée consultative provisoire, participant aux travaux de la Commission du règlement, de la Commission de la défense nationale, de la Commission de la réforme de l'Etat et de la législation et de la Commission de la justice et de l'épuration. Il dépose deux propositions de résolution : la première, déposée le 27 février 1945, vise à établir le scrutin proportionnel aux élections municipales et cantonales d'avril et de mai 1945, et la seconde, déposée le 30 mars 1945, à modifier le régime électoral de Paris et de la Seine.
Au lendemain du débarquement en Provence, André Le Troquer est nommé par le général de Gaulle au poste clé de commissaire délégué à l'administration des territoires métropolitains libérés. Le 25 août 1944, il fait son entrée à Paris avec la division Leclerc, et descend les Champs-Elysées aux côtés du chef du GPRF. Le 6 septembre, celui-ci le nomme ministre des territoires libérés.
André Le Troquer entreprend alors de recouvrer les mandats électoraux dont le régime de Vichy l'avait dépouillé. En mai 1945, il est réélu au Conseil municipal de Paris, et en assume pendant un an la présidence. Il se présente en outre à la tête de la liste de la SFIO dans la troisième circonscription de la Seine aux élections du 21 octobre 1945 pour la première Assemblée Constituante. La liste obtient un résultat très encourageant, avec 111 153 voix sur 472773 suffrages exprimés, et trois des dix sièges à pourvoir ; André Le Troquer emporte donc dans son sillage Robert Salmon et Henri Barré. Les autres élus sont les communistes Florimond Bonte, Georges Cogniot, Auguste Touchard et Denise Reydet, et les MRP Marc Sangnier, Paul Verneyras et Francine Lefebvre. Elu président du groupe parlementaire socialiste, André Le Troquer siège à la Commission de la défense nationale, mais il consacre la plus grande partie de son temps à ses responsabilités ministérielles. Félix Gouin, successeur du général de Gaulle à la tête du GPRF, l'appelle en effet à la fin du mois de janvier 1946 pour prendre le portefeuille de l'intérieur ; à ce titre, il lui revient notamment d'organiser le référendum sur le premier projet de Constitution. Soumis le 5 mai à la ratification populaire, le texte est rejeté, ce qui provoque la convocation d'une seconde Assemblée Constituante.
Ces élections se tiennent le 2 juin. La liste SFIO, toujours emmenée dans la troisième circonscription de la Seine par André Le Troquer, perd près de 20 % par rapport au précédent scrutin, ne recueillant plus que 91 254 voix sur 468 178 suffrages exprimés. Sur trois de ses députés sortants, seuls deux sont réélus ; cet effritement profite au candidat de l'UDSR, Pierre Bourdan. André Le Troquer est nommé membre de la Commission de l'intérieur, de l'Algérie et de l'administration générale, départementale et communale. Il dépose deux textes, dont l'un, le 11 juillet 1946, est une proposition de loi ayant pour objet d'établir une « enquête sur les événement survenus en France de 1933 à 1945 ». Il intervient à plusieurs reprises à la tribune de l'Assemblée, notamment au cours de l'élaboration du texte constitutionnel.
Celui-ci est approuvé par l'Assemblée le 28 septembre et ratifié par référendum le 13 octobre. André Le Troquer, qui l'a soutenu, présente de nouveau sa candidature aux élections législatives du 10 novembre. Ce sont cette fois onze sièges qui sont à pourvoir dans la troisième circonscription de la Seine. L'érosion des positions socialistes s'accélère : victime de la multiplication des listes, la SFIO recueille 57 400 voix sur 462 781 suffrages exprimés, et n'obtient plus qu'un élu ; dans le même temps, le MRP et le PCF regagnent chacun un siège.
André Le Troquer est nommé membre de la Commission de l'intérieur, et de la Commission de la défense nationale. Ecarté du cabinet Bidault investi en juin 1946, il retrouve un portefeuille ministériel quelques semaines plus tard, lorsque Léon Blum lui demande de prendre la tête du ministère de la défense nationale ; l'expérience ne dure toutefois qu'un peu plus d'un mois, entre décembre 1946 et janvier 1947. Quittant la rue Saint-Dominique, André Le Troquer reste mêlé à la définition de la politique militaire du régime, puisqu'il prend la présidence de la Commission de la défense de l'Assemblée nationale. Au fil de la législature, il devient l'un des parlementaires les plus influents de la IVe République ; son expérience et son entregent lui valent d'être porté par ses pairs à la vice-présidence de l'Assemblée en janvier 1948.
Aux élections du 17 juin 1951, la liste SFIO conduite par André Le Troquer n'obtient qu'un peu plus de 10 % des suffrages, avec 46 015 voix sur 417 527 suffrages exprimés. Le scrutin est marqué par le score impressionnant- plus de 27 % - réalisé par la liste RPF de Christian Fouchet, qui obtient trois élus. Nommé membre de la Commission de la défense nationale, André Le Troquer est reconduit dès les premiers jours de la législature à la vice-présidence de l'Assemblée. A ce titre, il supplée souvent le président Edouard Herriot, malade, notamment lors de la très longue réunion du Congrès à Versailles, en décembre 1953, qui aboutit à l'élection de René Coty à la Présidence de la République. Lorsque Edouard Herriot se retire, aux premiers jours de l'année 1954, il accède enfin au « perchoir », battant le candidat du MRP Pierre Pflimlin grâce à l'appoint des voix communistes. André Le Troquer manifeste très vite son désir de donner plus d'éclat aux institutions parlementaires : sa première décision, symbolique, est d'imposer à nouveau le port de l'habit pour les présidents de séance à l'Assemblée nationale. Dans son premier discours au « perchoir », il plaide aussi, à rebours de l'opinion dominante, pour une revalorisation de l'indemnité parlementaire - « pour exiger beaucoup de l'élu, il faut aussi lui assurer tous les moyens d'exercer son mandat de représentant du peuple », argumente-t-il - et prône une réforme des méthodes de travail parlementaire, axée sur la lutte contre l'absentéisme et un ralentissement du rythme des séances de nuit. André Le Troquer doit toutefois abandonner la présidence de l'Assemblée en janvier 1955, battu lors d'une élection triangulaire par le candidat MRP Pierre Schneiter, qui bénéficie cette fois du maintien jusqu'au troisième tour du candidat communiste.
Aux élections législatives du 2 janvier 1956, la liste conduite par André Le Troquer obtient 50 690 voix sur 496 495 suffrages exprimés ; la SFIO pâtit une nouvelle fois de la dispersion des listes, qui sont dix-neuf à se présenter au suffrage. André Le Troquer retrouve la présidence de l'Assemblée, qu'il occupe jusqu'aux dernières heures de la IVe République. Hostile à toute dérive bonapartiste, André Le Troquer observe avec inquiétude la crise dans laquelle s'enfonce le régime au printemps 1958. A l'initiative du président de la République René Coty, il rencontre, dans la nuit du 28 au 29 mai, le général de Gaulle à Saint-Cloud, en compagnie du président du Conseil de la République Gaston Monnerville. Les trois hommes constatent l'ampleur de leurs divergences ; néanmoins l'ancien chef du GPRF accepte, comme le lui demandent avec insistance les présidents des deux Assemblées, de se soumettre à la procédure constitutionnelle, en laquelle il avait pourtant dénoncé une succession de « formalités périmées ». Il renonce à imposer la mise en congé du Parlement pendant une année ; bien plus, il va jusqu'à déclarer à l'Assemblée nationale, lors des débats des 2 et 3 juin 1958, « tout l'honneur et le plaisir qu'[il] ressen [t] à [se] trouver devant elle ». Mais ces aménagements de façade ne changent rien au fond de l'affaire, et c'est à André Le Troquer qu'il revient, le 3 juin à 15h15, de prononcer avec laconisme l'oraison funèbre de la IVe République : « la prochaine séance aura lieu à une date indéterminée. La séance est levée ».
Aux élections législatives de novembre 1958, André Le Troquer est battu dès le premier tour, arrivant en troisième position derrière le candidat de l'UNR Pierre Bourgoin et celui du Parti communiste Maria Doriath, avec 6 165 voix sur 39 077 suffrages exprimés. Deux mois plus tard, son nom est mêlé à une triste affaire de mœurs, dite des « ballets roses ». Inculpé le 1er février 1959, il est condamné en juin 1960 par la quinzième Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de la Seine à un an de prison avec sursis et 3000 francs d'amende. André Le Troquer crie au complot politique- « on essaie de mettre en cause un homme qui a été mêlé à la vie politique d'un pays, aux drames qui l'ont bouleversé », fait-il valoir - mais la condamnation est confirmée en appel en mars 1961. André Le Troquer s'enfonce alors dans l'opprobre. Sa dernière déclaration publique, faite le 4 janvier 1961, à quelques jours du référendum sur l'Algérie, ne rencontre qu'un faible écho ; l'ancien président de l'Assemblée s'y prononce pour un « non », en développant des arguments qui le placent en opposition avec la ligne de la SFIO : « sans même attendre le résultat du référendum, il est déjà annoncé et décidé que l'Algérie aura son gouvernement, ses institutions, ses lois. Et que restera-t-il aux autres, car il ne s'agit pas seulement de biens matériels, mais du droit même à l'existence pour 1 200 000 Français de souche européenne et de beaucoup de musulmans ? ». Après plusieurs décennies passées au faîte de la vie publique, André Le Troquer décède dans une indifférence quasi générale le 11 novembre 1963 à Andilly, en Seine-et-Oise.