Edme, Charles, Philippe Lepère

1823 - 1885

Informations générales
  • Né le 1er février 1823 à Auxerre (Yonne - France)
  • Décédé le 6 septembre 1885 à Auxerre (Yonne - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Assemblée Nationale
Législature
Mandat
Du 8 février 1871 au 7 mars 1876
Département
Yonne
Groupe
Union républicaine
Régime politique
Troisième République - Chambre des députés
Législature
Ire législature
Mandat
Du 20 février 1876 au 25 juin 1877
Département
Yonne
Groupe
Opportuniste
Régime politique
Troisième République - Chambre des députés
Législature
IIe législature
Mandat
Du 14 octobre 1877 au 14 octobre 1881
Département
Yonne
Groupe
Gauche radicale
Régime politique
Troisième République - Chambre des députés
Législature
IIIe législature
Mandat
Du 21 août 1881 au 6 septembre 1885
Département
Yonne
Groupe
Gauche radicale

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Représentant en 1871, député de 1876 à 1885, ministre, né à Auxerre (Yonne) le 1er février 1823, mort à Auxerre le 6 septembre 1885, il étudia le droit à Paris, se fit recevoir avocat, et s'inscrivit au barreau de sa ville natale, où il conquit bientôt une place distinguée.

Il faisait en même temps une assez vive opposition au gouvernement impérial, comme rédacteur du journal démocratique l'Yonne, et comme membre du conseil municipal d'Auxerre et du conseil général du département. En 1867, le journal de Jules Vallès, la Rue, ayant tenu ses lecteurs au courant du débat survenu entre deux hommes de lettres, MM. Antonio Watripou et Choux, qui se disputaient la paternité d'une chanson célèbre parmi les étudiants, et intitulée le Vieux quartier latin, M. Charles Lepère écrivit d'Auxerre à Jules Vallés pour s'avouer le véritable auteur de ces couplets : « Hélas! oui, monsieur, disait le futur ministre, c'est moi qui suis l'auteur de la chanson du Vieux quartier latin, et c'est vous dire qu'il y a vingt ans que j'étais jeune. Je ne suis pas de ceux qui, ne pouvant plus l'être, veulent ne l'avoir jamais été; en vous confessant ce péché de jeunesse, je ne fais même aucune difficulté de vous avouer que je l'ai commis à la suite d'une de ces soirées du quartier latin que de mon temps on appelait des noces, et dont on n'a jamais été tenté de dire que la Mère sans danger, etc., etc. Cette soirée-là s'était prolongée jusqu'à six heures du matin : il était un peu tôt pour rentrer chez soi : ce fut mon avis et celui de trois de mes camarades qui vinrent avec moi frapper à la porte de Dagnaux. C'est dans la salle de ce café-restaurant (rue de l'Ancienne comédie), ornée d'un immense divan en équerre, sur lequel j'ai souvent vu Nadar étendre à l'aise ses immenses pattes de faucheux, que nous fîmes rallumer le gaz (c'était en décembre 1846), et qu'on nous servit un déjeuner au cours duquel quelques verres de Chablis m'induisirent en cantilènes. La conversation roulait, depuis quelque temps, sur la tendance qu'avaient certains étudiants à déserter le quartier latin pour descendre au faubourg Saint-germain et même pour passer sur la rive droite. Mes amis, à ce propos, s'indignaient et criaient si fort, que, pour me mettre à leur diapason, j'entonnai sur l'air: Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu? la complainte en question dont j'improvisai trois couplets, je ne sais plus lesquels. J'en aurais peut-être improvisé quatre, si le père Dagnaux, éveillé par ce chant matinal, n'avait jugé à propos de mettre une sourdine à ma lyre, en gourmandant ses garçons de nous avoir servi un déjeuner à cette heure indue. Le lendemain, mes amis, qui conservaient un vague souvenir de mes couplets, m'engagèrent à les retoucher et à les faire suivre de quelques autres. Je repassais alors mon second examen de droit que j'avais, quatre mois avant, subi avec un succès négatif : je m'étais volontairement mis aux arrêts, dans une petite chambre que j'occupais en face du passage du Commerce, à l'entresol du n° 78 de la rue Saint-André-des-Arts; là, quand le code de procédure me sortait par les yeux, j'allumais une pipe et j'écrivais, tant bien que mal, un nouveau couplet. J'en commis douze. C'est ainsi que je perpétrai cette chanson... »

Après la chute de l'Empire, M. Lepère devint, le 8 février 1871, représentant de l'Yonne à l'Assemblée nationale, le 5e sur 7, par 36,592 voix (61,853 votants, 113,657 inscrits). Il siégea à l'Union républicaine et vota :

- contre la paix,
- contre les prières publiques,
- contre l'abrogation des lois d'exil,
- contre le pouvoir constituant de l'Assemblée,
- pour la dissolution,
- pour le gouvernement de Thiers,
- contre sa chute au 24 mai,
- contre le septennat,
- contre l'état de siége,
- contre la loi des maires,
- pour les amendements Wallon et Pascal Duprat,
- pour l'ensemble des lois constitutionnelles.

Il fut un des plus empressés parmi les membres du groupe radical de l'Union républicaine à soutenir la politique « modérée » suivie par M. Thiers au pouvoir, et parut plusieurs fois à la tribune où il se fit remarquer par un certain talent d'orateur et par une vive connaissance des affaires. Il prit notamment la parole : pour protester contre la rentrée des princes en France (8 juin 1871); pour défendre Gambetta contre les attaques de la droite (13 juin 1872); pour reprocher à M. de Goulard sa partialité en faveur des frères maristes de Castelsarrasin (18 janvier 1873); pour interpeller le gouvernement (10 juin) sur la suppression du journal le Corsaire; pour appuyer le projet de loi tendant à ramener au chiffre réglementaire le nombre des membres de la Légion d'honneur. Il parla encore sur les traités de commerce, les taxes télégraphiques, les bouilleurs de cru, etc.

Réélu, le 20 février 1876, député de la 1re circonscription d'Auxerre, par 9,633 voix (11,660 votants, 16,323 inscrits), il fut choisi par ses collègues pour l'un des vice présidents de la Chambre, ne se fit pas inscrire à l'extrême gauche et devint un les plus zélés partisans de l'opportunisme préconisé par Gambetta.

Des 363, il combattit vivement le gouvernement du Seize-mai, qui de son côté mit tout en œuvre pour faire échouer sa candidature, le 14 octobre 1877, dans la 1re circonscription d'Auxerre : mais M. Lepère obtint le renouvellement de son mandat à la forte majorité de 10,218 voix (13,885 votants, 16,541 inscrits) contre 3,524 au candidat officiel, M. Remacle. Il fit partie, lors de la réunion de la Chambre nouvelle, du comité des dix-huit chargé de diriger la résistance de la majorité républicaine contre les entreprises extra-parlementaires du cabinet de Rochebouët.

Républicain « de gouvernement », M. Lepère fut nommé, dès la formation du cabinet Dufaure, le 14 décembre 1877, sous-secrétaire d'Etat au ministère de l'Intérieur. Plusieurs fois il prit la parole en cette qualité devant l'une et l'autre Chambre, et l'on remarqua surtout, en décembre 1878, la vivacité de sa réplique aux orateurs de la droite qui reprochaient au cabinet de pratiquer la candidature officielle. Le 4 février 1879, peu de jours après l'avènement de M. Grévy à la présidence de la République, M. Ch. Lepère fut chargé du portefeuille de l'Agriculture et du Commerce. Un mois après, le 4 mars, il passait au ministère de l'Intérieur et des Cultes, en remplacement de M. de Marcère. M. Lepère débuta dans ses nouvelles fonctions en essayant, d'ailleurs sans succès, d'empêcher la commission d'enquête sur les agissements du 16 mai de conclure à la mise en accusation des ministères Fourtou de Broglie et de Rochebouët. Mais, après avoir été maintenu à son poste dans le cabinet reconstitué, le 28 décembre 1879, sous la présidence de M. de Freycinet, il eut surtout à s'occuper de la question religieuse, qui atteignait alors son maximum d'acuité.

Comme ministre de l'Intérieur, il eut une grande part de responsabilité dans les décrets du 29 mars 1880, dont l'un, comme on sait, enjoignait à la Société de Jésus de se dissoudre dans les trois mois, prorogeant le délai jusqu'au 31 août pour ses établissements d'enseignement; le second donnait trois mois aux autres congrégations pour déposer une demande d'autorisation. La légalité de ces décrets donna lieu, au parlement et dans la presse, aux débats le plus ardents. M. Lepére fit suivre leur promulgation d'un commentaire immédiat sous la forme d'une circulaire qu'il adressa aux préfets, le 2 avril. Cette circulaire débutait ainsi : « Au moment où la publication des deux décrets du 29 mars 1880 soulève de la part des adversaires de nos institutions républicaines les attaques les plus violentes et les plus injustes, j'estime qu'il est de votre devoir d'éclairer les populations sur le sens et la portée de ces actes et de les prémunir contre certaines calomnies que les partis hostiles s'efforcent de propager. » M. Lepère se défendait contre le double grief : de porter atteinte aux droits et prérogatives de la religion catholique et de persécuter une classe de citoyens. La circulaire du ministre provoqua les protestations les plus vives de la part de l'épiscopat, et notamment de Mgr Guibert, archevêque de Paris, qui n'hésitait pas à mettre en doute la bonne foi du gouvernement. Le ministre frappa d'appels comme d'abus les écrits ou les actes de plusieurs prélats.

Interpellé (avril 1880) à la Chambre par M. Godelle sur les actes du gouverneur général de l'Algérie M. Albert Grevy, le ministre de l'Intérieur déclara couvrir ces actes de sa responsabilité.

Il fut mêlé très activement aux deux délibérations sur le projet de loi relatif au droit de réunion et d'association. La première ne se passa pas tout à fait sans encombre ; après s'être prononcé contre le système de la liberté absolue éloquemment défendu par Louis Blanc, M. Lepère entama sur plusieurs points de détail diverses explications, et éprouva un premier échec à l'article 4 de la loi : cet article avait trait à l'ordre du jour des réunions, et le gouvernement demandait que, dans la déclaration, l'objet de la réunion fût précisé sans qu'il fût possible de s'en écarter. La Chambre écarta cette proposition. Le ministre eut plus de succès en faisant repousser (art. 7) les réunions publiques périodiques ou clubs. Mais la seconde délibération fut beaucoup plus pénible pour le gouvernement : adoptée à la fin de janvier en première lecture, la loi revint au Palais-Bourbon au mois de mai 1880, et donna lieu, cette fois, à de vifs incidents qui entraînèrent la démission du ministre de l'Intérieur. Aux termes de l'article 9 du projet, un fonctionnaire de l'ordre administratif pouvait être délégué pour assister à la réunion, avec pouvoir d'en prononcer la dissolution dans certaines circonstances déterminées. L'article 10 apportait de son côté une restriction à l'exercice du droit de réunion ; il était ainsi conçu : « En cas de troubles imminents, les préfets de police, préfets et sous-préfets, pourront ajourner les réunions publiques, à la charge par eux d'en référer immédiatement au ministère de l'Intérieur. La faculté d'ajournement n'est pas applicable aux réunions électorales. » La Chambre avait, lors de la première délibération, manifesté sa répugnance à voter ces deux articles, bien qu'ils fussent vivement approuvés par le gouvernement. Le projet revenu, le dissentiment s'accentua. L'article 9 fut renvoyé à la commission, qui devait chercher un terrain de conciliation et proposer une nouvelle rédaction. Quant à l'article 10, il fut purement et simplement rejeté par 250 voix contre 126. Mis en échec par ce vote assez imprévu, le gouvernement se rejeta sur l'article 9 et réclama avec insistance, par l'organe de M. Lepère, le maintien, de la rédaction primitive. La thèse de M. Lepère, appuyée par M. Ribot, parut assez compromise auprès de la majorité pour que le président du conseil jugeât bon d'intervenir. Mais l'habile intervention de M. de Freycinet ne réussit pas à sauver la rédaction du gouvernement. M. Lepère, plus particulièrement atteint par le vote de la Chambre, quitta le ministère de l'Intérieur où il fut remplacé par son sous-secrétaire d'Etat, M. Constans.

Il reprit alors sa place à gauche, et fut réélu député d'Auxerre, le 21 août 1881, par 7,832 voix (10,145 votants, 16,644 inscrits). Dans la Chambre nouvelle, M. Ch. Lepère sembla accentuer sa politique, et désirer revenir au pouvoir à la faveur de certaines déclarations plus libérales que ses actes précédents, et qui n'eurent d'ailleurs qu'un médiocre succès. Président du groupe de la gauche radicale, il fit une opposition intermittente aux ministères de la législature, intervint (1882) dans la discussion des articles de la loi sur le divorce, pour combattre (juin 1882) un amendement de M. de la Rochefoucauld-Bisaccia (V. ce nom), et prit part, la même année, comme président de la commission de la réforme de la magistrature, aux débats confus qui occupèrent plusieurs séances des mois de juin et de juillet.

Les polémiques de M. Ch. Lepère et de son journal l'Yonne avec des adversaires personnels de son influence dans le département, occupèrent aussi l'attention. Il se préparait à recommencer la lutte en vue des élections d'octobre 1885, quand il succomba (septembre) à un érysipèle infectieux.