Eugène Rouher
1814 - 1884
Représentant en 1848 et en 1849, ministre, sénateur, représentant, en 1872, député de 1876 à 1881, né à Riom (Puy-de-Dôme) le 30 novembre 1814, mort à Paris le 3 février 1884, l'un des quatre enfants d'un avoué de Riom, il fut destiné à la marine et entra à l'Ecole navale d'Angoulême en 1828. A la suppression de l'Ecole, il vint terminer ses études à Riom puis à Clermont, fit son droit à Paris, travailla dans une étude d'avoué, et se fit inscrire en 1830 au barreau de sa ville natale, en remplacement d'un de ses frères qui y avait déjà acquis une certaine situation, mais qui se retirait pour raison de santé.
Quelques procès politiques qu'il plaida le mirent en évidence ; il épousa la fille de M. Conchon, maire de Clermont-Ferrand, se fit recommander à Guizot par M. de Morny, et se présenta à la députation, le 1er août 1846, comme partisan du gouvernement, dans le collège électoral de Riom, où il échoua avec 94 voix (232 votants, 252 inscrits) contre 137 à M. Combarel de Leyval.
La révolution de 1848 modifia une première fois ses opinions politiques: il manifesta dans les clubs des opinions socialistes, réclama l'abolition des contributions indirectes, l'impôt progressif, l'organisation du travail, promit de « se dévouer avec énergie aux idées nouvelles qui seules peuvent faire le bonheur du pays », et à la République, « l'arche sainte des générations futures », et fut élu, le 23 avril 1848, représentant du Puy-de-Dôme à l'Assemblée Constituante, le 13e sur 15, par 48 282 voix sur 125 432 votants et 173 000 inscrits. « Quoique sa conversion ait été subite, écrivait un biographe de 1848, on la croit sincère. Dès son arrivée à Paris, il a visité divers clubs républicains, où il a fait entendre des paroles énergiques, dignes du démocrate le plus avancé. » A l'Assemblée, M. Rouher s'assit à droite, fit partie du comité du travail, prit part à la discussion sur la Constitution, proposa un amendement favorable au système des deux Chambres, protesta contre les lois d'exception, vota:
- pour le cautionnement des journaux,
- contre le droit au travail,
- contre le remplacement militaire,
et s'abstint sur l'impôt progressif, sur l'amendement Grévy, sur la proposition Rateau, sur la diminution de l'impôt du sel, sur la suppression des clubs ; rallié au prince-président, il soutint naturellement sa politique personnelle.
Réélu, le 13 mai 1849, représentant du même département à l'Assemblée législative, le 2e sur 13, par 54 115 voix sur 168 305 inscrits ; il se sépara de la majorité pour s'attacher à la fortune du prince Louis-Napoléon ; lorsque ce dernier rompit avec le ministère parlementaire Barrot-Dufaure, M. Rouher accepta le portefeuille de la Justice dans le cabinet nouveau (30 octobre 1849). Il eut à présenter et à soutenir plusieurs projets de loi, notamment la loi du 31 mai restrictive du suffrage universel ; dans la discussion de la loi sur la presse, il lança à la Montagne cette apostrophe : « Votre révolution de février n'a été qu'une catastrophe ! »
Démissionnaire avec le cabinet tout entier, le 19 janvier 1851, il reprit son portefeuille dans le cabinet Baroche-Fould (10 avril, 26 octobre 1851), fut rappelé aux sceaux après le coup d'Etat du 2 décembre, donna sa démission à la suite du décret du 22 janvier 1852 portant confiscation des biens de la famille d'Orléans, fut nommé, trois jours après, vice-président du Conseil d'Etat, et eut, en cette qualité, à défendre fréquemment devant les Chambres les projets présentés par le gouvernement. Il s'acquitta de cette tâche en avocat de talent. « La politique ne représentait pour lui ni un principe, ni une passion, a dit un historien ; c'était un dossier qu'on lui donnait à plaider. Pour chaque affaire qui se présentait, il déployait, sans s'y ménager, son maximum de zèle d'éloquence. S'il venait à changer d'avis, le gouvernement était pour lui un plaideur qui, à quelques mois de distance, a deux procès en sens inverse. Se plaçant à ce point de vue, M. Rouher les plaidait sans embarras, l'un après l'autre, et, régulièrement, les gagnait tous les deux. »
Conseiller général d'un canton de Riom, membre de la commission de l'Exposition universelle de 1855, il fut nommé, le 3 février de cette année ministre de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, et, tout en donnant une vive impulsion aux services relevant de son ministère, prépara le fameux traité de commerce du 23 janvier 1860 avec l'Angleterre, traité « exécuté comme un coup d'Etat », de l'autorité propre de l'empereur, et qui substituait à l'ancien régime de la protection absolue, la protection restreinte qui devait conduire progressivement à la liberté commerciale. Des traités analogues furent conclus, avec la coopération de M. Rouher, avec la Belgique (1861) et avec l'Italie (1863).
Sénateur du 12 juin 1856, M. Rouher fut nommé président du Conseil d'Etat en remplacement de M. Baroche le 23 juin 1863, remplit pendant quelques semaines l'intérim du ministère de l'Intérieur, quitta le ministère du Commerce pour devenir ministre présidant le Conseil d'Etat (23 juin 1863), fit décréter, en cette qualité, la liberté de la boulangerie (30 juin), et, à la mort de M. Billault, fut nommé ministre d'Etat (18 octobre suivant). A ce titre, il fut devant les Chambres l'apologiste infatigable et fécond de la politique intérieure et extérieure de l'empire, et mérita par l'influence prépondérante qu'il exerça sur la marche des affaires la qualification de « vice-empereur », que lui donna M. Emile Ollivier. Il défendit contre MM. Thiers et Pouyer-Quertier le libre-échange, loua, durant quatre sessions, l'expédition du Mexique comme « la plus grande pensée du règne », et prit la part la plus active à l'élaboration et à la discussion des importantes lois sur les finances, l'enseignement primaire, l'armée, la presse, les sociétés, etc., qui furent votées de 1863 à 1869. En mars 1866, il eut à combattre l'amendement des 45 visant au rétablissement du régime parlementaire, dont il s'efforça de démontrer l'incompatibilité avec le suffrage universel. En mai 1867, il tenta de justifier, en réponse aux attaques de Thiers, l'attitude du gouvernement français pendant la guerre entre la Prusse et l'Autriche, et en décembre suivant, déclara solennellement, en réponse aux interpellations des députés catholiques que « l'Italie ne s'emparerait pas de Rome. Jamais ! non, jamais ! » Lors de la crise ministérielle du 19 janvier précédent, M. Rouher avait offert sa démission qui fut refusée ; on lui donna même le portefeuille des finances jusqu'au 12 novembre suivant. Il renouvela sa démission de ministre d'Etat à la suite de l'interpellation des 116 (17 juillet 1869), et fut nommé, le lendemain, président du Sénat.
L'avènement du ministère Ollivier (2 janvier 1870) annula presque son influence politique ; on croit cependant que ce fut lui qui inspira à l'empereur la pensée du plébiscite ; il approuva la déclaration de guerre à la Prusse, et présida la dernière séance du Sénat le 4 septembre 1870. Il rejoignit aussitôt l'impératrice à Londres, rentra en France au moment de l'insurrection communaliste du 18 mars, fut arrêté à Boulogne et emprisonné par ordre de Thiers, qui fit saisir ses papiers, puis donna l'ordre de le faire conduire à la frontière belge.
Candidat à l'Assemblée nationale, aux élections complémentaires du 2 juillet 1871, dans la Charente-Inférieure et dans la Gironde, il n'obtint, dans la Charente-Inférieure, que 22 167 voix, contre 35 426 au dernier candidat républicain élu, M. Denfert-Rochereau, et, dans la Gironde, que 29 264, contre 75 345 au dernier candidat républicain élu, M. Sansas.
Le 16 août suivant, M. Séverin Abbatucci, représentant de la Corse, donna sa démission pour procurer un siège à M. Rouher. Les électeurs ne furent convoqués que le 16 février 1872, et M. Rouher fut élu représentant de la Corse, par 36 026 voix, sur 51 999 votants et 75 473 inscrits, contre 8 796 à M. Pozzo di Borgo, et 6 951 à M. Savelli, radical. Il prit place à droite, dans le groupe de l'Appel au peuple, interpella sur le rapport de la commission des marchés, parla sur la convention postale avec l'Allemagne, appuya, à plusieurs reprises, l'appel au peuple comme la seule solution de la forme du gouvernement, surtout lors des tentatives de restauration monarchique (octobre 1873), et, après la mort de Napoléon III, prit la direction effective, sinon officielle, du parti bonapartiste : il nia toujours en effet l'existence d'un « comité central de l'Appel au peuple », en dépit des allégations de M. Girerd (9 juin 1874) (Voy. ce nom). Dans la législature, il vota contre le service de trois ans, pour la démission de Thiers, contre le septennat (mais il fit voter son groupe pour), contre le ministère de Broglie, contre l'amendement Wallon, contre les lois constitutionnelles.
Réélu, le 20 février 1876, député de Bastia, par 8 790 voix, sur 13 219 votants et 20 326 inscrits, contre 4 367 à M. de Corsi, il fut également élu, le même jour, dans la 1re circonscription de Riom, par 10 595 voix sur 17 260 votants et 20 109 inscrits, contre 4 257 à M. Allary et 2 384 à M. de Chabrol. Quinze jours après, le 5 mars, le scrutin de ballottage de l’arrondissement d'Ajaccio lui donna encore la majorité avec 6 572 voix sur 12 580 votants et 18 252 inscrits, contre 5 837 au prince Napoléon Bonaparte et 152 à M. Ceccaldi ; par contre il avait échoué, le même jour, à Clermont-Ferrand (1re circonscription), avec 2 652 voix, contre 11 998 à M. Bardoux, élu. M. Rouher opta pour Riom, et fut remplacé à Ajaccio par le prince Napoléon, et à Bastia par M. de Casabianca. Conseiller général du canton de Randan (juin 1876, août 1880), il reprit, à la Chambre, sa place à droite, déclara (avril 1876), sur une demande de M. Floquet relative à la suppression du budget des cultes, qu'il trouvait la mesure « prématurée » sans y être opposé en principe, appuya le cabinet du 16 mai contre les 363, et soutint une vive polémique (juillet) contre M. Paul de Cassagnac, au sujet des candidatures bonapartistes aux élections suivantes : M. Rouher ne voulait que des candidats impérialistes purs, tandis que M. de Cassagnac se ralliait à l'Union conservatrice.
Réélu, le 14 octobre 1877, député de Riom, par 9 914 voix, sur 16 114 votants et 20 218 inscrits, contre 6 477 à M. Gerzat, M. Rouher reprit la direction du groupe bonapartiste à la Chambre, et profita (janvier 1878) d'une apostrophe de Gambetta, lors de la vérification des pouvoirs, pour faire l'apologie de l'Empire et répudier toute responsabilité dans l'issue de la guerre de 1870. Quelques jours après, il parla contre l'amnistie restreinte, défendit (juin 1880) les traités de commerce, et combattit (juin 1881) certains articles du projet de loi sur la marine marchande : la mort du prince impérial (juin 1879) avait, comme il le déclarait lui-même, mis fin à son rôle politique ; il ne s'occupa plus que de questions d'affaires, et ne se représenta pas aux élections législatives d'août 1881.
Grand-croix de la Légion d'honneur (25 janvier 1860) : il reçut de l'empereur les insignes en diamants en juillet 1867.