Philippe, Elie Le Royer
1816 - 1897
- Informations générales
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- Né le 27 juin 1816 à Genève (Suisse)
- Décédé le 22 février 1897 à Paris (Seine - France)
1816 - 1897
Représentant en 1871, membre du Sénat et ministre, né à Genève (Suisse) le 27 juin 1816, de parents français appartenant à la religion réformée, il vint étudier le droit à Paris et, reçu avocat, s'inscrivit au barreau de cette ville, puis à ceux de Chalon-sur-Saône et de Lyon (1855).
Nommé, après le 4 septembre 1870, procureur-général à Lyon, il concourut à la répression des troubles qui agitèrent la population vers la fin de la guerre, donna sa démission en janvier 1871, et fut élu, le 8 février 1871, représentant du Rhône à l'Assemblée nationale, le 2e sur 13, par 77 546 voix (117 523 votants, 185 134 inscrits).
M. Le Royer fit partie du groupe de la gauche républicaine, dont il fut un des présidents et prit une part active, à la tribune de l'Assemblée, à plusieurs discussions importantes, dans lesquelles il se fit remarquer comme orateur. Il se prononça :
- pour la paix,
- contre l'abrogation des lois d'exil,
- contre le pouvoir constituant de l'Assemblée,
- contre la chute de Thiers au 24 mai,
- contre le septennat,
- contre l'état de siège,
- contre la loi des maires,
- contre le ministère de Broglie,
- pour les amendements Wallon et Pascal Duprat,
- pour l'ensemble des lois constitutionnelles.
Le 1er avril 1873, il intervint dans le débat du projet de loi relatif à la réorganisation de la municipalité lyonnaise, et combattit vivement les conclusions du rapporteur, M. de Meaux.
« Le véritable but, dit-il, conscient ou inconscient que se propose la commission est maintenant aussi clair que le jour : ce n'est pas un état transitoire qui va être imposé à la ville de Lyon, en raison des circonstances morales et matérielles dans lesquelles elle se trouve, et qui va être seulement le résultat de cette loi, c'est plus loin qu'on veut atteindre ; c'est une expérience et un ballon d'essai pour attaquer et frapper toutes les grandes villes de la République ! »
Après avoir examiné les griefs articulés dans le rapport contre la municipalité lyonnaise, l'orateur, voulant passer aux arguments contenus dans le discours du rapporteur, dit : « J'arrive maintenant à l'examen de ce qu'a ajouté M. le rapporteur, à ce bagage du rapport... » Ce mot de bagage eut le don de soulever à droite une tempête de réclamations et de protestations. On cria : A l'ordre ! M. Rivaille déclara : « Ce mot de bagage n'est pas parlementaire ! Il n'est pas digne de l'Assemblée ! »
« Messieurs, répondit M. Le Royer, vous êtes bien susceptibles (Oui ! oui ! il y a de quoi !)... et il me semble qu'avant de suspecter l'intention d'un de vos collègues qui n'a pas l'habitude de se servir d'expressions injurieuses à la tribune... (Prouvez-le !), il aurait fallu au moins connaître son intention. Puis, en second lieu, vous auriez à vous demander si dans des assemblées, non pas aussi souveraines que la vôtre, mais aussi littéraires, le mot « bagage » n'est pas employé dans un sens parfaitement acceptable... » Cependant le tumulte ne s'apaisait point et M. de Grammont (V. ce nom) se signalait au premier rang des interrupteurs : « Retirez votre expression, criait-il à M. Le Royer, et il ajouta : « C'est une impertinence ! » On sait quelles furent les suites de cet incident. M. Grévy, alors président de l'Assemblée nationale, ayant rappelé à l'ordre M. de Grammont, un certain nombre de membres de la droite renouvelèrent leurs bruyantes protestations et parurent « disposés, dit l'Officiel, à quitter la salle ». Le président dut entrer dans de longues explications sur le rappel à l'ordre qu'il venait d'infliger, ainsi que sur les diverses acceptions dont le mot « bagage » est susceptible, et, comme le bruit allait croissant, M. Grévy finit par prononcer ces paroles sur lesquelles fut levée la séance : « Puisque je ne trouve pas chez vous, messieurs, la justice à laquelle je crois avoir droit, je saurai ce qui me reste à faire ! »
Le lendemain, en effet, il adressait par lettre sa démission de président, et, le 3 avril, M. Buffet lui était donné pour successeur.
On remarqua beaucoup aussi, le 24 juin de la même année, une interpellation de M. Le Royer sur l'arrêté de M. Ducros, préfet du Rhône, relatif aux enterrements civils. L'orateur débuta par une sorte de profession de foi philosophique : « Je ne veux entreprendre ici, dit-il, aucune campagne contre telle ou telle croyance, pour ou contre telle ou telle cérémonie du culte. Non, je respecte toutes les convictions, les convictions sincères et désintéressées. Je m'incline devant elles, même quand elles sont le plus antipathiques à ma nature ou à mes propres croyances. Je ne viens ni attaquer, ni défendre les enterrements civils, qui sont cependant l'objectif de l'arrêté de M. le préfet du Rhône ; et quoique je ne vous doive aucune profession de foi, je tiens à déclarer que croyant à la liberté et à la responsabilité de l'homme, je ne suis ni un athée ni un matérialiste. Je viens donc ici, sans parti pris, sans préoccupation politique, mettre sous la protection de l'Assemblée le droit le plus sacré du for intérieur, la conquête de la Révolution française, acquise au prix de tant de sang et de tant de douleurs, la liberté de conscience, » M. Le Royer discuta point par point l'acte administratif publié et affiché le 18 juin par le préfet du Rhône et l'attaqua surtout comme l'indice d'une tendance à rétrograder de quatre-vingts ans en arrière. « Or, s'il y a une vérité éclatante c'est celle-ci : dans l'ordre moral, il n'y a pas de restauration possible de ce qui est tombé naturellement, ce qui est usé est bien usé, ce qui est mort est bien mort. » Il souleva encore, malgré la modération de son langage, de violentes protestations à droite ; après lui, M. du Barail, ministre de la Guerre, parut à la tribune; puis M. Boulé, ministre de l'Intérieur, MM. de Préssensé, Ed. Laboulaye, prirent successivement la parole. Enfin l'Assemblée adopta, par 413 voix contre 251, un ordre du jour de M. Cornélis de Witt, contraire au but de l'interpellation.
Après le vote des lois constitutionnelles, auxquelles il avait particulièrement coopéré, comme membre et vice-président de la dernière commission des Trente, M. Le Royer fut élu, le 13 décembre 1875, sénateur inamovible par l'Assemblée nationale le 34e sur 75, avec 352 voix (689 votants).
Il siégea à la gauche de la Chambre haute, et vota contre la dissolution de la Chambre des députés en juin 1877.
Il refusa, en janvier 1878, le poste de procureur général à la Cour des comptes. En janvier 1879 il déclina l'honneur de la même fonction à la Cour de cassation.
Le 4 février, il entra dans le premier cabinet formé par M. Grévy, président de la République, comme ministre de la Justice, garde des sceaux. Il prit plusieurs mesures importantes, renouvela le personnel des parquets, et présenta un projet de loi sur la réorganisation du conseil d'Etat.
Devant le parlement, il combattit la proposition d'amnistie plénière soutenue au Sénat par Victor Hugo, à la Chambre par Louis Blanc, prépara lui-même un projet d'amnistie partielle qu'il défendit et fit voter, se déclara l'adversaire des poursuites contre les membres du gouvernement du Seize Mai, et se trouva plusieurs fois en contradiction avec la fraction la plus avancée de la majorité républicaine de la Chambre. Le 16 décembre 1879, il repoussa nettement l'interpellation de M. Labadié, des Bouches-du-Rhône, qui réclamait des mesures de rigueur contre le premier président de la cour d'Aix, et fit entendre cette déclaration : « Je ne peux, ni ne veux, ni ne dois poursuivre. »
Vers la même époque, M. Le Royer donna sa démission de ministre : le 27 décembre il fut remplacé par M. Cazot. Il reprit sa place à gauche, se montra partisan décidé de la politique opportuniste et parut plusieurs fois à la tribune du Sénat. Il se prononça pour l'article 7 et pour les lois sur l’enseignement, et fit adopter (juin 1881) un amendement substituant au certificat d'instruction délivré dans les familles un examen passé à l'âge de dix ans devant un jury de trois membres dont un choisi par la famille.
Vice-président du Sénat, il en fut élu président le 2 février 1882, par 188 voix sur 175 suffrages exprimés et, depuis lors, il n'a pas cessé de remplir cette haute fonction, avec des qualités de fermeté que les partis ont diversement appréciées.
Les radicaux et la droite ont reproché au président du Sénat son attitude en août 1884, lorsqu'il dirigea à Versailles les débats de l'Assemblée nationale, au Congrès réuni pour statuer sur la révision partielle de la Constitution.
M. Le Royer déclara, le 4 août, l'Assemblée nationale constituée, proposa l'adoption du règlement de 1871, eut à donner communication des diverses propositions, amendements ou contre-projets relatifs à la révision des lois constitutionnelles déposés par MM. Cunéo d'Ornano, Raoul Duval, Andrieux, Bernard Lavergne, Marcou, Bontoux, Marius Poulet, Baudry d'Asson, Jules Roche, Ordinaire, Camille Pelletan, Laguerre, Barodet et Schœlcher (V. ces noms), fit connaître en outre les amendements dus à MM. Roques (de Filhol) et Thurel, ainsi qu'une proposition de M. Ern. Dréolle tendant à la suppression des fonctions de président de la République, et fut mêlé personnellement à d'assez graves incidents parlementaires, principalement dans la journée du 4 août. Le Temps du 6 rendit compte ainsi qu'il suit du premier de ces incidents : « M. le président Le Royer venait de donner la parole à M. le président du conseil pour lui permettre de déposer le projet de révision et M. Jules Ferry était déjà à la tribune, lorsque de véritables clameurs partirent des bancs de l'extrême gauche et de la droite. M. de Douville-Maillefeu, M. de Baudry d'Asson, M. Cunéo d'Ornano se lèvent et crient à tue-tête : « Le tirage au sort des bureaux ! Il nous faut d'abord le tirage au sort des bureaux ! » M. le président du conseil ne peut prendre la parole. Le bruit est intense. Aux clameurs de l'extrême gauche et de l'extrême droite répondent les clameurs du centre. M. Le Royer agite en vain sa sonnette. M. Andrieux, debout dans l'hémicycle, demande la parole pour un rappel au règlement. Tantôt il s'adresse au président, tantôt à M. Jules Ferry, qui reste impassible à la tribune ; les applaudissements retentissent à droite et à l'extrême gauche, pendant que des protestations prolongées se produisent au centre. Encouragé par les applaudissements, M. Andrieux s'élance à la tribune et demande à M. Jules Ferry, avec une grande animation dans les gestes et dans la voix, de lui céder la place... M. Le Royer cherche vainement à s'entremettre du haut de son fauteuil et, ne pouvant plus dominer le tumulte, finit par se couvrir. Cette attitude du président est saluée par les applaudissements du centre. Le bureau quitte la salle et la séance est suspendue. » A la reprise de la séance, il fut d'ailleurs procédé au tirage au sort des bureaux et le tumulte s'apaisa. M. Le Royer présida encore le Congrès dans d'autres circonstances solennelles, le 28 décembre 1885 (réélection de M. Grévy comme président de la République), et, le 3 décembre 1887, après la démission de M. Grévy, lorsque l'Assemblée nationale eut à élire un autre président de la République et fit choix de M. Sadi Carnot ; il présida aussi de droit la Haute Cour constituée pour juger le général Boulanger.
Comme président du Sénat, M. Le Royer s'est abstenu de prendre part aux votes de la Chambre haute.
Né le 27 juin 1816 à Genève (Suisse), mort le 22 février 1897 à Paris.
Sénateur inamovible de 1875 à 1897.
(Voir première partie de la biographie dans ROBERT ET COUGNY, Dictionnaire des Parlementaires, t. IV, p. 124.)
Philippe Le Royer est toujours président du Sénat, mais, en 1893, alors qu'il était réélu à ce poste pour la douzième fois, il donna sa démission pour raisons personnelles. Interprète de la haute estime et des regrets du Sénat envers le président démissionnaire, Bardoux, vice-président, fit remarquer qu'il n'y avait pas, dans l'histoire parlementaire, d'autres exemples d'une présidence de onze ans et de cette persistance dans le témoignage de la confiance donnée par une assemblée.
Ce fut Jules Ferry qui succéda à Le Royer au fauteuil présidentiel. Moins d'un mois devait s'écouler avant qu'il ne fût remplacé lui-même par Challemel-Lacourt. En prenant possession du fauteuil présidentiel, Jules Ferry avait rendu à son prédécesseur un solennel hommage.
Philippe Le Royer reprit alors sa place dans les rangs de la gauche républicaine. Au dernier renouvellement du bureau de ce groupe, il fut réélu vice-président. Il fit alors partie de la commission de l'armée et prit part activement à la discussion du texte portant réorganisation de l'armée coloniale. II se prononça contre le rattachement de ces troupes à la marine car il voulait créer une armée coloniale.
Son activité se réduit peu à peu. Il s'intéresse néanmoins aux problèmes économiques et financiers, mais il réagit fortement, en 1896, avec quelques-uns de ses collègues contre l'intervention abusive du garde des Sceaux au cours d'un débat sur les chemins de fer du Sud.
Le 25 février 1897, le président Loubet informe le Sénat du décès de M. Le Royer, alors âgé de 77 ans : « Ceux qui tiennent le gouvernail - dit-il - pourront consulter avec fruit son expérience consommée. Ils ne rencontreront chez personne un dévouement plus éclairé et plus absolu à la République, un amour plus sincère de la justice et de l'humanité. M. Le Royer a donné à ces nobles causes-là tout son cœur, toute sa vie. »