Marc, Etienne Dufraisse
1811 - 1876
- Informations générales
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- Né le 10 mai 1811 à Ribérac (Dordogne - France)
- Décédé le 22 janvier 1876 à Paris (Seine - France)
1811 - 1876
Représentant en 1849 et en 1871, né à Ribérac (Dordogne) le 10 mai 1811, mort à Paris le 22 janvier 1876, il se fit recevoir avocat. Il appartint dès sa jeunesse au parti républicain et fut mêlé à ses luttes contre la monarchie de juillet.
Après la Révolution de 1848, le gouvernement provisoire le nomma commissaire de la République dans plusieurs départements: il fut ensuite appelé à la préfecture de l'Indre. Elu, le 13 mai 1849, représentant à la Législative dans le département de la Dordogne, le 8e sur 10, par 59,776 voix sur 105,677 votants et 145,779 inscrits, il siégea à la Montagne, et se fit remarquer dans la discussion à laquelle donna lieu, en mars 1851, la proposition Creton, portant abrogation des lois de bannissement contre la famille d'Orléans. M. Marc Dufraisse n'avait pas encore pris la parole dans l'Assemblée, et il n'était pas inscrit pour prendre part au débat, quand la Montagne, provoquée par l'ardente parole de Berryer, l'envoya à la tribune.
« Avant, dit-il, de repousser la proposition de mon vote, ordinairement silencieux, vous le savez, je viens opiner à hautes paroles en faveur des lois de bannissement. Je crois qu'elles étaient justes et utiles au moment où elles ont été portées, et je pense qu'elles sont justes et nécessaires encore aujourd'hui. C'est ce que j'essaierai de démontrer. Cependant, avant d'entreprendre cette tâche qui sera très courte à remplir, je veux vous soumettre une réflexion que m'inspiraient tout à l'heure les paroles de M. Berryer. Trouvez-vous qu'il est bien digne à des représentants de la nation d'offrir en son nom une main oublieuse et compatissante à je ne sais quelle majesté sans royaume qui la rejette ainsi de toute la hauteur de ses dédains? N'estimez-vous pas, au contraire, qu'il est peu convenable à cette assemblée d'ouvrir les bras de la Patrie clémente et généreuse à qui la repousse ainsi avec la dureté de son orgueil?
J'ai avoué que les lois d'ostracisme étaient légitimes dans leur principe et qu'elles étaient très justes, très morales dans leurs fins. Je vais l'établir. Il est inique de reverser sur les enfants la responsabilité des actes de leur père. Je n'admets pas ce sophisme sentimental, et la conscience des peuples a toujours protesté avec énergie contre cette indulgence en faveur des dynasties qui les ont opprimés. Sans doute, en règle générale ordinaire, on ne peut pas frapper les fils pour la faute de leur père. Mais dans le cas qui nous occupe, il ne s'agit pas de cela; non, ce ne sont pas les enfants d'un père coupable que nous frappons, ce sont, entendez bien ceci, les héritiers volontaires, ce sont les représentants intentionnels d'un principe que le vœu du peuple a aboli.
Dans les familles qui se disent souveraines, la solidarité du droit qu'elles revendiquent entraîne avec elle, comme conséquence juste et nécessaire, la solidarité de l'arrêt qui en a proscrit le chef.
Vous dites que légitime ou consentie la royauté ne meurt jamais. Vous avez raison. Nous répondons, nous, que la peine des royautés libres ou consenties ne meurt pas non plus. Avons-nous tort ? Notre logique révolutionnaire est fille de vos paralogismes royalistes. A l'éternité du crime monarchique nous répondons, nous, par l'éternité du châtiment républicain. »
Une agitation prolongée éclate alors. La droite fait entendre les protestations les plus violentes. Le président, Benoist d'Azy, menace de lever la séance. L'orateur reprend la parole, au milieu du tumulte:
« Maintenant que j'en ai dit la raison, il m'est permis de dire que c'est en toute tranquillité de conscience, en toute sérénité d'âme que je voterai pour le maintien des lois de bannissement. J'y serais déterminé d'ailleurs par une autre considération ; ce sont encore les paroles de M. Berryer qui m'autorisent à vous le dire : si les dynasties sont innocentes, les révolutions sont coupables.
Eh bien! si vos princes sont des martyrs, nous avons été, nous, des juges iniques! Si les dynasties sont des victimes, la Révolution est un forfait. Tant que la question sera posée sur ce terrain, je n'hésiterai jamais un seul instant à maintenir les lois de proscription. On parle de générosité. En a-t-on pour nos vaincus? Plaignez-vous leurs familles désolées, leurs enfants, leurs femmes, qui vivent dans le désespoir, quand elles ne meurent pas de besoin ! Ces familles pourtant, Messieurs, sont innocentes ! Eh bien ! amnistiez-vous les cœurs qui les consoleraient, les bras qui les nourriraient? Non : vous avez repoussé la demande d'amnistie. Eh bien! Messieurs, vous vous étonnez que nous repoussions la demande qui vous est faite!
Et l'on parle d'humanité et de clémence! Quant à moi, la sensibilité, qui, comme la vôtre, ne gémit que sur les grandes infortunes, m'a toujours été suspecte au premier chef. Ceux qui s'apitoyaient sur le sort de Louis XVI voulaient, l'événement l'a prouvé depuis, nous ramener à la royauté...»
(Violentes interruptions, rumeurs.) M. Marc Dufraisse fut obligé de s'arrêter pendant quelques instants. Il continue :
« Au surplus, que parle-t-on de régicide? Est-ce que l'aïeul de vos princes n'a pas voté la mort du roi ? Maintenant, si de la question de justice et de souveraineté nous passons à la considération d'utilité, je vous demande s'il est bien opportun de rappeler parmi nous les membres des familles qui peuvent être des prétendants. Vous dites qu'ils ne conspirent pas! C'est possible ; mais qu'en savez-vous? Qui nous le garantira ? Vous dites qu'ils ne conspireront pas. Qui sera juge entre vous et nous? Quant à moi, je crois la rentrée des familles exilées extrêmement dangereuse; c'est pour cela que je la repousse, et je crois être plus humain que vous, humain envers ma patrie à qui je veux épargner de cruels déchirements. »
M. Marc Dufraisse finit au milieu des applaudissements enthousiastes de la Montagne, des cris et des apostrophes violentes de la droite. Il fut un des plus énergiques parmi ceux qui tentèrent de résister au coup d'Etat du Deux-Décembre et aussi l'un des premiers proscrits. Il vécut d'abord en Belgique, où il fut quelque temps correcteur d'imprimerie, puis il devint professeur de législation comparée à l'Ecole polytechnique de Zurich.
Rentré en France après le 4 septembre, il fut nommé par le gouvernement de la Défense nationale commissaire dans le Midi, puis préfet des Alpes-Maritimes, le 14 octobre 1870; il réprima avec énergie les menées du parti séparatiste, et, le 8 février 1871, fut élu représentant des Alpes-Maritimes à l'Assemblée nationale, le 4e et dernier, par 13,362 voix sur 29,928 votants et 61,367 inscrits. Le même jour, il était également élu par le département de la Seine, le 23e sur 43, par 101,688 voix sur 328,970 votants et 547,858 inscrits. Il fut moins heureux dans la Dordogne, où, porté sur la liste républicaine, il échoua avec 28,890 voix sur 97,443 votants. Il donna sa démission de préfet, siégea à la gauche de l'Assemblée, repoussa les préliminaires de paix et vota en toute circonstance avec la minorité républicaine de l'Assemblée. En avril 1873, il prit parti pour la candidature de M. de Rémusat contre la candidature Barodet: «J'estime qu'une élection rassurante à Paris même, en cet ardent foyer d'opinions, et pourquoi ne l'écrirais-je pas? de passions démocratiques, mériterait et vaudrait à la République des sympathies et un concours sans lesquels nous serons impuissants à la créer.» M. Dufraisse fit une vive opposition au gouvernement du 16 mai. Il se prononça contre le septennat, demanda que l'on complétât l'Assemblée par des élections partielles et se prononça énergiquement contre la demande de plébiscite posée par M. Eschassériaux. Il vota contre le ministère de Broglie, appuya les propositions Périer et Maleville, et prononça, le 2 juillet 1874, un grand discours sur la loi électorale municipale. Il s'employa activement à faire adopter par les républicains la Constitution du 25 février 1875. Il combattit avec modération le ministère Buffet et vota contre la loi sur l'enseignement supérieur. Il mourut d'une maladie de cœur à la fin de la législature.
M. Marc Dufraisse a laissé un certain nombre de publications. Nous citerons : Ce que coûte l'Empire, ses finances, ses traitements, paru à Bruxelles en 1853 sous le pseudonyme de Cremutius Cordus. - Le Deux-Décembre devant le Code pénal (Madrid et Bruxelles, 1853). Il a traduit de l'allemand : Motifs du Projet du Code de commerce, de Munzinger. Il a collaboré au Siècle et a donné dans la Libre Recherche une étude sur Camille Desmoulins. Le plus important de ses ouvrages est le Droit de Guerre et de Paix de 1789 à 1815, qui parut en 1867, traité doctrinal d'histoire et de politique d'une grande originalité, où l'auteur se sépare des idées professées sur la politique extérieure par la grande masse du parti républicain de l'époque, en protestant contre l'unité de l'Italie et en combattant avec ardeur le principe des nationalités ainsi que ses applications.