Victor Hugo

1802 - 1885

Informations générales
  • Né le 26 février 1802 à Besançon (Doubs - France)
  • Décédé le 22 mai 1885 à Paris (Seine - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Deuxième République
Législature
Assemblée nationale constituante
Mandat
Du 4 juin 1848 au 26 mai 1849
Département
Seine
Groupe
Droite
Régime politique
Deuxième République
Législature
Assemblée nationale législative
Mandat
Du 13 mai 1849 au 2 décembre 1851
Département
Seine
Groupe
Droite
Régime politique
Assemblée Nationale
Législature
Mandat
Du 8 février 1871 au 9 mars 1871
Département
Seine
Groupe
Extrême-gauche

Mandats au Sénat ou à la Chambre des pairs

Sénateur
du 30 janvier 1876 au 7 janvier 1882
Sénateur
du 8 janvier 1882 au 22 mai 1885

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Pair de France, représentant en 1848, 1849 et 1871, sénateur de 1876 à 1885, né à Besançon (Doubs) le 26 février 1802, mort à Paris le 22 mai 1885, de la famille du conventionnel Joseph Hugo, « fils de Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, natif de Nancy (Meurthe), et de Sophie-Françoise Trébuchet, native de Nantes (Loire-Inférieure), profession de chef de bataillon de la 20e demi-brigade, demeurant à Besançon, mariés, » il eut pour parrain le général Lahorie et pour marraine Mme Delelée, femme d'un officier.

Le premier de ses ancêtres qui ait laissé trace, « parce que les documents antérieurs ont disparu dans le pillage de Nancy par les troupes du maréchal de Créqui en 1670 » serait, d'après Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, un Pierre-Antoine Hugo, né en 1532, conseiller privé du grand-duc de Lorraine, et qui épousa la fille du seigneur de Bioncourt. Mais il résulte de documents authentiques que le grand-père de Victor Hugo, Joseph Hugo, « très excellent républicain et père de neuf enfants dont plusieurs étaient à la frontière, » lit-on dans l'Histoire de Nancy de M. J. Cayon, exerçait dans cette ville la profession de menuisier. Ce Joseph Hugo était lui-même le fils de Jean-Philippe Hugo, cultivateur à Baudricourt, et le petit-fils de Jean Hugo, cultivateur à Domvallier.

Quant au père de Victor Hugo, on sait qu'il devint général sous l'Empire et se distingua par ses brillants services. Mais on croit généralement et à tort que sa mère, Sophie-Françoise Trébuchet, fut une brigande vendéenne, ayant suivi à travers le Bocage la veuve de Bonchamps et la veuve de Lescure ; pendant la guerre de la Vendée, elle demeura tranquillement chez son père, armateur à Nantes. En revanche, l'enfance du jeune Victor fut particulièrement aventureuse :

Avec nos camps vainqueurs, dans l'Europe asservie,
J'errai, je parcourus la terre avant la vie,

a t-il écrit dans les Odes et Ballades. En effet, il fit, à peine âgé de six semaines, son premier voyage, de Besançon à Marseille. Puis le 4e bataillon de la 20e demi-brigade ayant été envoyé en Corse et à l'Ile d'Elbe, les trois fils du commandant Hugo l'y suivirent. Sur la fin de l'an XIII (septembre 1805), Mme Hugo, dont le mari avait reçu l'ordre d'embarquer son bataillon pour Gênes et de gagner à marches forcées l'Adige et l'armée d'Italie, quitta la Corse avec ses enfants et vint à Paris, où elle se logea au numéro 24 de la rue de Clichy : Victor allait à l'école rue du Mont-Blanc, aujourd'hui rue de la Chaussée-d'Antin. Devenu gouverneur de la province d'Avellino, au service du roi de Naples, Joseph, le père de Victor Hugo fit venir sa famille auprès de lui ; mais elle ne le suivit pas à Madrid, lorsqu'il y rejoignit (1808) son protecteur, devenu roi d'Espagne. Mme Hugo préféra se fixer à Paris, tout près du Val-de-Grâce, dans une vaste maison qui avait été, avant la Révolution, le couvent des Feuillantines. Victor Hugo y passa les trois années écoulées depuis la fin de 1808 jusqu'au printemps de 1811. Lorsqu'il revint de Madrid, au commencement de 1812, il rentra aux Feuillantines pour y demeurer jusqu'au 31 décembre 1813. Le poète a immortalisé ces premiers souvenirs dans une pièce des Rayons et des Ombres présente à toutes les mémoires :

Le jardin était grand, profond, mystérieux,
Fermé par de hauts murs aux regards curieux.

Il y est revenu dans une page délicieuse d'un livre étrange, le Dernier jour d'un condamné : « Je me revois enfant, écolier rieur et frais, jouant, courant, criant avec mes frères dans la grande allée verte de ce jardin sauvage où ont coulé mes premières années, ancien enclos de religieuses que domine de sa tête de plomb le sombre dôme du Val-de-Grâce. Et puis, quatre ans plus tard, m'y voilà encore, toujours enfant, mais déjà rêveur et passionné. Il y a une jeune fille dans le solitaire jardin. La petite Espagnole, avec ses grands yeux et ses grands cheveux, sa peau brune et dorée, ses lèvres rouges et ses joues roses, l'Andalouse de quatorze ans, Pepa. Nos mères ont dit d'aller courir ensemble... » Pepa, c'était Mlle Foucher, celle qui sera quelques années plus tard Mme Victor Hugo. Ayant achevé son éducation classique, ainsi que son frère Eugène, sous un vieux maître M. Larivière, ancien prêtre de l'Oratoire, qui leur avait déjà enseigné les premiers éléments du latin, Victor reçut encore les enseignements de son parrain, le général Lahorie, proscrit pour sa participation à la conspiration du général Malet, et qui avait cherché un asile aux Feuillantines : trahi, arrêté et emprisonné, il fut mis à mort par le gouvernement impérial.

Aux Cent-Jours, malgré toutes les marques de sa vocation pour la poésie, le jeune homme fut placé dans une institution préparatoire à l'Ecole polytechnique. Mais l'étude des mathématiques ne l'empêcha point de faire des vers, et même de composer des tragédies, comme Irtamène, écrite suivant la formule d'Aristote :

Mes souvenirs germaient dans mon âme échauffée ;
J'allais chantant des vers d'une voix étouffée,
Et ma mère en secret, observant tous mes pas,
Pleurant et souriant, disait : C'est une fée
qui lui parle et qu'on ne voit pas.

Après la seconde Restauration, en septembre 1815, le général Hugo s'était fixé à Paris ; mais son retour, bien loin de réunir enfin les deux époux, tenus si souvent et si longtemps éloignés l'un de l'autre par les événements, devint au contraire l'occasion de leur séparation complète et définitive. Victor, que sa pension - la pension Cordier - menait au collège Louis-le-Grand, n'obtint au concours général de 1818 qu'un cinquième accessit de physique. En revanche, il emportait avec lui, à la fin de ses études, force cahiers sur lesquels il avait mis au net un mélodrame en trois actes avec deux intermèdes, Inez de Castro, un opéra comique, A quelque chose hasard est bon, un poème sur le déluge, des odes, des satires, des épitres, des élégies, des idylles, des imitations d'Ossian, des traductions de Virgile, d'Horace, de Lucain, des romances, des fables, des contes, des épigrammes, des madrigaux, des logogriphes, des acrostiches, des charades, des énigmes et des impromptus. En 1817, il avait traité le sujet mis au concours par l'Académie française, les Avantages de l'étude, et s'était annoncé, dans sa pièce même, comme un poète de quinze ans :

Moi qui, toujours fuyant les cités et les cours,
De trois lustres à peine ai vu finir le cours.

L'Académie se crut mystifiée, dit Sainte-Beuve, et n'accorda qu'une mention au lieu d'un prix. Victor, averti par un camarade, prit son extrait de naissance et l'alla porter à M. Raynouard, secrétaire perpétuel, qui fut émerveillé ; mais il était trop tard pour réparer la méprise, la palme avait été adjugée. De 1819 à 1822, le jeune poète soumit plusieurs autres pièces à l'Académie française ; en même temps il en adressait trois aux Jeux floraux de Toulouse : les Derniers bardes, les Vierges de Verdun et le Rétablissement de la statue de Henri IV. Dans cette dernière pièce, Victor Hugo rappelait le rôle actif joué par lui-même dans la journée du 13 août 1818, lorsque la statue, sortie de la fonderie royale du faubourg du Roule, fut portée par la foule depuis l'allée de Marigny jusqu'à la hauteur du Louvre :

Par mille bras traîné, le lourd colosse roule.
Ah ! volons, joignons-nous à ces efforts pieux.
Qu'importe si mon bras est perdu dans la foule ?
Henri me voit du haut des cieux.

Il obtint plusieurs prix et fut proclamé maître ès jeux floraux. Ces heureux succès attirèrent sur lui l'attention publique, et le monde royaliste fit fête (1822) au premier volume des Odes et ballades, empreint du sentiment religieux et monarchique le plus prononcé. Ce fut alors qu'il épousa sa compagne d'enfance, que Chateaubriand le baptisa l'Enfant sublime, et que le gouvernement royal fit de lui son poète favori : on sait la part qu'il eut aux largesses de Louis XVIII. Jusque-là, Victor Hugo, collaborateur du Conservateur littéraire, était demeuré fidèle à la forme classique; il commença de l'abandonner dans deux romans : Han d'Islande (1823) et Bub-Jargal (1825), où l'antithèse, cette figure préférée du poète, mit en relief de singulières nouveautés de langage. Bientôt il se forma autour de lui, sous le nom de Cénacle, un cercle de jeunes gens dont l'organe fut la Muse française, et qui furent les promoteurs du romantisme. Chateaubriand, alors ministre des Affaires étrangères, était leur véritable chef de file, en politique comme en littérature. Le second volume des Odes, paru en 1824, valut l'année d'après à son auteur la croix de chevalier de la Légion d'honneur (29 avril 1825).

En même temps, le roi Charles X l'invitait à son sacre qui devait avoir lieu le 29 mai. A la date fixée, Victor Hugo, revêtu du costume officiel, habit à la française, épée en verrouil, manchettes et jabots de dentelles, pénétra dans la basilique de Reims, s'agenouilla sur les dalles et chanta :

O Dieu ! garde à jamais ce roi qu'un peuple adore !
Romps de ses ennemis les flèches et les dards !
Qu'ils viennent du couchant, qu'ils viennent de l'aurore,
Sur des coursiers ou sur des chars !
Charles, comme au Sina, t'a pu voir face à face !
Du moins qu'un long bonheur efface
Ses bien longues adversités !
Qu'ici-bas des élus il ait l'habit de fête !
Prête à son front royal deux rayons de ta tête ;
Mets deux anges à ses côtés !

A peine l'Ode sur le sacre avait elle paru, que Charles X conférait au général Hugo le grade de lieutenant-général. Le 24 juin, le poète présenta lui-même ses vers au roi, ayant eu la joie d'obtenir une audience. « Mais si sa joie fut grande, écrit un biographe, son embarras ne le fut guère moins. Il n’ignorait point, en effet, que pour se présenter au château, la culotte courte était de rigueur, et il n'en avait pas. Où en prendre une ? Il eut la bonne idée de courir chez un de ses anciens collaborateurs de la Muse française, M. Charles Brifaut, homme de cour par excellence et possesseur des plus belles culottes du monde. Il lui exposa sa situation. L'auteur de Ninus II prêta bien vite au futur auteur de Cromwell l'objet de ses convoitises, et c'est ainsi que le grand poète fit son entrée aux Tuileries, dans la culotte de M. Brifaut. »

Très favorablement accueillie par le pouvoir à cause de ses tendances religieuses et politiques, la réaction romantique trouva son manifeste littéraire dans la préface de Cromwell (1827). Ecrite avec l'entrain d'une jeunesse sûre d'elle-même, cette préface remplaçait un système poétique par un autre, réclamait pour la littérature nouvelle le droit d'ajouter, - d'autres dirent de substituer, - le laid au beau, et d'affranchir l'inspiration des règles scolastiques. Les réformateurs en vinrent à faire consister l'art surtout dans l'opposition du tragique et du grotesque, du blanc et du noir, de la lumière et de l'ombre, et à le renfermer parfois dans un cadre assez étroit.

Cromwell fut loué et combattu avec fanatisme. Les libéraux, en général nourris de la littérature et de la philosophie du XVIIIe siècle, ne virent pas sans défiance un mouvement qui exaltait la forme aux dépens du fond. Les Orientales, publiées en 1828, trahirent surtout la préoccupation de renouveler le rythme ; elles émerveillèrent le lecteur par la prodigieuse richesse du coloris et des images, en même temps qu'elles le déconcertaient par l'indigence voulue de la pensée. Les sectateurs du poète portèrent l'œuvre jusqu'aux nues, et Victor Hugo, en possession de tout son talent, entra dans une période que l'on peut appeler triomphale : Le dernier jour d'un condamné, poignante analyse des plus cruelles sensations qu'un homme puisse éprouver, fut, dans l'intention de l'auteur, « un plaidoyer direct ou indirect, comme on voudra, pour l'abolition de la peine de mort, » abolition dont il se déclara, dès lors, le partisan. Cependant Victor Hugo, pressé de mettre à la scène une œuvre qui pût donner à la nouvelle école la consécration du théâtre, crut trouver dans Marion Delorme un sujet favorable à l'exposition de ses théories : la courtisane, c'était le mal ; le noble aventurier, Didier, c'était le bien ; le bien tendait la main au mal, et la courtisane se trouvait relevée par l'aventurier, purifiée par la douleur de le voir mourir pour elle. La censure s'alarma : terminée en juin 1829, Marion fut interdite sous le ministère Martignac, au mois de juillet 1829, et Charles X maintint l'interdiction. Le roi montra plus d'indulgence pour Hernani, « ne se reconnaissant, dit-il cette fois, d'autre droit que sa place au parterre » et la seconde pièce parut au Théâtre français le 25 février 1830. Une véritable « bataille », restée célèbre dans les annales de la littérature, s'engagea le jour de la première représentation, entre les fanatiques de la nouvelle école et les défenseurs obstinés de l'ancienne ; il y eut des scènes violentes; mais les amis du poète l'emportèrent, la tragédie dut céder le pas au drame, et Hernani prit place au répertoire.

Rallié dès la première heure à la monarchie de Louis-Philippe, qui permit la représentation de Marion Delorme (août 1831), Victor Hugo rechercha et obtint avec Le Roi s'amuse (22 novembre 1832) un succès plus orageux, dont le gouvernement, cette fois, craignit de se rendre solidaire : la pièce fut interdite le second jour, par ordre ministériel. Vainement le poète, devant le tribunal de commerce, soutint lui-même la moralité de sa pièce et revendiqua, dans un plaidoyer très applaudi, la liberté du théâtre : la défense fut confirmée.


Plusieurs drames nouveaux qui se succédèrent rapidement : Lucrèce Borgia, Marie Tudor (1833), Angelo (1835), Ruy-Blas (1838), les Burgraves (1843), captivèrent l'attention par le mélange saisissant du comique et du tragique, et par le perpétuel contraste de sentiments où se plaisait l'auteur. Un brillant roman historique, Notre-Dame-de-Paris (1831), glorifia et mit à la mode le moyen âge, cher aux romantiques ; des mérites de premier ordre et de séduisants défauts firent de cet ouvrage le plus beau titre du prosateur, tandis que les Feuilles d'automne (1831), les Chants du crépuscule (1835), les Voix intérieures (1837), les Rayons et les ombres (1840), ajoutaient encore à la gloire du poète lyrique : Victor Hugo prodiguait son génie dans tous les genres, et des œuvres diverses : l'Etude sur Mirabeau, Littérature et philosophie mêlées (1834), le Rhin (1842), et de simples études comme Claude Gueux, inséré en 1834 dans la Revue de Paris, participaient au même succès.

Le 2 juillet 1837, il fut promu officier de la Légion d'honneur.

L'Académie se refusa longtemps à consacrer la renommée de Victor Hugo ; elle lui accorda pourtant, (3 juin 1841), après bien des résistances le fauteuil de Népomucène Lemercier.

En politique, le poète qui avait célébré le retour des Bourbons et les héros de la Vendée, collaborait de tout son pouvoir à la légende napoléonienne (l'Ode à la colonne, - Napoléon II). Il rêvait aussi d'ajouter à toutes ses gloires celle de la tribune, où son devancier et son émule, Chateaubriand, le vrai père du romantisme, avait fait entendre sa voix ; il brûlait d'arriver au pouvoir par la littérature. Son discours de réception à l'Académie française fut une sorte de discours-ministre, moins littéraire que politique, auquel répondit avec finesse M. de Salvandy. Au retour de plusieurs voyages de touriste dans divers pays, voyages interrompus par la mort tragique de sa fille Léopoldine et de son gendre Charles Vacquerie, le poète fut nommé (13 avril 1845) pair de France par le roi Louis-Philippe.

Son premier discours à la Chambre haute fut prononcé le 18 février 1846, au sujet d'un projet de loi sur les marques de fabrique et la propriété artistique et littéraire ; mais celui qui fit le plus de bruit date du mois de juin 1846 : il était relatif aux affaires de Gallicie. L'Autriche, en pleine paix, et sans provocation, venait de mettre la main sur ce qui restait encore de la Pologne, sur la ville de Cracovie. Victor Hugo parla en faveur de Cracovie, avec une éloquence abondante et imagée peu en usage dans les assemblées parlementaires.

L'année d'après, ce fut l'abrogation des lois d'exil et le rappel des Bonaparte qu'il réclama à la tribune du Luxembourg (14 juin 1847). L'auteur des odes napoléoniennes était cette fois conséquent à lui-même, en s'écriant :
« Quand je vois les consciences qui se dégradent, l'argent qui règne, la corruption qui s'étend, les positions les plus hautes envahies par les passions les plus basses, en voyant les misères du temps présent, je songe aux grandes choses du temps passé, et je suis par moments tenté de dire à la chambre, à la presse, à la France entière: Tenez, parlons un peu de l'empereur, cela nous fera du bien ! »
Tout en revendiquant pour les princes le droit de rentrer en France, il ajoutait ces paroles, qui ont été retranchées plus tard du recueil de ses discours politiques de 1846 à 1851 (Actes et paroles. Avant l'exil. 1875) :
« Je leur imposerais une condition, une seule ; ce serait de demander leur rentrée. De la demander à qui ? Au roi, qui représente l'unité inviolable et perpétuelle de la nation, et aux Chambres, qui en représentent le mouvement, la pensée et la vie. » (Moniteur du 15 juin 1847.)

Mais la révolution de février vint ouvrir une nouvelle carrière à son ambition. Candidat du comité électoral conservateur de la rue de Poitiers, il fut, au scrutin complémentaire du 4 juin 1848, motivé par onze options ou démissions, élu représentant de la Seine à l'Assemblée constituante, le 7e sur 11, par 86 965 voix (248 392 votants, 414 317 inscrits).

Sa profession de foi, intitulée Victor Hugo à ses concitoyens, contenait ce passage : « Deux Républiques sont possibles. L'une abattra le drapeau tricolore sous le drapeau rouge, fera des gros sous avec la colonne, jettera la statue de Napoléon et dressera la statue de Marat, détruira l'Institut, l'Ecole polytechnique et la Légion d'honneur, ajoutera à l'auguste devise : Liberté-Egalité-Fraternité, l'option sinistre ou la mort, fera banqueroute, ruinera les riches sans enrichir les pauvres, anéantira le crédit qui est la fortune de tous, et le travail qui est la paix de chacun, abolira la propriété et la famille, promènera des têtes sur des piques, remplira les prisons par le soupçon et les videra par le massacre, mettra l'Europe en feu et la civilisation en cendres, fera de la France la patrie des ténèbres, égorgera la liberté, étouffera les arts, décapitera la pensée, niera Dieu, remettra en mouvement ces deux machines fatales qui ne vont pas l'une sans l'autre : la planche aux assignats et la bascule de la guillotine, en un mot, fera froidement ce que les hommes de 93 ont fait ardemment, et, après l'horrible dans le grand que nos pères ont vu, nous montrera le monstrueux dans le petit. L'autre sera la sainte communion des Français dès à présent et de tous les peuples un jour dans le principe démocratique, fondera une liberté sans usurpation et sans violences, une égalité qui admettra la croissance naturelle de chacun, une fraternité, non de moines dans un couvent, mais d'hommes libres, donnera à tous l'enseignement comme le soleil donne la lumière..., etc. De ces deux Républiques, celle-ci s'appelle la civilisation, celle-là s'appelle la terreur. Je suis prêt à dévouer ma vie pour établir l'une et empêcher l'autre. »

A la Constituante, Victor Hugo siégea dans les rangs de la minorité, et ses votes le montrèrent beaucoup plus près de la droite que du parti démocratique : avec celui-ci, il repoussa l'autorisation de poursuites contre Louis Blanc et Caussidière, réclama, dans un discours du 15 septembre 1848, l'abolition de la peine de mort, refusa de déclarer que le général Cavaignac avait bien mérité de la patrie, et rejeta l'ensemble de la Constitution ; avec la droite, il appuya le décret contre les clubs, parla, le 20 juin 1848, contre les ateliers nationaux, en accentuant son attitude par cette apostrophe : « C'est aux socialistes que je m'adresse ! » repoussa le droit au travail, l'impôt progressif, le Crédit foncier, l'abolition du remplacement militaire, se prononça contre l'amendement Grévy, et prit la parole, le 29 janvier 1849, aux applaudissements de la droite pour soutenir la proposition Rateau :
« Ce que nous voulons, conclut-il, c'est la fixation d'une date (Rumeurs à gauche). Je termine en suppliant l'Assemblée constituante de convoquer l'Assemblée législative, de ne pas s'arrêter à ces vaines terreurs que je lui ai signalées et qui retomberaient sur elle-même ; et quant à moi, je voterai pour le terme possible le plus prochain. » (Approbation à droite.)

Le journal l'Evénement, fondé par lui un mois après l'insurrection de juin (1er août 1848), et auquel collaborèrent ses deux fils Charles et François, P. Meurice, M. Vacquerie, Th. Gautier et M. A. Vitu, posa la candidature de Victor Hugo à la présidence de la République. Ce journal disait qu'il fallait nommer le grand poète, parce qu'il referait le monde à l'image de Dieu ; qu'au-dessus de tous les hommes et de toutes les sociétés il y avait le poète, celui qui prédit, vates, « à la fois bras et tête, cœur et pensée, glaive et flambeau, doux et fort, doux parce qu'il est fort, fort parce qu'il est doux, conquérant et législateur, roi et prophète, lyre et épée, apôtre et messie, etc. »

Cette politique inspirée trouva peu d'écho : Victor Hugo eut quelques milliers de voix. Il se rallia alors à la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte, et l'Evénement qui avait combattu le général Cavaignac au pouvoir, l'Evénement poursuivi, condamné, supprimé, reparut après l'élection présidentielle du 10 décembre, sous ce titre significatif : l'Avènement.

Jusqu'à la dissolution de l'Assemblée constituante, Victor Hugo opina uniformément avec le « parti de l'ordre » : pour le renvoi des accusés du 15 mai devant la Haute Cour, pour les crédits de l'expédition romaine, contre l'amnistie des transportés, etc.
Son attitude à l'Assemblée législative fut différente. Réélu représentant de la Seine, le 13 mai 1849, le 10e sur 28, par 117 069 voix (281 140 votants, 378 043 inscrits), Victor Hugo rallié, par l'influence d'Emile de Girardin et pour des motifs analogues, a-t-on dit, à ceux du directeur de la Presse, au parti de la République démocratique, devint un des principaux orateurs, sinon un des chefs de ce parti dans l'Assemblée. Toutefois il ne s'associa point à la demande d'interpellation de Ledru-Rollin sur les affaires de Rome, ni à la protestation et à l'appel aux armes lancés par la Montagne. Le 9 juillet 1849, il prononça en faveur d'une proposition de M. de Melun sur l'Assistance publique un discours assez ambigu, où il félicitait son collègue de vouloir étouffer « les chimères du socialisme sous les réalités de l'Evangile », tout en déclarant qu'il y avait quelque chose de vrai « dans cet amas de notions confuses, d'aspirations obscures, d'illusions inouïes, d'instincts irréfléchis, de formules incorrectes, qu'on désigne sous ce nom vague et d'ailleurs fort peu compris de socialisme ». Au congrès de la paix tenu en août 1849, Victor Hugo se félicita d'avoir « déposé dans les esprits, en dépit des préjugés et des inimitiés internationales, le germe impérissable de la paix universelle ». Puis il reprit sa place à l'Assemblée. Le 19 octobre 1849, il donna un premier gage à la minorité républicaine en se montrant opposé à la continuation de l'expédition romaine, « irréprochable, dit-il, à son point de départ, et qui peut devenir coupable par le résultat. » Il revint sur le même sujet et sur l'expression de la même opinion le lendemain, 20 octobre, en réponse à Montalembert, son contradicteur ordinaire, avec qui, pendant près de trois années, il ne cessa de faire assaut d'éloquence. Une des harangues les plus retentissantes de Victor Hugo fut celle qui eut trait, le 15 janvier 1850, à la question de la liberté d'enseignement. Il combattit, cette fois au milieu des interruptions de la majorité et des acclamations de la gauche, la loi élaborée par M. de Falloux, et dénonça en ces termes les envahissements du « parti clérical » : « Ce que l'on veut, dit-il, c'est le gouvernement par la léthargie. Mais, qu'on y prenne garde, rien de pareil ne convient à la France. C'est un jeu redoutable que de lui laisser entrevoir, seulement entrevoir, à cette France, l'idéal que voici : la sacristie souterraine, la liberté trahie, l'intelligence vaincue et liée, les livres déchirés, le prône remplaçant la presse, la nuit faite dans les esprits par l'ombre des soutanes, et les génies matés par les bedeaux !... Je le répète, que le parti clérical y prenne garde, le dix-neuvième siècle lui est contraire : qu'il ne s'obstine pas, qu'il renonce à maîtriser cette grande époque pleine d'instincts profonds et nouveaux, sinon il ne réussira qu'à la courroucer, il développera imprudemment le côté redoutable de notre temps, et il fera surgir des éventualités terribles. Oui, avec ce système, qui fait sortir, j'y insiste, l'éducation de la sacristie et le gouvernement du confessionnal.... » Cette violente sortie provoqua un long tumulte. Des cris à l'ordre ! s'élevèrent, plusieurs membres de la droite étaient debout et interrompaient l'orateur. On lit, à cet endroit du discours, dans le recueil Actes et paroles, publié par Victor Hugo lui-même, l'indication suivante : « M. le président et M. Victor Hugo échangent un colloque qui ne parvient pas jusqu'à nous. » Il parvint du moins jusqu'aux sténographes, et la lecture du Moniteur du 16 janvier 1850 permet d'en rétablir le texte :
« M. le Président.
- Par ces expressions vous attaquez non seulement ce que vous appelez le parti clérical, mais encore la religion elle-même.
M. Victor Hugo.
- Je croyais avoir fait dès les premiers mots une distinction comprise de l'Assemblée. Cette distinction j'y insiste, en couvrant de ma vénération l'Eglise, notre mère à tous ! »
Victor Hugo parla encore contre la loi sur la déportation, le 5 avril 1850 ; pour l'intégrité du suffrage universel, le 20 mai ; pour la liberté de la presse le 9 juillet, et contre la demande de révision de la Constitution, le 17 juillet. Ces discours enflammés, au moins dans la forme, déchaînèrent presque tous, comme autrefois ses drames, les plus tumultueux orages. La conversion de l'illustre orateur à la forme républicaine était de trop fraîche date pour ne pas lui attirer de la part de ses anciens collègues de la pairie et de la droite les plus vives récriminations. On lui citait des strophes de ses odes napoléoniennes et royalistes, on le renvoyait aigrement au Parnasse.

Dans les derniers temps de la législature, il tonna fréquemment à la tribune contre la personne et la politique de Louis-Napoléon Bonaparte, qu'il représenta rêvant dans l'ombre la restauration de sa dynastie. C'est pendant l'une de ces séances de novembre 1851 qu'il faillit s'évanouir, après avoir parlé cinq heures contre le rétablissement de l'Empire, qu'il prévoyait d'autant mieux qu'il était de ceux qui l'avaient rendu possible. Il ne fut cependant pas inquiété au coup d'Etat de décembre ; il suffit pour s'en assurer de lire les dépêches échangées alors à son sujet.
Morny à Maupas, 4 décembre, 2 h. :
« Pour Hugo, je laisse à votre appréciation. »
Préfet de police à Ministre de l'intérieur, 6 h. 20 soir :
« Je désirerais beaucoup avoir votre avis au sujet d'une perquisition à faire chez M. Foucher, conseiller à la Cour de cassation, où paraît être caché V. Hugo. »
Morny à Maupas :
« Ne faites rien. »

Victor Hugo s'attribua du moins dans les tentatives de résistance de la gauche de l'Assemblée un rôle que les deux volumes de l'Histoire d'un crime (déposition d'un témoin), publiés en 1877, ont raconté avec complaisance. Les événements de la nuit du 2 décembre, les affiches du coup d'Etat, les conciliabules des représentants restés libres, la violation de la salle des séances de l'Assemblée législative, l'inaction du président Dupin, l'arrêt prudent de la Haute Cour, « chef-d'œuvre du genre oblique », la réunion tenue à la mairie du Xe arrondissement, les incidents de la barricade Saint-Antoine, la mort de Baudin, les batailles du quartier des Halles, sont relatés dans le détail. Victor Hugo prit part à la lutte, et s'efforça vainement de soulever le peuple : « On avait arrêté, dit-il, tous les hommes de guerre de l'Assemblée et tous les hommes d'action de la gauche. Ajoutons que tous les chefs possibles de barricades étaient en prison. Les fabricateurs du guet-apens avaient soigneusement oublié Jules Favre, Michel de Bourges et moi, nous jugeant moins hommes d'action que de tribune, voulant laisser à la gauche des hommes capables de résister, mais incapables de vaincre, espérant nous déshonorer si nous ne combattions pas et nous fusiller si nons combattions. »

Après le succès du coup d'Etat, Victor Hugo fut porté sur la première liste qui expulsait du territoire français les plus ardents ennemis du pouvoir. Il passa en Belgique, et de là à Jersey, d'où il fut forcé de s'éloigner (1855) avec tous les réfugiés signataires d'une protestation contre l'expulsion de trois d'entre eux ; il se fixa alors à Guernesey pour toute la durée de l'Empire.

Dans les premières années d'exil, il publia sous ce titre : Napoléon le Petit (1852), une véhémente brochure, bientôt suivie des Châtiments (1853), recueil d'anathèmes éloquents contre l'empereur et son entourage, édité, comme l'ouvrage précédent, à l'étranger, et qui n'en eut pas moins en France, grâce à une circulation clandestine que le pouvoir fut impuissant à réprimer, un retentissant succès. Trois œuvres poétiques d'un caractère plus calme prirent rang, à leur tour, parmi les chefs-d'œuvre de l'auteur : les Contemplations (1856), la Légende des siècles (1859), et les Chansons des rues et des bois (1865). Le besoin de frapper les esprits, de les fixer sur des sujets peu réjouissants, lui font rechercher les malheurs les plus épouvantables, les plaies physiques ou morales les plus repoussantes ; pour intéresser l'homme à toutes ces misères, son style martèle la pensée, recherche la bizarrerie, outre la métaphore, force l'attention par la singularité des images, par l'étrangeté des mots. Sa gloire littéraire souffre parfois de cette accumulation de hideurs morales et poétiques ; n'importe, il faut obtenir qu'on s'attendrisse sur le pourceau, sur l'araignée, sur l'âne, sur le crapaud, sur le forçat. Dans l'intervalle, un ouvrage considérable en prose, annoncé depuis de nombreuses années et lancé avec une grande habileté, jeta autour du nom de Victor Hugo autant d'éclat que la plus brillante de ses œuvres passées : les Misérables, grand roman social, traduit d'avance en neuf langues, fut mis en vente dans toute l'Europe le même jour, 3 avril 1862.

Après avoir refusé de profiter de l'amnistie de 1859, Victor Hugo repoussa avec plus de hauteur encore la seconde, celle de 1869, et se consacra jusqu'à la fin du régime impérial à une production littéraire incessante. Mais ni les Travailleurs de la Mer (1866), ni l'Homme qui rit (1869) ne valurent à l'auteur un aussi grand triomphe que la reprise de Hernani au Théâtre Français, en juin 1867, à l'occasion de l'Exposition universelle. Un succès analogue accueillit plus tard la représentation de Lucrèce Borgia à la Porte-Saint-Martin (février 1870). Ce fut vers la même époque que ses fils, Charles et François Hugo, fondèrent à Paris, avec MM. Auguste Vacquerie, Paul Meurice, Edouard Lockroy, le journal le Rappel, auquel collaborèrent, de l'exil, Louis Blanc et Félix Pyat, et qui contribua à précipiter la chute de l'Empire. Victor Hugo lui-même adressa à cette feuille plusieurs communications ; un article, signé de lui, contre le plébiscite, le fit citer, le 11 mai 1870, à l'audience de la troisième chambre comme prévenu d'avoir excité à la haine et au mépris du gouvernement.
La révolution du 4 septembre ramena Victor Hugo à Paris. Le 5, il y fut reçu avec enthousiasme, puis il passa le temps du siège au pavillon de Rohan. La patrie, qu'il revoyait envahie, lui inspira de nouveaux chants ; mais il ne publia rien jusqu'en 1872. Il adressa seulement à la démocratie allemande une proclamation où il l'invitait à tendre la main à la France, se prononça en octobre contre la nécessité d'élections municipales immédiates, pour le gouvernement de la Défense nationale, et contre l'établissement de la Commune, et, porté sur plusieurs listes républicaines aux élections du 8 février 1871 à l'Assemblée nationale, fut élu représentant de la Seine, le 2e sur 43, - le premier était Louis Blanc, - par 213 686 voix (328,970 votants, 547 858 inscrits).

Il se rendit à Bordeaux, s'assit à l'extrême gauche, et, dans la séance du 1er mars 1871, prononça un énergique discours contre les préliminaires de paix. Un peu plus tard, son intervention en faveur de Garibaldi, que la majorité n'avait pas voulu admettre, lui ayant attiré de violentes interruptions de la part de la droite, et notamment cette exclamation de M. de Lorgeril : « M. Victor Hugo ne parle pas français ! » Victor Hugo quitta la tribune et adressa au président la lettre suivante : « Il y a trois semaines, l'Assemblée a refusé d'entendre Garibaldi, aujourd'hui elle refuse de m'entendre : je donne ma démission. »

L'année 1871 fut pour lui une des plus tristes de sa longue carrière. Son fils Charles mourut subitement à Bordeaux, et le malheureux père ramena le corps à Paris le jour même ou éclatait l'insurrection du 18 mars. Il séjourna dans la capitale, évita de prendre parti dans la lutte entre la Commune et Versailles, protesta cependant contre la démolition de la colonne Vendôme, et à la fin du second siège, se retira à Bruxelles. Il y écrivit, le 26 mai, une lettre par laquelle, malgré une décision du ministère belge, il offrait un asile chez lui aux soldats de la Commune. Cette lettre provoqua une émeute dans la ville : plusieurs individus vinrent attaquer la maison qu'il habitait avec sa famille, et il n'échappa à cette agression que grâce à l'intervention de la police. Obligé de quitter la Belgique, il s'établit quelque temps à Vianden dans le Luxembourg ; puis il rentra à Paris et habita un instant la rue La Rochefoucauld.
C'est là qu'un nouveau deuil le priva de son dernier fils, François Hugo, après une cruelle maladie (décembre 1873). Présenté par la presse radicale de la Seine comme candidat à l'élection complémentaire du 7 juillet 1872, il accepta le « mandat contractuel », qu'il opposait au « mandat impératif », et échoua avec 95 000 voix contre 122 395 à l'élu, M. Vautrain, de la nuance centre gauche. Au même moment parut un nouveau volume de poésie, l'Année Terrible, inspiré par les récents désastres de la France. Bientôt après, Victor Hugo entreprit de rééditer ses discours, allocutions, professions de foi, etc. ; il donna aussi Mes fils, et Quatre-vingt-treize, grand roman historique et politique, et ne cessa, quoique sans mandat électif, de se tenir en communication avec le peuple parisien par une série de lettres insérées dans les journaux, par la présidence de diverses conférences et par plusieurs discours prononcés sur les tombes d'Edgar Quinet, de Mme Louis Blanc, de Mme Paul Meurice, etc.

Aux élections sénatoriales du 30 janvier 1876, le conseil municipal de Paris, par l'organe de son président, M. Clemenceau, lui offrit la candidature républicaine radicale, qu'il accepta : il fut élu sénateur de la Seine, mais seulement le 4e sur 5, et au second tour de scrutin, par 115 voix (209 votants).
Dès le 21 mars, il déposa sur le bureau de la Chambre haute une proposition d'amnistie plénière. Le 22 mai, il monta à la tribune pour la défendre, et fut écouté dans un profond silence ; mais il ne réunit au scrutin que six voix en faveur de sa proposition. En 1877, adversaire de la dissolution de la Chambre et du gouvernement du Seize-Mai, il fit partie du comité de résistance institué par les gauches du Sénat et répondit aux menaces de coup d'Etat et de restauration monarchique par la publication de l'Histoire d'un crime, qu'il fit précéder de cet avis : « Ce livre est plus qu'actuel ; il est urgent. Je le publie. »

Après la victoire des républicains, il soutint les divers ministères de gauche qui se succédèrent au pouvoir, remonta à la tribune en janvier 1879 pour soutenir à nouveau la cause de l'amnistie, et, l'année d'après, lorsque cette mesure eut été adoptée par les Chambres, fut avec Louis Blanc l'un des présidents d'honneur du Comité central d'aide aux amnistiés.
Cette dernière période de sa vie politique n'avait pas laissé le poète inactif. A la fin de 1876 avait paru la seconde partie de la Légende des siècles. Dans l'Art d'être grand-père, on retrouva le langage plus discret, plus attendri des premières œuvres du maître ; le Pape, la Pitié suprême, Religions et religion affirmèrent l'indépendance de la pensée à l'égard des dogmes révélés et la tolérance universelle. Victor Hugo avait donné un autre gage aux mêmes doctrines en présidant (1873) solennellement aux cérémonies du centenaire de Voltaire, qu'il avait, en d'autres temps, appelé

Ce singe de génie
Chez l'homme en mission par le diable envoyé

Les années 1881, 1882, 1883, virent naître des ouvrages inférieurs, où l'on sentit l'effort fatigué d'une longue et laborieuse existence : les Quatre Vents de l'Esprit, le drame de Torquemada, enfin une dernière Légende des siècles. Jamais pourtant la renommée de Victor Hugo ne fut aussi éclatante, jamais l'admiration qui s'attachait à sa personne et à ses écrits ne fut portée aussi haut. En 1881, alors qu'il entrait dans sa 80e année, et, en 1882, d'enthousiastes manifestations se produisirent en son honneur, et il put se croire véritablement le roi littéraire du siècle. Après un court séjour rue de Clichy, il s'était fixé dans un petit hôtel de l'avenue d'Eylau, qui a reçu, avant sa mort, le nom d'avenue Victor Hugo. Sa robuste vieillesse le désignait pour devenir centenaire, lorsqu'il fut saisi d'un refroidissement compliqué d'une ancienne maladie de cœur ; il expira le 22 mai 1885.

On lui fit, aux frais du trésor public, de magnifiques obsèques, et le deuil de la France, auquel le monde s'associa, éclata dans la pompe extraordinaire et dans l'immense cortège qui accompagnèrent le poète au Panthéon, désaffecté par les Chambres pour recevoir son cercueil.

Victor Hugo, dans ses entretiens familiers, mettait, a écrit M. Jules Claretie, de la coquetterie à rappeler qu'il avait « assisté à la fin d'un monde évanoui. » « Quand j'étais pair de France, disait-il, et que je siégeais à gauche, avec Montalembert, Wagram, Eckmühl, Boissy et d'Alton-Shée j'avais à ma droite un soldat qui était maréchal de France deux ans après ma naissance et qui, lorsque j'arrivais au Luxembourg, me disait : Jeune homme, vous êtes en retard ! C'était Soult, maréchal en 1804. A ma gauche, chose plus extraordinaire, j'avais un homme qui avait jugé Louis XVI, neuf ans avant ma naissance (c'était Pontécoulant), et en face de moi, un homme qui avait défendu Beaumarchais dans le procès Goëzman, vingt-cinq ans avant ma naissance. C'était le chancelier Pasquier. »