Jules, François, Simon Suisse dit Simon
1814 - 1896
Représentant en 1848, député de 1867 à 1870, représentant en 1871, ministre, membre du Sénat, né à Lorient (Morbihan) le 27 décembre 1814, fils d'un ancien militaire, d'origine israélite, il fit ses études aux collèges de Lorient et de Vannes, entra au lycée de Rennes comme maître d'études, et fut reçu troisième à l'Ecole normale en 1833.
Agrégé de philosophie en 1835, professeur de philosophie à Caen (1er septembre 1836), puis à Versailles, il fut chargé (1838) de la conférence d'histoire de la philosophie à l'Ecole normale, se fit recevoir docteur l'année suivante avec une thèse sur le Commentaire de Proclus sur le Timée de Platon, et devint (même année) suppléant de M. Cousin à la Sorbonne dans la chaire de philosophie.
Chevalier de la Légion d'honneur en 1845, il se présenta à la députation, le 20 février 1847, dans le 5e collège des Côtes-du-Nord (Lannion), comme candidat de « la gauche constitutionnelle », et échoua avec 169 voix contre 263 au candidat légitimiste et catholique, M. Tassel.
En décembre suivant, il fonda à Paris, avec Amédée Jacques, la revue la Liberté de penser, dont il prit la direction politique, et fut élu, le 23 avril 1848, représentant des Côtes-du-Nord à l'Assemblée constituante, le 14e sur 16, par 66 434 voix (144 377 votants, 167 673 inscrits). Il siégea à la gauche modérée, fit partie du comité de la justice, puis de la commission d'organisation du travail, se prononça nettement contre le socialisme, parla sur les questions d'instruction publique, fut président de la commission chargée de visiter les blessés de juin, secrétaire de la commission de l'enseignement primaire, et rapporteur de la loi présentée par M. Carnot, et vota:
- pour le bannissement de la famille d'Orléans,
- contre les poursuites contre Louis Blanc,
- pour les poursuites contre Caussidière au 15 mai,
- contre l'abolition de la peine de mort,
- contre l'impôt progressif,
- contre les deux Chambres,
- contre l'amendement Grévy,
- pour le remplacement militaire,
- contre la sanction de la Constitution par le peuple,
- contre le droit au travail,
- pour l'ensemble de la Constitution,
- pour l'ordre du jour en faveur de Cavaignac,
- pour la suppression de l'impôt du sel,
- contre la proposition Rateau.
Elu, par l'Assemblée, membre du nouveau conseil d'Etat (mars 1849), il donna sa démission de représentant (16 avril) ; mais, lorsque l'Assemblée législative renouvela par moitié ce conseil, en juin suivant, il se trouva de la moitié sortante et ne fut pas réélu. Il collabora de nouveau à la Liberté de penser, combattit au National la politique du prince-président, et continua de professer la philosophie à l'Ecole normale, et de suppléer Cousin à la Sorbonne.
Après le coup d'Etat du 2 décembre 1851, M. Jules Simon rouvrit son cours à la Sorbonne le 9, la veille du plébiscite :
« Messieurs, dit-il en commençant, je suis ici professeur de morale. Je vous dois la leçon et l'exemple. Le droit vient d'être publiquement violé par celui qui avait charge de le défendre, et la France doit dire demain, dans ses comices, si elle approuve cette violation du droit ou si elle la condamne. N'y eût-il dans les urnes qu'un seul bulletin pour prononcer la condamnation, je le revendique d'avance : il sera de moi ! »
Le cours fut interrompu par des applaudissements enthousiastes, et, le lendemain, M. Jules Simon fut suspendu de ses fonctions. Trois jours après, le directeur de l'Ecole normale lui présenta la formule du nouveau serment. Sur son refus de le prêter, il fut rayé de la liste des professeurs. Il collabora encore au National, s’occupa de travaux littéraires et d'enseignement, publia le Devoir (1854), la Religion naturelle (1856), la Liberté (1857), et donna dans les principales villes de Belgique et en France des conférences sur des questions de philosophie et d'organisation sociale.
Cédant aux instances de ses amis politiques, il se présenta à la députation, le 22 juin 1857, dans le 8e arrondissement de la Seine, et échoua avec, 2 268 voix, contre 13 820 au candidat officiel élu, M. Fouché-Lepelletier, et 9 033 à M. Vavin.
Il entra au Corps législatif, le 1er juin 1863, comme député du 8e arrondissement de la Seine élu par 17 809 voix (28 685 votants, 40 075 inscrits) contre 9 906 au candidat officiel, M. Kœnigswarter, et 561 à M. de Milly. Il fut bientôt, grâce à la modération de forme et à la clarté persuasive de son langage, un des orateurs de la gauche les plus écoutés de la majorité, parla sur les questions d'enseignement, sur le travail des femmes, sur la question romaine, défendit, au nom de la gauche, un amendement en faveur de la liberté de la presse, revendiqua pour Paris le droit de nommer son conseil municipal, demanda la séparation de l'Eglise et de l'Etat, et proposa un emprunt de 140 millions pour l'enseignement primaire.
Aux élections du 24 mai 1869, il obtint la majorité dans deux circonscriptions :
- dans la 8e de la Seine avec 30 305 voix (39 870 votants, 50 135 inscrits) contre 8 742 à M. Lachaud, candidat officiel, et 380 à M. Jules Vallès socialiste,
- et dans la 2e de la Gironde, avec 13 632 voix (23 822 votants, 30 791 inscrits) contre 10 115 à M. Blanchy.
Il opta pour la Gironde, et fut remplacé à Paris par M. Emmanuel Arago. Par contre, il échoua, le même jour :
- dans la 1re circonscription des Ardennes, avec 5 875 voix contre 18 068 au candidat officiel élu, M. de Montagnac et 843 à M. Troyon ;
- dans la 2e circonscription du même département, avec 2 259 voix contre 23 563 au candidat officiel élu, M. de Ladoucette ;
- dans la 4e circonscription de l'Hérault, avec 12 996 voix contre 14 334 au candidat officiel élu, M. Coste-Floret ;
- dans la 3e circonscription de la Marne, avec 8 449 voix contre 18 699 au candidat officiel élu, M. Werlé et 3,394 à M. Paris ;
- dans la 1re circonscription du Morbihan, avec 1 105 voix contre 15 528 au candidat indépendant élu, M. de la Monneraye, et 13,269 à M. Thomas Kercado ;
- dans la 1re circonscription de la Haute-Vienne, avec 11 833 voix contre 16 141 au candidat officiel élu, M. Noualhier, 1 793 à M. Ducoux et 2 146 à M. Fontaneau.
Il prit fréquemment la parole dans cette législature, prononça d'importants discours en faveur de la liberté commerciale (20 janvier 1870), contre l'inscription maritime et sur la marine marchande (février), sur le régime colonial (mars), et déposa une proposition d'abolition de la peine de mort.
Il vota contre la guerre contre la Prusse, et, au 4 septembre 1870, fut proclamé membre du gouvernement de la Défense nationale, délégué (5 septembre) au ministère de l'Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts.
Après la signature de l'armistice, il fut envoyé avec pleins pouvoirs à Bordeaux, pour imposer à la délégation de province les décrets du gouvernement sur les élections ; il annula le décret d'inéligibilité rendu par Gambetta contre les anciens députés et fonctionnaires de l'Empire, refusant ainsi de « mutiler le suffrage universel ». Gambetta donna sa démission et partit pour Saint-Sébastien.
Aux élections du 8 février 1871, M. Jules Simon fut élu représentant de la Marne à l'Assemblée nationale, le 5e sur 8, par 34 727 voix sur 68 852 votants et 112 180 inscrits ; le même jour, il échoua :
- dans la Gironde, avec 39 960 voix (132 349 votants);
- dans l'Hérault, avec 41 270 voix (88 483 votants) ;
- dans la Mayenne, avec 12 512 voix (72 352 votants) ;
- et dans la Seine.
Il prit place à gauche dans l'Assemblée de Bordeaux, et fit partie du premier cabinet de Thiers (19 février), comme ministre de l'Instruction publique. Il déposa le projet de loi relatif à la reconstruction de la colonne Vendôme, celui sur l'instruction primaire obligatoire mais non gratuite, organisa le musée des copies, fonda des prix spéciaux de géographie pour les concours généraux des lycées, institua une commission chargée d'améliorer l'enseignement du droit, provoqua des réformes dans l'enseignement secondaire, notamment la suppression de l'exercice des vers latins, développa les exercices physiques, et triompha dans toutes les discussions soulevées par ces mesures, de l'hostilité préconçue d'une majorité monarchiste. Un discours qu'il adressa aux Sociétés savantes, à la Sorbonne, en avril 1873, et dans lequel il attribuait à Thiers seul l'honneur de la libération du territoire, provoqua à la Chambre des réclamations qui l'amenèrent à donner sa démission de ministre (17 avril).
Il devint président de la gauche de l'Assemblée, combattit (18 novembre 1873), dans un discours remarquable, la proposition du Septennat, demanda (juillet 1874) la prompte organisation des pouvoirs publics et la dissolution de l'Assemblée, prit à cette époque la direction politique du journal le Siècle, défendit l'université lors de la discussion du projet de loi sur l'enseignement supérieur, et vota pour la paix, pour le pouvoir constituant, contre le service de trois ans, contre la démission de Thiers, contre le septennat, contre le ministère de Broglie, pour l'amendement Wallon, pour les lois constitutionnelles ; il s'abstint sur l'abrogation des lois d'exil, sur la pétition des évêques, sur l'admission des princes d'Orléans à titre définitif dans l'armée.
Le 16 décembre 1875, l'Assemblée nationale l'élut sénateur inamovible, le 65e sur 75, par 318 voix sur 590 votants. Le même jour, il était nommé membre de l'Académie française ; il était déjà membre de l'Académie des sciences morales et politiques depuis 1863.
Le 13 décembre 1876, le maréchal de Mac-Mahon lui confia la mission de former un cabinet, dont il prit la présidence avec le portefeuille de l'Intérieur. Lorsqu'il se présenta devant les Chambres il se déclara « profondément républicain et profondément conservateur », recommanda la conciliation lors du conflit financier qui éclata (décembre) entre la Chambre et le Sénat, manifesta (février 1877) le désir de rétablir la législation sur la presse antérieure à 1852, interdit (23 avril) le colportage de la pétition des évêques réclamant une intervention de la France en faveur du Saint-Siège, laissa voter (14 et 15 mai) la publicité des séances des conseils municipaux, ainsi que l'abrogation du titre II de la loi du 29 décembre 1875 sur la presse, et reçut, le lendemain, une lettre du maréchal de Mac-Mahon où il était dit :
« L'attitude du chef du cabinet fait demander s'il a conservé sur la Chambre l'influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues. »
M. Jules Simon remit immédiatement sa démission. Un mois après (17 juin), il donna, à la tribune du Sénat, de complètes explications sur cet incident politique, et se tint alors, dit un biographe, dans « une retraite étudiée ».
Il reparut à la tribune lors de la discussion des lois Ferry sur l'enseignement, et protesta (juillet 1879) dans une lettre à un groupe d'anciens électeurs contre l'article 7. Lors de la démission du président du Sénat, M. Martel, quelques dissidents du centre le portèrent candidat à ces hautes fonctions (mai 1880) ; ce fut M. Léon Say qui l'emporta. En juin 1880, M. Jules Simon parla contre l'amnistie plénière, déposa (novembre) un ordre du jour de blâme contre l'exécution des décrets contre les congrégations (rejeté), proposa (juillet 1881), dans la loi sur l'obligation et la laïcité de l'enseignement primaire, de substituer aux mots « instruction morale et civique » les mots « enseignement des devoirs envers Dieu et envers la patrie » : cette motion, bien que vivement combattue par M. Jules Ferry, fut adoptée par 139 voix contre 126 ; mais le projet fut renvoyé à une autre session, et l'amendement fut rejeté par la Chambre. M. Jules Simon réclama (juillet 1881) la suppression de l'impôt sur le papier, défendit (mars 1883), comme rapporteur du projet de loi sur le droit d'association, la liberté pour tous, combattit (juillet) le projet de réforme judiciaire qu'il appela « une loi de colère et d'expédient, pour faire sortir de la magistrature les magistrats qui ne sont pas de votre opinion » ; se montra (avril 1884) l'adversaire du rétablissement du divorce, soutint (février 1885) l'égalité des droits du Sénat et de la Chambre en matière budgétaire, prit en main (février 1886) la cause de la liberté de l'enseignement contre le monopole universitaire, s'éleva (juin 1886) contre les lois d'exception et contre l'expulsion des princes, et se prononça, en dernier lieu :
- pour le rétablissement du scrutin d'arrondissement (13 février 1889),
- pour le projet de loi Lisbonne restrictif de la liberté de la presse,
- pour la procédure de la haute cour contre le général Boulanger.
Eclectique en philosophie, déiste en religion, M. Jules Simon a dû, moins à l'originalité des idées qu'à l'irrésistible séduction et à la correction émue du style, sa grande renommée. Orateur d'une bonhomie incomparable, improvisateur de premier ordre, insinuant, clair, entraînant, « parfois ironique, dit un biographe, jamais provocant», M. Jules Simon a cherché à répandre dans ses nombreux ouvrages, dans les conférences, à la tribune, les notions d'une philosophie pratique, sachant se plier aux circonstances, mais inflexiblement orientée vers la liberté.
Parmi ses derniers ouvrages, on peut citer :
- La réforme de l'enseignement secondaire (1874) ;
- Le gouvernement de M. Thiers (1878) ;
- Le livre du petit citoyen (1880); Dieu, Patrie, Liberté (1883) ;
- Une académie sous le Directoire (1884).
M. Jules Simon est chevalier de la Légion d'honneur depuis 1845, décoré des SS. Maurice et Lazare, de la Rose du Brésil, etc., et administrateur du Crédit foncier.
Né le 27 décembre 1814 à Lorient (Morbihan), mort le 8 juin 1896 à Paris.
Représentant des Côtes-du-Nord en 1848.
Député de la Seine au Corps législatif de 1863 à 1869.
Député de la Gironde au Corps législatif de 1869 à 1870.
Membre du gouvernement de la Défense nationale du 4 septembre 1870, délégué à l'Instruction publique, aux Cultes et aux Beaux-Arts (5 septembre 1870).
Ministre de l'Instruction publique du 19 février 1871 au 17 avril 1873.
Représentant de la Marne de 1871 à 1875.
Sénateur inamovible de 1875 à 1896.
Président du Conseil et Ministre de l'Intérieur du 12 décembre 1876 au 17 mai 1877.
(Voir première partie de la biographie dans ROBERT ET COUGNY, Dictionnaire des Parlementaires, t. V, p. 323.)
L'activité parlementaire des dernières années de Jules Simon fut entièrement consacrée aux problèmes de l'éducation et aux questions sociales.
Prenant part le 17 juin 1890 à la discussion d'interpellations sur l'enseignement secondaire, il développa un certain nombre d'idées qui lui étaient devenues chères, se prononçant pour la liberté de l'enseignement, défendant les langues anciennes et le principe des examens de passage qui ont pour effet de réduire le nombre des déclassés, insistant pour que, dans l'éducation des filles, on donne de l'importance et de la dignité à la préparation des travaux domestiques. Sa dernière intervention à la tribune du Sénat, le 15 mars 1892, devait d'ailleurs porter sur les questions d'éducation, et plus particulièrement la constitution des universités. Elle fut brève.
Entre-temps, Jules Simon, qui avait représenté la France à la Conférence internationale du travail à Berlin, avait joué un rôle actif dans la discussion du projet de loi réglementant le travail des femmes et des enfants, et il n'est pas exagéré de dire que ses interventions des 3, 7 et 10 juillet 1891 emportèrent le vote favorable du Sénat. Il demanda qu'il fût interdit de faire travailler une femme venant d'accoucher pendant un délai de quatre semaines. A ceux qui critiquèrent l'intervention de l'Etat dans une telle matière, il répondit que la réduction du travail des femmes ne pouvait résulter d'une entente entre patrons et ouvriers parce qu'aucune des deux parties ne croyait y avoir intérêt et il rappela à cette occasion qu'il avait réclamé cette réduction dès 1863. Enfin, il souligna la dureté du travail manuel, et affirma que le rôle de la femme dans la famille était essentiel, car il faisait d'elle la base de toute la société.
Le décès de Jules Simon survenu le 8 juin 1896 après une courte maladie - il était dans sa 82e année - fut un événement important. De tous les hommages rendus à sa mémoire, il nous faut retenir celui du président Emile Loubet qui souligna l'importance de son rôle dans deux domaines essentiels : défense de la tolérance et action sociale en faveur des plus malheureux. Telles étaient bien, en effet, les deux causes auxquelles il avait voué sa vie.