Eugène, Pierre, Clément Pelletan
1813 - 1884
Député au Corps législatif de 1863 à 1870, membre de la Défense nationale, représentant en 1871, sénateur de 1876 à 1884, né à Saint-Palais-sur-Mer (Charente-Inférieure) le 29 octobre 1813, mort à Paris le 13 décembre 1884, fils d'un notaire de Royan et descendant d'une famille protestante à laquelle appartint Jarousseau, le pasteur du désert, il fit ses études à Poitiers, et vint à Paris pour y suivre les cours de l'Ecole de droit ; mais il s'adonna bientôt exclusivement à son goût pour les lettres, l'histoire et la philosophie.
Après quelques voyages dans diverses contrées de l'Europe, il débuta (1837) par des articles de critique dans la Nouvelle Minerve et dans la France littéraire. Puis il fut attaché par Girardin à la rédaction de la Presse où il publia, sous le pseudonyme d'un Inconnu, des appréciations critiques des livres nouveaux : ses articles furent très remarqués. Ami et admirateur ardent de Lamartine, il acclama comme lui la république en 1848, refusa un emploi qui lui fut offert au ministère des Affaires étrangères, et posa sa candidature à l'Assemblée constituante dans la Charente-Inférieure ; mais il se vit préférer M. Baroche. Il devint alors, avec La Guéronnière, le principal rédacteur du Bien public, inspiré par Lamartine, et y défendit (1849) la République modérée. Lorsque l'élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République eut enlevé à ce journal sa raison d'être, M. E. Pelletan rentra à la Presse, où il fit une guerre des plus vives aux diverses écoles socialistes; d'autre part, il avait de fréquentes polémiques avec l'Univers, notamment à propos du prêt à intérêts. De 1853 à 1855, il collabora au Siècle ; vers la même époque, il réunit sous ce titre : Profession de foi du XIXe siècle, la série de ses principaux articles de la Presse, où il rentra d'ailleurs, en 1855, pour y défendre la doctrine du progrès que venait d'abandonner Lamartine dans un de ses Entretiens. Les Lettres à un homme tombé le séparèrent complètement du grand poète dont il avait été le disciple.
Plusieurs fois exclu, par ordre supérieur, des journaux dans lesquels il écrivait, condamné à trois mois de prison et à 2 000 francs d'amende pour un article intitulé la Liberté comme en Autriche, M. Pelletan, après avoir donné des articles à l'Avenir, au XIXe Siècle, au Courrier de Paris, resta quelque temps en dehors du journalisme et se mit à publier des journaux et des livres. En 1860, il dirigea contre Béranger une polémique des plus vives, attaquant à la fois l'homme et le poète, et s'attachant à démontrer que son action sur le peuple avait été beaucoup plus funeste qu'utile.
Aux élections du 22 juin 1857, M. Eugène Pelletan avait échoué comme candidat de l'opposition au Corps législatif, dans la 10e circonscription de la Seine, avec 7 249 voix contre 15 416 à l'élu officiel, M. Véron.
Il se représenta le 1er juin 1863, et fut élu dans la 9e circonscription, par 12 295 voix (24 866 votants, 33 146 inscrits), contre 12,188 au candidat officiel, M. Picard; mais son élection ayant été annulée pour vice de forme, il dut solliciter à nouveau, le 13 décembre suivant, les suffrages des électeurs : son mandat lui fut confirmé par 15 115 voix (25 053 votants, 32 602 inscrits), contre 9 778 à M. Picard. M. Pelletan prit place dans le petit groupe des membres de l'opposition démocratique : il parut plusieurs fois à la tribune et se fit une réputation d'orateur abondant, au style imagé et poétique, plein d'entrain et de passion.
Ses principaux discours eurent pour objet :
- l'état de la société telle que l'Empire l'avait faite (20 mars 1866),
- les bibliothèques populaires (17 juillet 1867),
- le secret des lettres (21 juin 1866).
Au mois de juin 1868, une tolérance relative ayant été accordée à la presse, M. Pelletan fonda, avec MM. Glais-Bizoin, Lavertujon, Hérold, la Tribune, journal hebdomadaire, dont il fut le rédacteur en chef. Il prit aussi une part active aux conférences et réunions littéraires et politiques qui se multiplièrent par toute la France à l'approche des élections.
Réélu député, le 24 mai 1869, par 23 410 voix (33 651 votants, 41 721 inscrits), contre 9 810 à M. Bouley candidat du gouvernement, il n'obtint le même jour que 11 968 voix dans la 3e circonscription des Bouches-du-Rhône contre 12 529 à l'élu officiel, député sortant, M. Laugier de Chartrouse. Il demanda (juillet 1869), lors de la discussion du budget de l'instruction publique, la suppression des subventions théâtrales, au nom de la liberté de la concurrence, continua son opposition à l'Empire sous le ministère Ollivier, protesta et vota contre la déclaration de guerre à la Prusse.
Il fut proclamé, dans la journée du 4 septembre 1870, membre du gouvernement de la Défense nationale, sans portefeuille.
Il eut à s'occuper spécialement, pendant le siège de Paris, des ambulances et de la garde nationale, manifesta, quant à la direction des affaires militaires, une entière confiance dans le général Trochu, qu'il appelait « un caractère tout à fait romain dans sa grandeur » (lettre à M. Mestreau, préfet de la Charente-Inférieure), remplit quelque temps, après la capitulation de Paris, l'intérim du ministère de l'Instruction publique et des Cultes, et partit, le 6 février 1871, pour Bordeaux avec MM. Emmanuel Arago et Garnier Pagès: là, il s'entendit avec M. Jules Simon dont il partageait les vues politiques.
Le 8 février 1871, M. E. Pelletan fut élu représentant des Bouches-du-Rhône à l'Assemblée nationale, le 1er sur 11, par 63 531 voix (75 803 votants, 140 189 inscrits). Il s'inscrivit au groupe de l'Union républicaine et prit, dans les premiers temps de la législature, une part assez restreinte aux délibérations. Il opina :
- pour les préliminaires de paix,
- pour le retour de l'Assemblée à Paris,
- pour la politique de Thiers, dont il écrivit, dans une lettre rendue publique, qu'il était « le cheval de renfort qui ferait monter la côte à la République »,
- contre sa chute au 24 mai,
- contre le septennat, l'état de siège, la loi des maires, le ministère de Broglie,
- pour les amendements Wallon et Pascal Duprat et pour l'ensemble des lois constitutionnelles.
En novembre 1874, il réfuta, comme calomnieuse, une assertion du Journal de Paris rappelant que M. E. Pelletan, sous l'Empire, s'était estimé trop heureux de pouvoir acquitter ses dettes avec l'argent de Chantilly.
Elu (30 janvier 1876) sénateur des Bouches-du-Rhône, le 1er sur 3, par 96 voix (171 votants), il suivit à la Chambre haute la même ligne politique que dans les assemblées précédentes, fit partie du groupe de l'Union républicaine, se prononça contre la dissolution de la Chambre demandée par M. de Broglie, s'associa à la protestation des gauches contre le gouvernement du Seize Mai, et, pendant un voyage qu'il fit dans les Bouches-du-Rhône durant la période électorale de 1877, se vit en butte, à Aix, aux insultes du commissaire central de police : il réclama avec beaucoup de vivacité, auprès de M. d'Audiffret-Pasquier, président du Sénat, le respect de son inviolabilité parlementaire ; mais le commissaire fut maintenu en fonctions. M. Pelletan repoussa l'ordre du jour de Kerdrel, hostile à la nouvelle majorité républicaine, prononça, en février 1878, un important discours sur la loi du colportage et un autre, en mars, sur l'amnistie des délits de presse, fut appelé (janvier 1879) à la vice-président du Sénat, et présenta, vers la même époque, le rapport du projet de loi sur la réorganisation du consistoire de la confession d'Augsbourg. Membre de la commission chargée d'examiner les projets de loi Ferry sur l'enseignement supérieur, il les soutint de son suffrage et de sa parole, vota pour l'article 7 (1880), le reprit à titre d'amendement personnel, lors de la deuxième délibération, après que le Sénat l'eut une première fois rejeté, et eut fréquemment, en l'absence du président, M. Martel, longtemps malade, l'occasion de diriger les débats de la Chambre haute. Il prit encore la parole à propos de la loi sur la presse, fut nommé questeur du Sénat en 1881. Il donna son vote à la politique opportuniste des cabinets Gambetta et Ferry, approuva l'expédition du Tonkin.
Il fut nommé par 150 voix (203 votants) sénateur inamovible le 24 juin 1884, en remplacement du comte d'Haussonville décédé, et mourut subitement à Paris le 13 décembre suivant.
M. Pelletan a publié, outre ses articles, un très grand nombre d'ouvrages :
- La lampe éteinte (1840) ;
- Histoire des trois journées de février (1848) ;
- les Dogmes, le Clergé et l'Etat, avec MM. Morvonnais et Hennequin (1848) ;
- les Heures de travail (1854) ;
- les Morts inconnus, le Pasteur du Désert (1855) ;
- les Droits de l'homme, les Rois philosophes (1858) ;
- Une étoile filante (Béranger) (1860) ;
- Décadence de la monarchie française (1868) ;
- la Naissance d'une ville (1869) ;
- la Comédie italienne (1862) ;
- la Nouvelle Babylone, lettres d'un provincial (1862) ;
- les Fêtes de l'intelligence (1863) ;
- les Uns et les autres (1873) ;
- le 4 septembre devant l'Enquête (1874) ;
- Elisée, voyage d'un homme à la recherche de lui-même (1877) ;
- Un roi philosophe, le grand Frédéric (1878).
Une pension de 6 000 francs a été accordée, à titre de récompense nationale. à Mme veuve Eugène Pelletan, par une loi du 18 août 1885.
Date de mise à jour: février 2018