Onglet actif : Abel Ferry

Abel Ferry Controle parlementaire aux armées
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Abel Ferry appartient à une longue lignée de parlementaires et de ministres dont les premiers s’illustrèrent sous la monarchie de Juillet. Son père Charles Ferry (1834-1909) fut sénateur et député des Vosges, son oncle, Jules Ferry (1832-1896), a attaché son nom tant aux grandes lois scolaires qu’à la politique de colonisation de la IIIe République à ses débuts.
Abel Ferry, né en 1881, avocat de profession, se présente à la députation à Épinal (2ème circonscription des Vosges), lors d’une élection partielle en 1909 : il est élu à ce siège qu’avait occupé son père et réélu en 1910 et 1914. Il siège au groupe de la Gauche radicale (centriste) et en 1913 se prononce pour la loi des Trois ans. La même année il fait annuler la décision de réforme numéro 2 prononcée en raison de la tuberculose qu'il avait contractée durant son service militaire en 1903, ce qui l'avait fait verser dans le cadre de réserve.
Il est nommé sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères dans le premier gouvernement dirigé par René Viviani (14 juin 1914). Dès la déclaration de guerre il présente sa démission pour s’engager dans l’armée, mais sa démission est refusée et il est même confirmé dans ses fonctions lors du remaniement du 26 août 1914. Dès lors il assistera aux Conseils des ministres quand l’armée lui accordera des permissions. Après la démission du cabinet Viviani le 29 octobre 1915, de retour à la Chambre en tant que député, il poursuivit le va-et-vient entre le front et la Chambre.
Dès le 3 août il a rejoint le 166e régiment d’infanterie qui combat devant Verdun et sur demande d’Adolphe Messimy, ministre de la Guerre du premier gouvernement Viviani, il a été nommé sergent puis immédiatement après, lieutenant.

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Il est promu au grade de capitaine au 91ème régiment d’infanterie qui combat en Argonne, avant de quitter l’armée en août 1916.
Durant deux ans, d’août 1914 à juillet 1916, il a apporté à ses collègues du gouvernement, puis aux députés, des informations essentielles sur la réalité du front et de la vie des « poilus ». Dès la fin de l’année 1915, il a ainsi alerté la commission de l’Armée, où il a été désigné pour représenter son groupe parlementaire, sur l’insuffisance des défenses de la région de Verdun : il présente son rapport le 8 décembre 1915, sur l’organisation défensive de la vallée de la Meurthe entre Lunéville et Nancy, secteur d’Arracourt.
Mais à l’été 1916 il doit renoncer à conjuguer l’exercice de son mandat parlementaire et la présence au front en tant que militaire. En effet, le président du Conseil Aristide Briand a accepté lors du comité secret du 16 au 22 juin 1916 de créer un contrôle parlementaire aux armées. Jugeant alors qu’il est indispensable de réaffirmer le pouvoir du gouvernement et du Parlement sur les autorités militaires, Abel Ferry choisit d’exercer la fonction de commissaire aux armées dont le charge la commission de l’Armée.
Jusqu’à l’été 1918, il intervient dans les débats de la Chambre pour défendre les combattants, améliorer leur sort, épargner des vies et il participe assidument aux travaux de la commission de l’Armée, multipliant les missions d’inspection sur le front et les rapports d’enquête. Il est aussi de ceux qui militent pour que le contrôle aux armées soit libéré des restrictions qu’avaient imposées Viviani et Briand.
Dès le 1er décembre 1915, il avait reçu le soutien du colonel Émile Driant, député du groupe de l’Action libérale, élu de la Meuse, pourtant d’un bord politique opposé, mais tout comme Ferry, parlementaire et militaire (Driant trouvera la mort le 22 février devant Verdun) : « Au début des hostilités, j’étais peu partisan que le Parlement s’occupât des choses de la guerre, mais aujourd’hui j’ai compris que le Parlement – et le contrôle des commissions – avaient une sérieuse importance et avaient fait faire de grands progrès ; je le reconnais, je ne le cache pas, moi qui n’aurais voulu, en temps de guerre, qu’une direction unique, celle du général en chef. […] Ce que je n’aurais pas compris il y a trois mois, je le comprends aujourd’hui. »
Mais c’est seulement le gouvernement Painlevé qui a fait droit aux demandes de la commission de l’Armée en créant, par la circulaire du 12 octobre 1917 (voir le texte dans le rapport général n° 7259 de Victor Dalbiez), la carte nominative qui donne libre accès au front aux délégués de la commission de l’Armée.
Les rapports présentés par Abel Ferry à la commission de l’Armée montrent qu’il s’est préoccupé de nombreux domaines relatifs à la conduite de la guerre :
Rapports présentés par Abel Ferry à la commission de l’Armée | ||
Chars | Note rédigée par Abel Ferry sur deux visites effectuées à Champlieu et informations relatives à la production des chars d'assaut (10-12 décembre 1917). | |
Rapport présenté par Abel Ferry sur l'artillerie d'assaut (10 mai 1918). | ||
Chemin des Dames | Rapport présenté par Abel Ferry sur les plans, l'exécution et les résultats de la bataille de l'Aisne et de Champagne du 16 avril 1917 (16 mai 1917). | |
| Correspondance rédigée par Abel Ferry sur les pertes au Chemin des Dames (9 août 1917). | |
| Rapport présenté par Abel Ferry et Louis Deschamps sur la rupture du front français le 27 mai 1918 au Chemin des Dames (17 juillet 1918). | |
Effectifs | Rapport présenté par Abel Ferry sur la nécessité d'accroître le nombre des sous-officiers par unité combattante (2 mars 1917). | |
| Rapport présenté par Abel Ferry sur les effectifs français, coloniaux et interalliés (31 mai 1917). | |
| Rapport présenté par Abel Ferry sur les effectifs des armées du Nord-Est (9 août 1917). | |
Coopération interalliée | Rapport présenté par Abel Ferry sur la coopération militaire américaine (9 octobre 1917). | |
| Rapport présenté par Abel Ferry sur les effectifs des armées belligérantes et spécialement de l'armée française (1er novembre 1916). | |
| Déclarations et questions posées lors de la séance du 15 février 1917 et présentées par Abel Ferry au président du Conseil et au ministre de la Guerre sur la nécessité de la mise en commun des effectifs alliés (16 février 1917). | |
Italie | Rapport présenté par Abel Ferry sur les organisations défensives et offensives et l'emploi des 85 000 travailleurs italiens mis à la disposition du Grand Quartier général par le Gouvernement (4 février 1918). | |
Rapport présenté par Abel Ferry sur une mission de contrôle de l'armée d'Italie (30 décembre 1917). | ||
Transports | Rapport présenté par Abel Ferry sur l’organisation de notre réseau ferré et routier dans la zone des armées, en vue d'accroître parallèlement au front, la mobilité de la masse de manœuvre (17 décembre 1915). | |
| Rapport présenté par Abel Ferry sur l’organisation de notre réseau ferré et routier dans la zone des armées (6 mars 1916). | |
| Rapport présenté par Abel Ferry et Albert Favre sur l’organisation du front, des voies normales et des voies de 0,60 mètres (6 octobre 1916). | |
Verdun | Rapport présenté par Abel Ferry sur les moyens matériels mis par le Gouvernement à la disposition du commandement pour l'organisation de la région de Verdun (15-16 juillet 1916). | |
Compilation de rapports sur les moyens de transports dans la zone des armées (16-21 mars 1916) présentés par Henry Paté et Octave Lauraine sur l'examen de la voie ferrée de Sainte-Ménehould à Verdun et les moyens employés pour le ravitaillement des troupes engagées dans la bataille de Verdun (21 mars 1916), par Albert Seydoux et Henri Mignot-Bozerian sur les routes et le ravitaillement par service automobile entre Bar-le-Duc et Verdun (16 mars 1916), par Pierre Renaudel et Abel Ferry sur le chemin de fer à voie étroite entre Bar-le-Duc et Verdun et les ponts de la Meuse. | ||
Visite | Rapport présenté par Abel Ferry sur deux visites aux armées (2 mars 1917). | |
| Rapport présenté par Abel Ferry et Jean Ossola sur une visite effectuée au front (12 mars 1917). | |
| Rapport présenté par Abel Ferry et Jean Ossola sur l'état du terrain reconquis par la 6e armée, au nord de Soissons (12 mars 1917). | |
| Rapport présenté par Abel Ferry, Pierre Renaudel et Albert Favre sur l'inspection effectuée au sein de la 5e armée pour y étudier l'état moral des troupes (25 juillet 1917). | |
| Rapport présenté par Abel Ferry et Pierre Renaudel sur une visite à la 3e armée (novembre 1917). | |
Lors de sa mission concernant l’offensive du Chemin des Dames, il visite le 26 avril 1917 le 94e régiment d’infanterie – héritier de la Garde impériale et surnommé « La Garde » – qui avait conquis et conservé au prix de nombreuses pertes une portion de terrain de 3 km de profondeur, devant Berry-au-Bac (Aisne).
Paul Détrie, alors lieutenant-colonel au 94e R.I., écrit à son épouse ce même 24 avril :
« J’ai reçu ce matin dans mon P.C. en ligne, une visite intéressante, celle de M. Abel Ferry, député.
Nous avons causé longuement, je l’ai cité à l’ordre de « La Garde » pour sa visite méritoire et lui ai remis un beau diplôme fait cette nuit, par un caporal, élève des Beaux-Arts. […] Il a été épaté de ce qu’il a vu, de notre situation véritablement extraordinaire, et il n’a pas caché l’admiration qu’il ressentait pour tous ici. « (Général Paul Détrie, Lettres du front à sa femme, Point Com’ Éditions, Grenoble, 1995)

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Approché pour entrer au cabinet Clemenceau, il refuse sa collaboration au vieil ennemi de Jules Ferry, jugeant par ailleurs plus utile son action de contrôleur aux armées.
Toutefois, après avoir lu son rapport rédigé en décembre 1917 au nom de la commission de l’Armée sur les troupes françaises engagées en Italie (C//7529/935 bis), Clemenceau envoie Abel Ferry à Rome, accompagné du général Foch et du député des Alpes-Maritimes Gilbert Planche, pour une mission gouvernementale dans le but d’obtenir l’envoi de 100 000 travailleurs italiens en France. Le rapport sera remis au président du Conseil en février 1918 (C//7506/821/8).
Le 8 septembre 1918, il part en mission dans l’Aisne, afin de vérifier le fonctionnement d’un nouveau fusil-mitrailleur. Il rejoint le 17ème BCP (bataillon d’Épinal, sa ville) qui va mener une attaque près de Vauxaillon (Aisne) ; son ami, le capitaine Gaston Dumesnil, député d’Angers, le rejoint, ainsi que le lieutenant Goussot (fils d’Emile Goussot, député de la Seine de 1889 à 1902). Arrivés en première ligne, ils sont tous trois atteints par des éclats d’obus : Goussot et Dumesnil sont tués, Ferry grièvement blessé est opéré dans une ambulance à Jaulzy (Oise). Il y reçoit la visite du président du Conseil Georges Clemenceau qui le décore de la Légion d’honneur. Il meurt le 15 septembre 1918.
Dans ses séances des 11 et 18 septembre 1918, la commission rend hommage aux députés morts sur le front ; on lira dans les procès-verbaux de la commission les rapports fournis par l’autorité militaire sur les circonstances de leur décès.
Tout au long de ces quatre années de guerre, Abel Ferry a tenu des carnets, accumulé des notes, des réflexions. Dès 1920 paraît chez Grasset un volume de souvenirs La guerre vue d’en haut et d’en bas. Mais ce n’est qu’en 1957 qu’Hélène Abel Ferry, qu’il avait épousée en 1913 (et qui fut infirmière à Verdun), publie les Carnets secrets dont il avait choisi le titre et demandé que la publication en fût différée de 30 ans. On y trouve le récit des expériences vécues au front comme les réflexions que lui avaient inspiré la vie parlementaire et des jugements sévères sur diverses personnalités. A titre d’exemple, on peut noter cette phrase assassine datée de décembre 1915 : « (…) Joffre n’est que le plus étoilé des bureaucrates et n’est qu’un chef de bureau. Briand est pour les bureaux contre le Parlement ». On peut aussi retrouver ses interventions en séance publique et en Comité secret dans la série des Débats parlementaires de la Chambre (Journal Officiel) et ses rapports et interventions à la commission de l’Armée.